
Image de point de vente de forfait data à Abidjan, Capture d'écran de la chaîne YouTube de France24
La Côte d'Ivoire adopte une nouvelle réglementation instaurant une taxe à valeur ajoutée sur les transactions en ligne dans le pays.
L'internet en Afrique a contribué à une digitalisation rapide de tous les domaines d'activités. Le continent bénéficie d'un taux de pénétration de l'internet à 43% depuis décembre 2021, ce qui permet un foisonnement d'opportunités d'affaires axées sur le digital. Ainsi la création d'entreprises est rendue beaucoup plus facile dans la majorité des pays, particulièrement pour les startups digitales qui ne cessent croitre dans presque tous les pays du continent. A titre d'exemple, dans le domaine de la Fintech (technologie financière), selon Jeune Afrique, entre 2019 et 2021, le nombre de startups dans ce domaine passe de 311 à 564, soit une augmentation de 81%.
Dans plusieurs secteurs, les entrepreneurs n'ont plus besoin de disposer de locaux et de matériels de bureau pour avoir leurs entreprises. Le bureau est délocalisé sur internet, permettant ainsi aux entrepreneurs de faire des économies, mais aussi d'éviter de payer certaines taxes et impôts.
Cet état de fait est en train de changer car plusieurs pays comme la Côte d'Ivoire, prennent des mesures pour obliger ces entrepreneurs digitaux à contribuer aux financements de l’État à travers diverses taxes.
Des changements liés en partie à la pandémie
En 2020, pendant la crise sanitaire de la Covid-19, la vente en ligne a été une bouée de sauvetage pour l'économie ivoirienne alors que le taux de pénétration de l'internet est de 25,5% dans le pays.
Une étude de l'Autorité de régulation des télécommunications/TIC de Côte d'Ivoire (ARTCI) évoque une croissance rapide du chiffre d'affaire du secteur, même si seulement 5% de la population ivoirienne, estimée à plus de 26 millions d'habitants, utilise le e-commerce, comme l'explique le site de la compagnie Jexport :
L'e-commerce en Côte d'Ivoire a connu une croissance rapide ces dernières années, avec une augmentation du nombre de sites marchands et des volumes de ventes en ligne. (…) le marché du commerce électronique en Côte d'Ivoire a atteint près de 100 milliards de francs CFA (plus de 162 millions de dollars américain) en 2020, soit une croissance de plus de 50 % par rapport à l'année précédente.
Ces chiffres d'affaires ont amené les autorités à réfléchir sur une stratégie pour faire payer des taxes et impôts aux e-commerçants.
Le 26 octobre 2023, la Direction Générale des Impôts (DGI) de la Côte d'Ivoire a publié une note explicative pour informer les propriétaires des plateformes de vente en ligne que leurs opérations seront soumise à une taxation de 18% sur leurs commissions au titre de la taxe sur la valeur ajoutée (TVA) dans les six mois suivant la publication de cette note. La note indique que la mesure sera applicable dans un délai de six mois à compter de la date de la signature, c'est-à-dire, avril 2024. Abou Sié Ouattara, directeur général de la DGI explique dans cette note que:
Les marchés en ligne désignent le services à travers lesquels une plate-forme numérique met en relation directe des fournisseurs de services avec des potentiels clients utilisateurs de ladite plateforme et facilite la conclusion de transactions entre ces parties. Ces marchés portent sur divers services. Notamment, la vente et la livraison de repas en ligne, la location en ligne de logements, la location en ligne de véhicules.
Selon ladite note, cette taxe concerne des opérations en ligne telles que les services de publicité en ligne, les services de données en ligne, les marchés en ligne, les services de contenus numériques, les services de jeux en ligne, les services d'informatique en nuage (Cloud), les plateformes de réseaux sociaux, les moteurs de recherche.
Dans une publication, le Magazine Croissance Afrique commente cette mesure prise par les autorités ivoiriennes:
Cette nouvelle disposition vise principalement à corriger un tort fait aux opérateurs économiques classiques qui s’acquittent régulièrement de leurs taxes au titre de la TVA. Cette TVA vise à établir une équité fiscale entre les entreprises dites traditionnelles et celles en ligne.
Un secteur fragile qui risque d'être trop pénalisé
Bien que la décision des autorités vise à établir une équité fiscale entre tous les commerçants, la mesure est jugée trop sévère selon certains observateurs. Dans une publication, le média Kessiya de la blogueuse et entrepreneuse ivoirienne Edith Brou estime que la décision est une épée à double tranchant pour les jeunes entrepreneurs ivoiriens. La publication explique que :
(…) je crains que cette mesure, si elle n’est pas mise en œuvre avec discernement, ne freine l’innovation et la croissance du e-commerce en Côte d’Ivoire. Les startups locales, qui n’ont pas les mêmes ressources que les mastodontes internationaux, pourraient être les premières victimes de cette réglementation. Une TVA trop lourde pourrait augmenter les coûts pour ces jeunes entreprises, réduisant ainsi leur compétitivité.
Plus loin, l'article fait une analyse et plaide pour une mise en œuvre progressive de la mesure :
(…)nous plaidons pour une mise en œuvre progressive et réfléchie. Il est essentiel d’accompagner les acteurs locaux, surtout les plus petits, pour qu’ils ne soient pas écrasés par cette nouvelle charge fiscale. (…) en réalité, le e-commerce souffre toujours du faible taux de bancarisation, des frais élevés de transfert d’argent et de certaines restrictions.
En effet, l'accès à l'internet n'est pas donné à tout le monde. Certes le taux de pénétration de l'internet augmente et atteint 34% 2023, mais son coût, même s'il a baissé, reste élevé: le coût du gigaoctet est aujourd'hui à 1000 FCFA (1,62 dollar américain) alors qu'il était à 1800 FCFA ( 3,06 dollar américain) en 2022. Pour autant, le revenu moyen mensuel de la population est de 135 742 FCFA (220,37 dollars américains).
En avril 2023, le coût de l’internet jugé trop cher avait suscité la colère de certains acteurs politiques comme Tiemoko Antoine Assalé, député et maire de la ville de Tiassalé, située au nord d’Abidjan, la capitale économique du pays. L'homme politique lance alors un appel invitant la population à boycotter, du 8 au 10 avril et entre 12h et 14h, des produits de tous les opérateurs de téléphonie mobile du pays, ainsi qu'en témoigne ce message qu'il publie sur son compte Facebook.
Cette déclaration suscite plus de 5 600 interactions et 1 700 commentaires.
Même si le taux de chômage en Côte d'ivoire est de 2,7 % (selon les DonnéesMondiales), la réalité sur le terrain du non-emploi touche souvent la moitié ou plus de la population, et surtout des jeunes. Il est donc essentiel de pouvoir maintenir le maximum d'emplois, y compris dans le secteur des services en ligne. L'état ivoirien est donc face à un dilemme crucial.