Cet article est à retrouver sur le site du CENOZO. Il a été rédigé à la suite d'une enquête par réalisée par Sandrine BADO avec l’appui de CENOZO. Cette version modifiée est publiée dans le cadre d'un accord entre Global Voices et CENOZO.
Une matinée de décembre 2016 à Pissy, un quartier situé à l’ouest de Ouagadougou(capitale du Burkina Faso), les écoliers du lycée Bassenéré sont sommés de rentrer chez eux. Ce jour-là, impossible pour les enseignants de dérouler leurs programmes académiques en raison des épaisses fumées noires qui ont envahi les salles de classes.
Six années plus tard, la situation n’a pas changé. A l’instar de ces écoliers et de leurs enseignants, des milliers de burkinabè vivant ou travaillant dans ce quartier sont quasi quotidiennement exposés aux fumées toxiques occasionnées par l’exploitation artisanale et sauvage d’une carrière de granite. Pourquoi l’exploitation de cette carrière située en pleine agglomération produit autant de fumées ? Quel est l’impact de ces fumées sur la santé des populations ? Que disent les autorités compétentes face à cette situation ?
Logée derrière la Société nationale burkinabè d’hydrocarbures (SONABHY) et le camp militaire Sangoulé Lamizana, la carrière de granite de Pissy s’étend sur une superficie d’environ quatre hectares. En son sein, se trouve un immense trou de plusieurs centaines de mètres de profondeur qui laisse échapper une fumée difficile à respirer. Une situation que vivent les habitants du quartier depuis plus de 20 ans. Écoles, administrations publiques et ménages du quartier, tous se plaignent des désagréments causés par ces fumées au quotidien.
A proximité du site de la carrière, se trouvent les locaux d’un service décentralisé des impôts. Le délégué du personnel dudit service, Salif Yago, affirme que la fumée de la carrière dérange énormément.
Généralement, c’est les soirs à la descente que nous constatons la fumée et le lendemain, il faut ouvrir nos fenêtres pour évacuer les résidus de fumée. Et nous sommes, tout le temps, malade ici. Le rhume et la toux ne finissent jamais dans nos locaux.
Il affirme aussi qu’à plusieurs reprises, ils ont attiré l’attention des responsables du site sur les dégâts occasionnés par la fumée, mais il n’y a pas vraiment eu d’amélioration.
Des écoliers auraient perdu connaissance en plein cours à cause des fumées de la carrière. Pour en savoir plus, rendez-vous est pris avec Tapsoba Adelaïde, la proviseure du lycée Bassenéré qui fait ménage avec le site. Dans le bureau de la proviseure du lycée, l’accueil n’est pas chaleureux. Regard vague, elle semble ne pas accorder assez d’importance aux questions et répond d’une façon négligente. puis elle explique :
Ce site existe depuis plusieurs années… On les interpelle, mais cela ne les empêche pas de continuer leur travail. Quand la fumée est trop intense, on leur dit et ils éteignent pour réduire la fumée. Jusqu’ici ils collaborent bien quand on attire leur attention. Pour ce qui est des élèves qui perdent connaissance, je ne peux pas dire que c’est l’effet de la fumée, il faut un médecin pour cela. Mais ce que je peux dire, qu’on soit malade ou pas, la fumée dérange, ça pique les yeux, ça démange la gorge.
Interrogés, certains parents d’élèves du lycée ne cachent pas leur indignation face aux désagréments que causent les fumées de cette carrière de granite.
Que disent les autorités compétentes ?
Malgré plusieurs interpellations des habitants du quartier, le phénomène persiste et ne fait que prendre de l’ampleur, car les activités d’exploitation de la carrière vont bon train. Face à la situation, les habitants mettent place un « comité » pour lutter contre cette pollution atmosphérique. Constitué depuis 2016, ce comité attire l’attention des autorités municipales. Le 7 décembre 2016, un courrier évoquant le calvaire des habitants est déposé à la mairie de l’arrondissement 3, mais il restera sans suite. Le 19 décembre 2016, un autre courrier est déposé. Le 28 décembre 2016, l’ex secrétaire général de la mairie de l’arrondissement 3, Sébastien Kima, dans une réponse au courrier du comité, se veut rassurant en disant œuvrer pour le bien-être de la population. Il précise avoir invité l’autorité municipale à se pencher sur le problème.
Les 23 et 24 janvier 2017, les services de la mairie, notamment la Commission des affaires générales et la Commission environnement et développement local, organisent une rencontre conjointe entre les exploitants de la carrière et les membres du comité de lutte des habitants. Selon le compte-rendu de cette rencontre, les exploitants de la carrière expliquent que les fumées proviennent des pneus brûlés pour favoriser le concassage du granite. Curieusement, à l’issue de cette rencontre, aucune décision concrète n’est prise pour empêcher ou du moins limiter le phénomène. Le comité de lutte des habitants continue donc d'envoyer d’autres courriers, tant à la mairie qu’au ministère de l’Administration territoriale, sans malheureusement obtenir de solutions adéquates.
Une carrière fantôme entretenue par des intérêts politiques inavoués
Une question essentielle dans cette affaire est l'identité de la société qui détient le permis d’exploitation du site. Selon les informations disponibles, la carrière n’est pas répertoriée dans le cadastre minier burkinabè. En effet, elle fait partie des sites d’exploitation « artisanale traditionnelle » dont l’organisation du travail et les méthodes utilisées conduisent à l’appellation de « sites d’exploitation sauvage ». Toutefois, d’après d’autres sources d’informations, le domaine appartiendrait au camp militaire Sangoulé Lamizana.
