
Photo de Boubacar Touré, utilisée avec permission
Dix jours après le coup d’État du 26 juillet 2023 perpétré par les militaires en République du Niger, les déclarations de la communauté internationale se multiplient. D'un côté, la France, les États Unis et l'ONU condamnent et parfois prennent déjà des sanctions à l'encontre de l’équipe en place. D'autres, comme la Russie ou l'Algérie, mettent en garde contre tout intervention militaire.
Pour en savoir plus, lire: Niger : l’ultimatum fixé par la Cedeao est arrivé à son terme, l’espace aérien du pays est fermé « face à la menace d’intervention »
L'Union africaine (UA) de son côté lance le 29 juillet un ultimatum et donne un court délai de 15 jours aux militaires putschistes pour le rétablissement du président Mohamed Bazoum à la tête du pays. La Communauté économique des États de l'Afrique de l'Ouest (CEDEAO), dont Bola Tinubu, président du Nigeria, assure la présidence, a pris des sanctions économiques contre le Niger mais pense également à une intervention militaire, comme le suggère ce tweet:
🛑Les chefs d’état majors des armées des pays membres de la #CEDEAO bientôt à Abuja en vue d’élaborer un plan d’intervention pour une éventuelle intervention militaire au #Niger
Extrait du Communiqué du Conseil National de Sécurité (CNS), de ce mercredi 2 août 2023. pic.twitter.com/yfUpCXUgj8
— La Côte d’Ivoire Est Chic (@Cotedivoireoff_) August 2, 2023
Alors que d'un côté, l'option militaire semble recevoir l'appui de quelques États de la région, elle n'est pas la bienvenue chez certains pays africains comme l'Algérie qui dit non à toute intervention militaire au Niger. De même, la Russie fait aussi une mise en garde contre une intervention militaire, comme l'indique le compte Twitter du média russe et pro-Kremlin Sputnik Afrique:
La menace d’une intervention militaire au Niger ne contribuera pas à un règlement, a fait savoir la porte-parole de la diplomatie russe. Moscou considère primordial “d'empêcher une nouvelle dégradation” de la situation dans le pays.https://t.co/gu9gKnTvRN pic.twitter.com/me8gv8d5qk
— Sputnik Afrique (@sputnik_afrique) August 2, 2023
Enfin, un autre groupe de pays comme le Mali, le Burkina et la Guinée Conakry qui ont des militaires à leur tête, manifestent leur solidarité aux putschistes du Niger.
Communiqué conjoint N°001 du Burkina Faso et de la République du Mali pic.twitter.com/TV154LLj0k
— Colonel Abdoulaye Maïga (@Colonel_Maiga) July 31, 2023
Global Voices a interviewé par WhatsApp Boubacar Touré, acteur politique et ancien président des jeunes leaders du Niger pour comprendre pourquoi une partie de la population dénigre la communauté internationale tout en manifestant un certain soutien à Moscou.
Jean Sovon (JS) : Le Niger rejoint le cercle des pays qui ont subi un coup d’État en Afrique de l’ouest depuis 2020. Quels sont les facteurs qui y ont contribué ?
Boubacar Touré (BT) : Pour comprendre la situation actuelle que traverse le Niger, il faut regarder la gouvernance des 12 dernières années et ne pas se limiter aux deux années de gouvernance de Mohamed Bazoum qui a hérité du passif de son prédécesseur Mahamadou Issoufou.
C’est l’érosion d'un système de captation des ressources du pays au profit de quelques individus qui méprisent le peuple, jalonné dans les affaires de corruption qui n’ont épargné aucun secteur jusqu’à l’appareil de défense avec le détournement et les surfacturations dans les commandes d’armement et d’équipement de nos forces de défense et de sécurité.
A cela s'ajoutent les restrictions des droits publics, l’interdiction systématique des manifestations et de toute évidence, la boulimie du pouvoir d’un individu.
JS : Les Nigériens manifestent des sentiments pro-russes et anti-français. Quels arguments avancent-ils ?
BT : Il ne s’agit pas de sentiments anti-français mais plutôt de l’expression d’un ras-le-bol de la politique africaine de la France et de l’échec du partenariat avec la France, en plus d'une aggravation de la situation sécuritaire de la région. Nous vivons ensemble et aucun Français n’a été pris en partie. Mais les manifestants se sont rués vers l’Ambassade de France, pour demander le retrait des troupes françaises dont l’échec au Sahel n’est plus à démontrer.
