De faux vérificateurs russes font de la propagande sur la guerre en Ukraine

Art de rue à Tirana, Albanie, avec la devise « Soutenez l'Ukraine ». Photo de Filip Stojanovski, CC-BY 3.0.

Cet article d'Ana Anastasovska a été initialement publié par Truthmeter.mk, un service de vérification des faits de Macédoine du Nord, membre du Réseau international de vérification des faits (IFCN). Une version éditée est republiée ici dans le cadre d'un accord de partage de contenu entre Global Voices et Metamorphosis Foundation.

Peu de choses sont connues sur les personnes qui se cachent derrière le site Web russe de «vérification des faits» «War on fakes». Aucun de ses créateurs n'est identifié et ils se présentent uniquement comme des « administrateurs de plusieurs chaînes Telegram russes apolitiques ». Le site n'a pas de titre, de contacts ou d'adresse. Le service de vérification des faits de Poynter a vérifié ce site Web et a conclu que ses analyses font partie de la désinformation qui utilise des techniques bien connues de la propagande russe – incohérence, grand nombre d'affirmations et répétition de déclarations sur des contre-vérités évidentes – pour confondre le public qui tente de savoir ce qui se passe réellement en Ukraine.

Depuis le début de l'invasion totale de l'Ukraine, la Russie et ses partisans ont utilisé une arme très puissante de leur arsenal, les campagnes de désinformation, pour déformer le rôle de Moscou dans la guerre. Chaque jour, Truthmeter et d'autres membres de la communauté mondiale des vérificateurs de faits dévoilent de nombreux mensonges qui visent à détourner l'attention des possibles crimes de guerre russes ou à dénigrer les opposants au Kremlin. Cependant, les médias russes continuent de diffuser de la désinformation et utilisent diverses méthodes pour semer la confusion  dans l'esprit du public. Un site Web et une chaîne Telegram gérés par la Russie prétendent vérifier les faits faussement pour lutter contre la «guerre de l'information lancée contre la Russie». Le site War on Fakes affirme dans son «Manifeste» (affiché dans la colonne de droite de son site Web) qu'il «considère qu'il est important de fournir des informations impartiales sur ce qui se passe en Ukraine et sur les territoires du Donbass, car il y a des signes d'une guerre de l'information lancée contre la Russie».

Ce site a publié un texte le 4 mars 2022, peu après l'attaque de l'Ukraine par la Russie, affirmant que les Ukrainiens menaient une guerre de l'information contre les Russes. Selon le texte intitulé «Guerre contre les rumeurs», les Ukrainiens utilisaient apparemment des acteurs professionnels et des logiciels de montage vidéo pour créer des images de soldats russes morts et de villes ukrainiennes dévastées afin de présenter les forces russes de manière «hostile».

PolitiFact, le service de vérification des faits de l'institut américain à but non lucratif Poynter, a analysé ce site Web et a estimé que ses vérifications de faits relevaient de la désinformation et utilisaient des techniques bien connues de la propagande russe – incohérence, grand nombre d'affirmations, répétition de déclarations sur des contre-vérités évidentes – pour semer la confusion dans l'esprit du public qui cherche à savoir ce qui se passe réellement en Ukraine. Luiz Romero, collaborateur de PolitiFact, a écrit :

War on Fakes utilise une stratégie courante de la propagande russe : elle utilise des informations trompeuses pour submerger les lecteurs, les rendant méfiants à l'égard des sources d'information officielles et incapables de croire à la possibilité même d'une vérité objective.

Le projet réussit en modifiant la structure de la vérification des faits. Les lecteurs qui s'attendent à trouver la vérité ultime dans les vérifications des faits sont en fait trompés.

Il y a peu d'informations sur les personnes qui se cachent derrière ce site russe de « vérification des faits ». Le site n'a pas d'auteurs identifiés et les créateurs se présentent comme des « administrateurs de plusieurs chaînes Telegram russes apolitiques ». Le site n'a pas d'adresse, de coordonnées ou d'entête.

En revanche, les médias qui vérifient les faits respectent des règles strictes sur la transparence du personnel, de la propriété et des sources de revenus. L'adhésion au code de principes de l'International Fact-Checking Network (EFCN), qui fonctionne à l'échelle internationale, et à l'European Fact-Checking Standards Network (EFCSN), qui a créé un code d'intégrité professionnelle pour les vérificateurs de faits européens approuvé par 44 organisations européennes, permet de mettre en place des normes d'autorégulation.

Les membres de ces réseaux acceptent volontairement un audit annuel indépendant ou une évaluation externe qui garantit que leur travail a été objectif et conforme aux codes. Les faux vérificateurs de faits, tels que War on Fakes, qui ne fait partie d'aucun de ces réseaux, n'ont rien fait de tout cela.

