Cet article a été écrit par Leonardo Oliva, un membre du conseil éditorial CONNECTAS, et republié sur Global Voices dans le cadre d'un partenariat médiatique.
Lorsque les avions de l'armée de l'air américaine ont abattu trois « objets volants non identifiés » en février, le terme « OVNI » a fait fureur sur Twitter avant d'être rattrapé par le Super Bowl. Ces OVNIS étranges ont alimenté des théories surnaturelles et complotistes sur les aliens venus pour envahir la Terre. Cependant, comme l'a clarifié le Secrétaire de la Maison Blanche, Karine Jean-Pierre : « il n'y a aucune preuve d'activité extraterrestre » dans les objets détectés.
Ces épisodes mystérieux ont eu lieu après que les États-Unis ont abattu le ballon chinois de 60 mètres le 4 février. Il avait survolé une grande partie du territoire américain à 18 000 mètres d'altitude. Cet événement a déclenché la colère de Washington contre Pékin, accusé d'utiliser ces ballons dans le cadre d'un programme d'espionnage. En réponse, la Chine a affirmé que les États-Unis avaient violé son espace aérien avec des ballons plus de dix fois en un an, alimentant une escalade diplomatique qui a engendré la plus grande crise entre les deux puissances au cours de la dernière décennie.
L'escalade sino-américaine intervient alors que le 24 février marque le premier anniversaire de l'invasion russe en l'Ukraine, qui a mis l'Europe de l'Est en guerre et le monde au bord de la catastrophe.
Alors que les bombes continuent d'exploser dans la région ukrainienne du Donbass, et dans la perspective d'une « guerre froide » entre les États-Unis, la Chine et la Russie, l'Amérique latine observe de loin ces affrontements armés, diplomatiques et commerciaux. Cette distance avec laquelle les pays d'Amérique latine observent le conflit a conduit le ministre ukrainien des Affaires étrangères, Dmytro Kuleba, à leur demander récemment d'abandonner leur « neutralité ».
« Nous appelons tous les dirigeants de la région d'Amérique latine et des Caraïbes à mettre de côté cette soi-disant neutralité et à se ranger du bon côté de l'histoire », a-t-il déclaré depuis la capitale ukrainienne lors d'une vidéoconférence avec des journalistes de la région.
La position des dirigeants latino-américains
Cette position distante, ou plutôt ambiguë, est apparue clairement lors de la rencontre entre le président américain Joe Biden et le président brésilien Luiz Inacio Lula da Silva, le 11 février à Washington. Loin d'accepter de se joindre au leadership du président américain pour unir la communauté mondiale contre l'invasion russe, le Président brésilien nouvellement élu s'est proposé comme leader d'un « club de la paix » qui inclurait des pays comme l'Inde et la Chine pour résoudre le conflit entre la Russie et l'Ukraine.
Deux semaines plus tôt, Lula avait rejeté une demande du Premier ministre allemand Olaf Scholz, en visite officielle au Brésil, d'envoyer des munitions à l'Ukraine. Il a déclaré ne pas vouloir « provoquer les Russes » et a ajouté que « la Russie a commis une erreur grossière en envahissant le territoire d'un autre pays. Mais je crois que lorsque quelqu'un ne veut pas [discuter], aucun de nous ne peut [en discuter] ».
Le non-interventionnisme de Lula coïncide avec la position de la plupart des pays d'Amérique latine depuis que la Russie a attaqué l'Ukraine il y a un an. À l'exception du Nicaragua, de Cuba, du Venezuela et, dans une moindre mesure, de la Bolivie, qui ont cautionné l'invasion, les autres gouvernements ont préféré rester aussi distants que possible. Ils ne se sont pas associés aux sanctions commerciales contre Moscou et n'ont pas envoyé d'armes aux forces ukrainiennes. « C'est un peu la même chose qu'en Afrique », analyse Ignacio Hutin, journaliste argentin et spécialiste de l'Europe de l'Est, qui a couvert une partie des combats en Ukraine.
L'Amérique latine a besoin d'investissements et peu importe s'ils viennent de Russie, de Chine, des États-Unis, de l'Union européenne ou autre. On ne peut pas se battre avec n'importe qui.