Malgré leur présence avec tous les moyens dont ils disposent, à Ouro Guéladio, une localité non loin de Niamey, la capitale du Niger, nos populations sont chassées de leurs villages par les terroristes sans qu’aucune mesure ne soit prise. Dans la commune d’Anzourou, située dans la région de Tillabéri (sud-ouest du Niger et proche du Mali), les populations ne peuvent plus vaquer à leurs activités champêtres sans risque de se faire abattre.
Les populations demandent un changement de stratégie et de partenaire plus sincère. Sur ce point la Russie a démontré son efficacité et elle ne comporte aucune attitude paternaliste dans ses liens avec les pays africains contrairement à la France.
Pour en savoir plus sur les crises sahéliennes, lire: Les « crises sahéliennes » entre perceptions locales et gestions internationales
JS : Que pensez-vous des déclarations de condamnations de la communauté internationale ?
BT : Toutes ces organisations sont dans leur rôle. Le principe est qu’on arrive au pouvoir par les urnes et non par la force. Mais je ne comprends pas le caractère cynique et inhumain de sanctions infligées à notre peuple déjà meurtri par tant d’années d’insécurité et de souffrance pendant lesquelles jamais ces mêmes institutions communautaires n’ont daigné lever une armée pour nous venir en aide.
On aurait voulu voir ces organisations mettre en place des dispositifs qui favorisent la bonne gouvernance, qui poussent les acteurs à respecter les règles démocratiques quand ils sont au pouvoir et non de venir asphyxier les peuples quand ils se libèrent. Le peuple nigérien saura être résilient et s’en sortira parce que la liberté et l’affirmation de sa souveraineté ont un prix qu'il a décidé de payer.
J’en appelle à la sagesse de Faure Gnassingbé, président du Togo qui, comme au Mali, n’a jamais cessé d’œuvrer pour des solutions africaines aux crises africaines, de se mobiliser au côté du Niger et de son peuple pour un dénouement heureux de cette crise passagère.
JS : Tandis que l’UA et la CEDEAO annoncent des menaces et sanctions, les militaires reçoivent l'appui des gouvernements de transitions du Mali, Burkina-Faso et Guinée. Est-ce une nouvelle carte qui se dessine dans la CEDEAO ?
BT : Absolument! Les institutions continentales et régionales par leur comportement en parfaite déphasage avec les aspirations des peuples poussent les pays qui ont décidé de prendre leur destin en main à se sortir du carcan impérialiste et de l’engrenage fatal du sous-développement en affirmant leur pleine et entière souveraineté à se soutenir mutuellement et à se mettre ensemble. Avec le soutien du Burkina-Faso, du Mali et de la Guinée, nous avons un couloir qui s’est ouvert de la façade de l’Océan Atlantique jusqu’à la Méditerranée en passant par le Sahara, une occasion de réaliser le rêve d’émancipation et de développement de nos États qu’avaient nourri nos héros de la décolonisation comme Djibo Bakary, Ahmed Sekou Touré et Modibo Keita.
JS : Une confrontation entre les forces de la CEDEAO et les alliés (Mali, Burkina, Niger, Guinée) ne conduirait-elle pas à une guerre régionale ?
BT : Cette hypothèse est tellement périlleuse pour la région et le continent que je garde espoir qu’on n’en arrive pas là.
Les dignitaires du régime déchu ont eu le temps d’intoxiquer l’opinion et de vendre leur version de ce qui est une simple prise d’otage de M. Bazoum par une partie de sa garde.
On assiste en fait à une dynamique collective de toutes les composantes des forces de défense et de sécurité du pays. La déchéance de M. Bazoum est un fait, et le peuple est sorti témoigner son soutien au Conseil national pour la sauvegarde de la patrie [CNSP qui est l'organe créé par les militaires suite au coup d'Etat] sur toute l’étendue du territoire, et dans la diaspora. Intenter une opération militaire dans ces conditions, c’est carrément instaurer une guerre civile dans le pays. Cela n’est dans l’intérêt de personne.
A présent que l'ultimatum de la CEDEAO a expiré, l'avenir du pays semble gravement compromis. Le Mali et le Burkina Faso renforcent leur solidarité avec les militaires au pouvoir au Niger en envoyant des délégations, ce qui pourrait présager d'une nouvelle crise au Sahel opposant diverses forces africaines.
1 commentaire
J’ose espérer que c’est une nouvelle ère de développement pour notre Pays.
Que la CEDEAO revoit sa position inhumaine en prenant des décisions sages au grand bonheur du peuple Nigériens et non d’un individu.
Vive le Niger