A Vitshumbi, un lac se vide de poissons et aggrave la malnutrition à l'est de la RDC

Des enfants des pêcheurs qui aident leurs parents à charger des filets de pêche dans la pirogue à Vitshumbi ; Photo de Victoire Mbuto, utilisée avec permission

Cet article est repris sur Global Voices dans le cadre d'un partenariat avec www.icicongo.net . L'article original est à retrouver sur le site icicongo .

Dans l’enclave de Vitshumbi, à 120 km au Nord de Goma, ville du Nord-Kivu à l'Est de la République Démocratique du Congo (RDC), la pêche ne mobilise plus: le poisson est devenu une denrée rare. Pourtant, la pêche est l’unique ressource de la population de cette enclave côtière du lac Edouard du parc national des Virunga.

Le mardi 25 juillet à 16h30 à Vitshumbi, des dizaines de pirogues sont en ancrage sur le lac. Le ciel vire à l’orage. Au loin, pointent trois petites formes. Au fur et à mesure que les secondes passent, elles grandissent: ce sont des pirogues. Elles se fraient un chemin parmi celles qui sont stationnées.

Un capitaine de pirogue, qui attend impatiemment que ses amis reviennent des zones de pêche explique:

« Cette vitesse avec laquelle elles avancent veut dire qu’elles n’ont pas une grande charge. Pourtant, cela fait cinq jours qu’ils sont partis »

À la suite de la baisse de la pêche, de nombreux pêcheurs ont opté pour un système appelé “campement au lac”. Une pirogue désormais sans moteur peut rester plus d’un mois sur les eaux du lac;  ses petites captures de poissons sont évacuées par une autre pirogue qui approvisionne par la suite les pêcheurs en farine de manioc et autres biens de première nécessité. Ces pirogues sont appelées « Mumbekaye (en français “Aidez moi à transporter”)

Aujourd'hui à l'arrivée au rivage, chaque pirogue a, à son bord, une dizaine de poissons. Les pêcheurs ont des visages renfrognés: pas contents de leurs prises. Ils débarquent les filets, les casseroles et les braséros qui leurs servent d’outils de cuisson. Un autre capitaine de pirogue lance:

Le lac est vide de poissons !

Cette lamentation revient sur toutes les lèvres des pêcheurs de cette contrée. Pourtant, il y a encore plus de dix ans le lac Edouard était classé parmi les lacs les plus poissonneux d'Afrique.

Des poissons qui disparaissent

Des mamans vendeuses des poissons au marché des Vitshumbi ; Photo de Victoire Mbuto, utilisée avec permission

Auparavant, vers les années 1990 une pirogue de pêche pouvait capturer entre 1 000 et 1 500 poissons. Mais la donne a bien changé, comme l'indique Joseph Kamabale, un pêcheur local:

Aujourd’hui on a du mal à saisir même une cinquantaine. C’est avant 2014 que la production était importante.

Pendant cette période des patrouilles circulaient et travaillaient sous la responsabilité intégrale de l’Institut congolais pour la conservation de la nature (ICCN). Conséquence aujourd'hui du non-encadrement des pêcheurs: chacun pêche comme bon lui semble. Nombreux vont jusqu’à utiliser des filets ayant des petites mailles et qui capturent des alevins.

Kameso Sapata Jeanot, chef adjoint du Syndicat des armateurs, pêcheurs individuels, artisanaux et environnementalistes de Vitshumbi (SAPIAVi) confirme la disparition des poissons:

Cette carence est en croissance vertigineuse depuis près d’une décennie.

D’année en année, Vitshumbi voit ainsi l’espoir de bonnes pêches s’amoindrir. Pascal Kasereka Mbakula, coordinateur des officiers de pêche sur le lac Édouard et chef du service pêche et élevage à Vitshumbi déclare:

Nous sommes passés en peu de temps de 15 000 tonnes à moins de 400 tonnes de poisson par an.

Pour comprendre les conditions de la pêche à Vitshumbi, lire: Vitshumbi, une enclave de pêche coincée entre le lac, le parc et le M23

Selon Justin Muhindo Muvunga, Coordinateur du collectif des techniciens de pêche et environnementalistes du lac Édouard, la pêche illicite s’organise de plusieurs manières: utilisation de filets de petites mailles, pêche à la nasse ou au tam-tam, utilisation des filets électriques appelés « Nyatanzube ». Il dénonce des cas de corruption et d'inégalités du secteur:

Certains pêchent même dans les frayères (lieux de reproduction des poissons). Et comme ils payent les hommes en arme,… ils sont protégés. De plus en plus des jeunes poissons disparaissent dans ce lac.

Pour des membres du SAPIAEVI, les pêcheurs sont en grande partie auteurs de cette destruction du lac avec la complicité de certains agents de l’État. Même son de cloche pour des techniciens environnementalistes qui lient aussi cette pêche prohibée à la multiplicité des groupes armées dans la région.

De plus en plus de malnutrition

Préparations d'embarquer pour la pêche à Kyavinyonge, dans une pêcherie sur la côte Ouest du Lac Edouard ; Photo de Victoire Mbuto, utilisée avec permission

La localité de Vitshumbi a toujours rimé avec poisson frais, naturel et bio. Mais aujourd’hui manger du poisson dans cette enclave relève du luxe. La présidente de « Umoja wa mama wa ziwa Édouard », une structure féminine des vendeuses de poissons explique :

Les gens venaient de partout au Nord-Kivu pour s’approvisionner en poisson ici à Vitshumbi. Tout semblait facile. Un poisson moyen coûtait localement 500 FC (0,3 dollar américain) ou 700 FC (0,4 dollar américain) pour le plus cher. Mais aujourd’hui ce n’est plus le cas. Le prix du poisson a augmenté. Un poisson de grande taille coûte désormais 3000 ou 5000 FC (2 dollars américains) localement.

Dans cette localité, la plupart d’enfants n’étudient plus et plusieurs pêcheurs n’arrivent plus à se construire même une maison en pisé. La présidente de l’Union des épouses des pêcheurs pour le développement intègre du paysan, indique que des parents n’arrivent plus à répondre aux besoins de leurs familles. Elle déplore :

Actuellement, on enregistre de plus en plus des enfants malnutris. Pourtant cette maladie n’existait pas ici à Vitshumbi.

Cette malnutrition pousse de nombreux pêcheurs à abandonner leurs pirogues pour prendre la houe et aller cultiver le sol dans les villages montagneux sur la rive-ouest du lac Edouard. En cultivant cette zone, ils détruisent le corridor écologique du parc des Virunga. A ce rythme, Le lac, qui ne produit plus de poissons en quantité insuffisante sert d’espace de jeu pour les enfants et de source d’eau pour le village sans plus le nourrir

2 commentaires

  • Patrick MUSAMBALI

    Le gouvernement congolais devrait prendre des mesures idoines pour relever ces défis alimentaires. Les cas des personnes qui souffrent de la malnutrition, sont devenus de plus en plus légions.

  • Guillaume

    En traversant dans cette période ici chez nous à vitshumbi, la plupart des gens ils sont entrain de changé le milieu pour voir comment ils pourraient s’adapter pour une autre vie…… alors que chez nous nous vivrons dans une paradis vraiment…
    Comment nous pouvons lutter contre la malnutrition ici chez nous à vitshumbi ?

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