La Géorgie a enregistré des progrès considérables en matière d'égalité des genres. Récemment, ces progrès ont été salués par le Comité pour l'élimination de la discrimination à l'égard des femmes (CEDAW) alors qu’était examiné le sixième rapport périodique [en] présenté par la Géorgie en février. Le Comité a observé « la pléthore de mécanismes, de plans et d’actions visant à faire progresser les efforts en faveur de l’égalité et de l’autonomisation des femmes, pour lutter contre la violence sexiste et la violence domestique. »
Cependant, malgré de nombreux progrès, il existe encore des lacunes qui, selon Niko Tatulashvili, Conseiller auprès du Premier ministre géorgien, nécessitent « une révolution mentale », en plus des lois et d’autres mécanismes nécessaires. Lors d'un entretien récent avec Global Voices, les auteures d'un rapport à venir dans le cadre du projet Defeating Gender Inequality (Vaincre les inégalités de genre) en Géorgie, Maya Talakhadze et Ekaterine Khositashvili, ont également évoqué la notion de mentalité.
Le projet est une initiative conjointe entre le Disruption Network Lab et le Regional Development Hub-Caucasus. Emmy Thume, une journaliste allemande qui s'est rendue en Géorgie en septembre et a publié un article sur la violence domestique dans le pays, a aussi participé au podcast. Ensemble, les trois intervenantes ont partagé leurs réflexions sur l'état de l'(in)égalité entre les genres en Géorgie, les conclusions du rapport et les prochaines étapes. L’interview complète en podcast accompagnant cette histoire est disponible ici.
Les origines du rapport
Dans un entretien accordé à Global Voices, Maya Talakhadze, qui dirige le Regional Development Hub-Caucasus, partenaire de Disruption Network, a déclaré que l'idée de la recherche était née au début de la pandémie de COVID, à l'époque où les femmes étaient obligées de rester à la maison avec les auteurs d’abus et de violences. Finalement, quatre thèmes principaux ont été identifiés pour le rapport : le harcèlement sexuel sur les lieux de travail, la violence domestique, la participation économique et la participation politique des femmes en Géorgie.
Chacun de ces thèmes a donné lieu à des conclusions à la fois négatives et positives, a déclaré Ekaterine Khositashvili lors de l'entretien. Par exemple, depuis 2019, la Géorgie a adopté une série d’amendements aux lois et codes existants concernant le harcèlement sexuel au travail, introduisant le concept de harcèlement sexuel sur le lieu de travail et dans la vie publique. Selon Ekaterine Khositashvili, malgré le cadre juridique et les mécanismes mis en place pour protéger les victimes de harcèlement sexuel au travail, le taux de recours pour harcèlement sexuel est faible.
Out of twelve ministries in Georgia, five so far have introduced sexual harassment reporting mechanisms. What was interesting, however, as a result of our research, we were able to identify that were only two cases of sexual harassment instances reported through the mechanism in place.
Sur douze ministères géorgiens, jusqu'à présent, cinq ont mis en place des mécanismes de signalement de harcèlement sexuel. Ce qui est intéressant, cependant, c'est que nos recherches ont permis d'identifier que seuls deux cas de harcèlement sexuel avaient été signalés via les mécanismes en place.
Même si le rapport ne clarifie pas pourquoi ces chiffres sont si faibles, Ekaterine Khositashvili a déclaré que la probabilité d’une atteinte à la réputation pourrait avoir joué un rôle. « Les personnes interrogées ont mentionné qu'elles étaient hésitantes en raison des opinions de leurs collègues ainsi que des opportunités de carrière à l'avenir », a expliqué Ekaterine Khositashvili.
L’hésitation à signaler le harcèlement sexuel s’étend au-delà des institutions publiques. C’est également le cas des victimes de violences conjugales. Par exemple, même si les victimes peuvent demander un logement dans des refuges, elles hésitent souvent à le faire. « Elles pensent qu’elles ne sont pas assez fortes pour profiter de ces opportunités et pensent plutôt aux opinions et perceptions de la société. Donc, même si la loi offre aux victimes la possibilité de protéger leurs droits, en raison de la pression sociétale, les victimes ne peuvent pas jouir de ces droits », a ajouté Ekaterine Khositashvili.