Pour sa part, l'analyste international Vanni Pettinà reconnaît qu'il existe une « certaine froideur » en Amérique latine à l'égard de la guerre en Ukraine. Et il l'explique par un aspect historique : celui de considérer la Russie comme un contrepoids à l'hégémonie nord-américaine. M. Pettinà, qui est chercheur au Centre d'études historiques du Collège du Mexique, affirme :
Cet anti-impérialisme est automatiquement activé en cas d'intervention américaine, mais pas lorsqu'une autre puissance viole le droit international.
Jusqu'à ce que la Russie décide d'envahir le territoire ukrainien, le gouvernement de Vladimir Poutine a maintenu une certaine présence en Amérique latine, que certains considèrent comme pertinente et que d'autres minimisent. L'ancien ambassadeur du Chili à Moscou, Pablo Cabrera, déclare : « Je n'ai jamais considéré que la Russie avait une influence très incisive au-delà de la vente de matériel militaire à certains pays. Elle avait peut-être une plus grande influence pendant la guerre froide, mais après sa sortie de Cuba et son implication relative au Venezuela, elle l'a perdue ». M. Hutin, quant à lui, apprécie la présence russe dans la région, même s'il admet qu'au niveau diplomatique, elle a perdu de son influence après l'invasion russe en Ukraine. Il ajoute :
Mais en termes commerciaux, je dirais que l'Amérique latine continue d'entretenir de bonnes relations avec la Russie. Le cas des engrais que Moscou vend au Brésil est assez célèbre, et la Russie ne cessera pas de les vendre au Brésil.
L'adaptation à une réalité géopolitique changeante
Il semble que l'Amérique latine maintienne ce difficile équilibre politique pour éviter de s'aliéner une quelconque puissance. Mais après un an d'une guerre qui semblait éphémère et qui menace maintenant de s'étendre dans le temps (et l'espace ?), le monde tourne son regard vers les mystérieux ballons chinois qui, selon certaines informations, auraient également survolé d'autres pays comme la Colombie.
Les gouvernements latino-américains peuvent-ils continuer à regarder avec des jumelles ces conflits entre puissances sans se laisser entraîner dans l'une ou l'autre position, comme ils l'ont fait face aux bombes en Europe de l'Est ? « Il est dans l'intérêt de tous que la compétition qui dure depuis une décennie entre les États-Unis et la Chine ne dégénère pas, comme c'est le cas au moins depuis la présidence Trump, en une voie d'hostilité de plus en plus ouverte », répond M. Pettinà.
Le retour à une segmentation mondiale en blocs qui réduisent l'espace d'autonomie et obligent les pays à s'aligner sur une option ou une autre est un scénario qui, historiquement, n'a pas favorisé l'Amérique latine.
L'ancien ambassadeur Cabrera estime que face à l'invasion russe, l'Amérique latine a montré « des divisions idéologiques qui ne correspondent pas à une catastrophe humanitaire comme celle-ci ». Et que « conformément à sa tradition, elle aurait dû avoir une position commune face à la guerre, d'adhésion à la paix et à la sécurité internationales ». Cabrera fait le pari qu'en 2023, la région adoptera cette attitude face à l'extension possible d'un conflit dont il ne voit cependant pas la fin si lointaine.
Pour l'heure, comme l'anticipe Hutin, « il y aura probablement une escalade militaire majeure des troupes russes dans les prochaines semaines », juste au moment du premier anniversaire d'une attaque que seuls les Etats-Unis et l'Union européenne ont immédiatement condamnée sans équivoque. De son côté, la Chine a d'abord adopté une position distante, qui se rapproche aujourd'hui de plus en plus de Moscou, tout en envoyant des ballons-espions (de nature météorologique, selon Pékin) survoler le ciel américain, en menant des exercices militaires menaçants à Taïwan et en menant une guerre commerciale avec les États-Unis sans qu'aucun vainqueur ne soit en vue.
Comme l'a écrit l'universitaire Enrique Gomáriz Moraga, les signes d'une transformation globale vers un monde bipolaire existent. Un monde où un nouveau centre de pouvoir eurasien, fondé sur l'autoritarisme, cherche à supplanter l'ancien, centré sur l'alliance atlantique et la démocratie de type occidental. Dans ce contexte, les gouvernements latino-américains doivent décider s'ils continuent à marcher sur la corde raide de l'ambiguïté, au risque d'être emportés par les vents d'une nouvelle guerre froide.