Comment War on Fakes démystifie-t-il la « désinformation » ?

En recherchant les « vérifications des faits » sur ce site Web, nous avons découvert un « vérificateur des faits russes » concernant les informations sur le bombardement de l'immeuble résidentiel de Dnipro, qui a causé la mort de 46 personnes. Selon des sources ukrainiennes, y compris du Centre d'études stratégiques et internationales aux États-Unis, le bâtiment résidentiel a été touché par un missile de croisière russe Kh-22. Lors de l'invasion russe en Ukraine, l'explosion d'un bâtiment de neuf étages a été l'attaque la plus mortelle. Cependant, War on Fakes prétend « exclusivement » que l'édifice a été détruit par un missile de défense aérienne ukrainien.

 

À l'instar des vérificateurs de faits, « War on Fakes » utilise des visuels où le mot « fake » est imprimé en lettres rouges grasses. Capture d'écran de waronfakes.com, utilisation équitable.

En janvier 2023, Truthmeter a également écrit sur la tentative de la Russie de rejeter la responsabilité pour l'explosion du même bâtiment en Ukraine. Après cette attaque, une enquête a révélé que le bâtiment avait été atteint par un missile Kh-22 russe. La défense ukrainienne ne possède pas les compétences requises pour tirer ce type de missile. Les médias internationaux ont diffusé cette information sur la base de données de la défense aérienne ukrainienne, qui ont précisé l'origine exacte de l'attaque : la direction de Koursk en Russie.

Un missile antinavire Raduga Kh-22 sous un avion Tupolew Tu-22M. Photo du domaine public de l'utilisateur Wikipedia JNO.

Le but principal de ce missile à longue portée, créé à l'époque soviétique, est de supprimer des navires à une distance d'environ 600 kilomètres. Il était destiné à être utilisé comme missile antinavire pour les cuirassés lourds tels que les destroyers, les croiseurs et les porte-avions.

Depuis mai 2022, la Russie a commencé à utiliser ces missiles comme armes lourdes pour détruire des cibles au sol dans le cadre de son agression totale contre l'Ukraine. Plusieurs de ces missiles ont détruit un centre commercial à Kremenchuk en juin, causant la mort de plus de 20 civils. Généralement, les bombardiers stratégiques Tu-22M tirent des missiles depuis l'air.

L'objectif est de semer la confusion dans l'esprit du public et de saper la confiance en les vérificateurs de faits authentiques.

Roman Osadchuk, représentant du laboratoire de recherche en criminalistique numérique du Conseil atlantique, a déclaré à l'AFP :

Depuis l'invasion de la Russie, l'initiative  « War On Fakes » (guerre contre les rumeurs) s'est transformée en une centrale de diffusion de fausses informations. C'est un outil efficace de propagande d'État et la désinformation. Elle fonctionne principalement parce que la vérification des faits est généralement utilisée par les lecteurs pour rechercher des « informations objectives » en tant que source « faisant autorité ».

L'enlèvement du format de vérification des faits ne fait que renforcer la guerre de l'information liée à l'invasion, comme l'appellent les analystes, posant ainsi de nouveaux défis aux véritables démystificateurs de la désinformation. Madeline Roache de NewsGuard a également déclaré à l'AFP :

Les fausses vérifications de faits risquent de saper la confiance dans les médias crédibles et les institutions légitimes de vérification des faits … Ils peuvent également fausser la perception de l'Ukraine et de l'Occident et donner l'impression qu'il est impossible d'obtenir des faits sur la guerre.

War on Fakes a souvent publié des vérifications de faits sur le même sujet, parfois avec de multiples déclarations opposées qui submergent les lecteurs. L'article de l’AFP cite également Jakub Kalensky, analyste principal au Centre européen d'excellence pour la lutte contre les menaces hybrides, qui a déclaré : « L'objectif est d'embrouiller le public, de le surcharger. … Le résultat idéal sera un consommateur qui finira par dire ‘il y a trop de versions des événements, il m'est impossible de trouver la vérité ».

Les Russes utilisent régulièrement le format de vérification des faits pour diffuser de la désinformation. Le projet Unreliable Publications a été lancé par le ministère russe des Affaires étrangères en 2017 dans le cadre de son site Web, où il publiait des fact-checks. Ben Nimmo, Chercheur principal au Digital Forensic Research Lab de l'Atlantic Council, a analysé les 11 histoires publiées au cours du premier mois d'Unreliable Publications.

De plus, le projet d'information FakeCheck, lancé par le réseau de télévision public RT en 2017, visait à « séparer les faits des fausses informations ». Sur les neuf articles publiés au cours des deux premières semaines de sa mise en place, Nimmo a déclaré que quatre d'entre eux contenaient des « informations incorrectes et éventuellement partielles avec des preuves non pertinentes ou insuffisantes ».

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