Emmy Thume a également était témoin de cette hésitation lors de son séjour en Géorgie. « Dans les entretiens que j'ai menés avec des avocats et des femmes qui dirigent des refuges, ainsi qu'avec des militants de tous bords, [iels] ont mentionné la mentalité et l'état d'esprit patriarcal, qui font qu'il est plus difficile pour les femmes de dire leur propre vérité et de demander justice », se souvient Emmy Thume.
Selon les conclusions du rapport :
- La violence contre les femmes et la violence domestique restent des défis importants dans le pays. Les données collectées montrent que le taux de poursuites pénales dans les cas de violence à l'égard des femmes et de violence domestique est nettement plus élevé que le taux de bénéficiaires utilisant les services de prévention de la violence à l'égard des femmes et de la violence domestique, indiquant peut-être une sensibilisation insuffisante des femmes victimes de violence concernant les services publics disponibles ;
- Le nombre maximum de bénéficiaires dans les refuges pour victimes de violences ne correspond pas au taux de violence domestique dans le pays, ce qui peut constituer un facteur dissuasif pour les victimes potentielles ;
- Selon les données statistiques, le nombre d'ordonnances restrictives émises a augmenté et les cas de féminicide ont diminué ;
- Le féminicide reste une question cruciale, ce qui indique, entre autres, la nécessité de renforcer les capacités des forces de l'ordre sur le thème de la violence à l'égard des femmes.
Recommandations
Une façon de sensibiliser à l'(in)égalité des genres en Géorgie a été de se concentrer sur la littérature et les films, a déclaré Maya Talakhadze dans un entretien accordé à Global Voices.
The main reason we decided to include feminist literature and movie screenings as awareness-raising tools was because gender inequality is much deeper and bigger than law, and these channels [films and literature] provide us with insights about what we need to do more to empower each other. I am not saying that reading is some kind of magic that makes you stronger or powerful, but it does help. It gives insights. And it's not just reading or literature. There are other things that help us shape our opinions, position and our willingness to defend ourselves, and use our rights.
La principale raison pour laquelle nous avons décidé d'inclure de la littérature et des projections de films féministes comme outils de sensibilisation est que l'origine de l'inégalité entre les genres va plus loin que la loi, et ces médias [films et littérature] nous donnent un aperçu de ce que nous devons faire davantage pour nous soutenir mutuellement. Je ne veux pas dire que la lecture est une sorte de magie qui rend les gens plus fort ou puissant, mais elle peut définitivement aider. Elle donne des idées. Et il ne s'agit pas seulement de lecture ou de littérature. D'autres choses nous aident à façonner nos opinions, notre position et notre volonté de nous défendre et d'exercer nos droits.
Et, selon Maya Talakhadze, le retour a été positif — du moins pour les personnes ayant participé à ces événements.
Mais ces efforts doivent aller de pair avec un travail de sensibilisation financé par le gouvernement, explique Ekaterine Khositashvili. « Même si nous avons constaté que la stratégie de communication menée par le gouvernement fonctionne, il faut également travailler directement avec la population géorgienne à travers la culture, la littérature et le cinéma. Il est important que nous utilisions d’autres moyens de communication, car ce que fait le gouvernement ne constitue qu'un aspect du problème, et la société civile devrait se concentrer sur des activités parallèles.»
Quant aux recommandations et aux moyens d'aller de l'avant, veiller à ce que les femmes soient informées des services et des recours juridiques existants ; encourager les femmes à signaler les cas de harcèlement sur les lieux de travail ; renforcer les opportunités économiques pour les femmes (en particulier vis-a-vis des programmes économiques existants financés par l'État) ; offrir des programmes d'éducation préscolaire (dès la maternelle et l'école primaire) ; et simplifier le langage utilisé dans les textes de loi pour les rendre plus accessibles à tous sont autant d’options viables pour parvenir à une plus grande égalité des genres.
Aucune de ces recommandations et suggestions ne peut fonctionner sans un effort commun pour briser les stéréotypes profondément enracinés en Géorgie. Sur le plan juridique, la Géorgie est sur la bonne voie pour éliminer ces stéréotypes et d'autres formes de restrictions et de violations ; cependant, dans la pratique, il reste encore un long chemin à parcourir.