Très polluante, la carrière de granite de Pissy est donc illégale et ne génère aucun revenu fiscal ni dans la caisse de l’État, ni dans celle des collectivités locales. Selon Roland Batiebo, ex conseiller municipal dans l’arrondissement 3, la mairie ne perçoit pas de taxes dans l’exploitation de la carrière, mais plusieurs acteurs politiques y tirent des intérêts électoraux. Il explique :
Sous notre mandat en 2017, poursuit-il, les populations ont écrit pour demander le déguerpissement des exploitants. La question a été posée lors d’une session du Conseil de l’administration, mais l’autorité municipale savait que ce n’était pas possible, car il fallait l’accord de tout le Conseil. Certaines veuves quittent d’autres communes pour venir travailler sur la carrière, la question est donc très sensible. (…) Même Bala Sakandé, l’ex président de l’Assemblée nationale, venait faire des dons aux travailleurs sur le site bien que les riverains souffrent…
Dans les méandres de l’exploitation polluante
Pour comprendre le processus d’exploitation qui occasionne autant de fumées, le meilleur moyen est de se faire embaucher comme concasseuses de granite. En effet c'est un métier largement féminin malgré la fumée, et les bruits de burins et de marteaux.
L'entrée du site se reconnaît à des petits tas de granites de gauche à droite. Plus loin, des femmes sont assises sous des espèces de hangars conçus avec du bois et des morceaux de pagne. Un peu plus loin, se trouve un grand trou d'où le granite est extrait. Dans ce trou, il existe plusieurs parcelles qui appartiennent à différents exploitants. Ces parcelles sont attribuées par un superviseur du site qui tire sa légitimité de par son ancienneté sur la carrière.
Du concassage du granite à la vente, il y a trois étapes. La première étape est composée des exploitants de parcelles qui fragmentent le granite pour le vendre en blocs. Le prix d’une bassine de blocs de granite est entre 500 FCFA (0,84 dollar américain) et 750 FCFA (1,25 dollar américain). La deuxième étape lie les intermédiaires entre les exploitants de parcelles aux femmes concasseuses. Ces intermédiaires, généralement constitués de jeunes valides ou d’adolescents, achètent les blocs de granite dans le trou d’exploitation pour venir les revendre aux concasseuses à un prix compris entre 750 FCFA (1,25 dollar américain) et 1000 FCFA (1,67 dollar américain), selon la taille des blocs. La troisième et dernière étape, est le concassage des blocs de granite par les femmes, et parfois même des enfants.
Dame Nikiema Awa qui travaille sur le site depuis une vingtaine d’années explique comment se fait la vente :
Nous vendons exclusivement notre granite aux entrepreneurs et aux particuliers. Pour la vente, dès que les remorques arrivent, nous nous empressons de les rejoindre avec nos bassines de granite. Nous vendons la bassine de granite à 1250 FCFA (2,09 dollar américain). Mais depuis un moment, vu la situation du pays, nos acheteurs ont décidé d’acheter la bassine à 1000 FCFA (1,67 dollar américain), ce qui ne nous convient pas.
Il faut noter que dans l’absolu, l’utilisation de pneus usagés n’est pas la seule méthode qui existe pour fragmenter et extraire le granite. Plusieurs autres méthodes sont connues, notamment l’utilisation de la dynamite. Mais cette méthode est non seulement coûteuse, mais aussi et surtout déconseillée en raison de l’emplacement de la carrière située à côté d'habitations et d'un camp militaire.
Les conséquences sur la santé
L’exploitation du granite dans ces conditions défavorables n’est pas sans impact sur la santé humaine et environnementale. Selon Cheick Ahmed Dao, docteur en spécialisation en médecine du travail, le concassage des granites provoque non seulement une pollution sonore, mais aussi l’émission de poussière dans l’atmosphère, des gaz et des odeurs.
Il explique que les effets que les combustions de fumée peuvent avoir sur la santé dépendent principalement de la durée d’exposition, de la quantité d’air inspirée, de l'état de santé de la personne et de la concentration de fumée dans l’air.
Les pneus qui brûlent génèrent des particules fines, avec des hydrocarbures aromatiques polycycliques, des métaux et du gaz comme du dioxyde de soufre, selon le rapport de l’Institut national de l’environnement industriel et des risques (INERIS) qui évalue à 100 grammes la quantité de particules émises pour un kilo de pneus brûlés.
Les personnes les plus exposées sont celles qui se situent juste à côté du brûlage ou sous les vents qui portent la fumée, mais tout dépend de la durée de l’exposition et de la concentration de particules. Ces substances rendent la respiration difficile ou provoquent des toux. Ces particules fines peuvent également aggraver les maladies cardiaques et respiratoires préexistantes.
Les personnes les plus touchées sont les jeunes enfants, les personnes âgées et les personnes atteintes d’affections cardiaques ou pulmonaires comme l’asthme, la bronchite chronique, l’emphysème et l’insuffisance cardiaque congestive sont plus sensibles aux effets nocifs de l’exposition à la fumée.
Malgré tous ces risques, la carrière de Pissy continue de polluer l'air de milliers de personnes sans que les autorités ne réagissent.