
Des partisans de l'opposition affrontent la police alors qu'ils tentent de rejoindre la place du 13 Mai suite à un appel de 10 candidats refusant de participer à l'élection présidentielle de 2023, le 4 novembre 2023 à Antananarivo. Photo de Rijasolo, utilisée avec permission.
Madagascar se prépare en Novembre à une élection présidentielle hautement contestée et déjà reportée une fois suite à des manifestations et violences policières.
Pour en savoir plus sur Madagascar, lire notre dossier spécial Madagascar, une société déstabilisée
Global Voices a interviewé le photographe malgache Rijasolo car il couvre également l'actualité politique à travers des images saisissantes. Né en France, il retourne régulièrement à Madagascar en 2004 et crée un atelier de photographie pour jeunes à Diego Suarez, une ville portuaire du Nord du pays. En 2011 il revient sur l'île définitivement et signe un premier livre en 2013 “Madagascar, nocturnes” sur la nuit malgache.
“La guerre des zébus” – un projet photographique de 2013 à 2022 lui vaut une récompense en 2022 au prestigieux concours World Press Photo dans la catégorie “Afrique, projet longue durée”. Les photos de Rijasolo sont aussi visibles sur son site ainsi que sur Instagram.

Portrait de Rijasolo© Sonia Rutenburg, photo utilisée avec permission
Filip Noubel (FN) Qui pratique la photographie à Madagascar et où est elle visible ?
Rijasolo (R): Depuis l’avènement des appareils photo numériques à Madagascar, il y a dix ans, beaucoup de jeunes se sont lancés dans une pratique professionnelle de la photographie. Cette pratique exclusive de la photographie, qui leur permet de vivre et cela dans beaucoup de domaines, comme par exemple le mariage, la publicité ou le reportage corporate. Quelques collectifs de photographes et d'agence de photographes professionnels se sont ainsi, créés surtout dans la capitale Antananarivo.
En ce qui concerne la photographie documentaire et de reportages, la pratique a vraiment pris un essor au même moment que les autres pratiques photographiques, c’est-à-dire dans les années 2010-2012. Mais les photographes reporters professionnels indépendants sont encore assez rares. Je ne mets donc pas dans le lot les photographes de presse salariés qui travaillent au sein des journaux malgaches, et dont le travail n'est pas assez respecté à mon avis par leurs employeurs.
Comme toutes pratiques visuelles et artistiques, la photographie malgache est surtout visible sur les réseaux sociaux, je pense notamment à Instagram ou Facebook qui sont des plates-formes de diffusion qui ont permis de faire connaître énormément de photographes. Il existe aussi des lieux d’exposition, des centres d'Art qui peuvent montrer de la photographie et qui ont une belle notoriété et une vraie mission de promotion des arts visuels à Antananarivo. Mais pour le moment, par rapport à cette émulation qui est vraiment en plein essor, la photographie malgache a encore besoin de plus de moyens et de lieux pour pouvoir se montrer dans la capitale malgache.
Toutefois depuis cinq ans environ, la photographie malgache s’exporte énormément et se montre dans des festivals internationaux de photographie, dans des expositions ou des galeries à travers le monde. Ceci est très stimulant pour l’avenir de la photographie malgache.

Des partisans assistent à une réunion des onze candidats de l’opposition à Antananarivo, le 21 octobre 2023. Photo de Rijasolo, utilisée avec permission.
FN: Quel a été votre parcours professionnel comme photographe?
R: Pour ma part j’ai commencé la photographie il y a un peu plus de 23 ans. Ma formation est purement autodidacte. J’ai commencé à travailler en argentique, en laboratoire photo noir et blanc de façon très artisanale, et c'est en 2007 que j’ai intégré un cours professionnel de formation en photojournalisme dans une école de journalisme à Paris. À partir de là je me suis orienté vers le photoreportage et la photographie documentaire, et j’ai décidé d'en vivre complètement.
J’ai commencé à travailler régulièrement en tant que photographe freelance pour des magazines et journaux français comme Libération, Le Monde, Paris Match. En 2007 j'ai co-créé avec d’autres photographe-reporters notre collectif qui s’appelle RIVA PRESS qui est toujours actif et présent, et qui nous a permis de faire connaître notre travail et nos identités de photographe documentaires indépendants.
En 2011 j’ai ensuite décidé de venir m’installer à Madagascar, mon pays d’origine pour pouvoir apporter une autre façon de raconter mon pays. Depuis, je corresponds régulièrement avec des médias internationaux, des ONG ou des institutions internationales. Depuis 2013, je suis également photojournaliste correspondant pour l’Agence France presse (AFP).

Des membres de la police anti-émeute se rassemblent au centre ville d'Antananarivo le 2 octobre 2023. Photo de Rijasolo, utilisée avec permission.
FN: Quelle est la situation préélectorale et comment l’appréhendez-vous comme photographe?
R: Il est assez compliqué d’expliquer de façon claire et nette quelle est la situation pré-électorale ici à Madagascar. Ce qui est sûr c’est que nous vivons une crise politique faite de soubresauts, de fausses informations, de beaucoup de gesticulations dans les rues qui ne portent pas encore leurs fruits pour l’opposition.
Donc en résumé il est vraiment très tôt pour savoir vers où cette crise politique se dirige. Dix candidats, sur les 13 se portant à l'élection présidentielle, ont décidé de ne pas participer à la campagne électorale, et donc de ne pas participer au scrutin. De l’autre côté, nous avons trois candidats qui ont décidé de mener campagne comme si de rien n’était, comme si cette crise politique n’existait pas. Tout cela est assez perturbant comme situation pour nous, en tant qu'observateurs. C'est comme si le pays était vraiment partagé en deux et comme si nous étions dans deux pays différents.
En tant que photojournaliste correspondant pour l'AFP, il est difficile de faire des analyses concrète et pertinentes sur cette situation. Mon travail se concentre alors tout simplement à couvrir et à parler des faits, de ce qui se passe dans la rue, des manifestation, de la réaction des autorités. Parler des faits et raconter en photo le plus honnêtement possible la situation actuelle.

La police anti-émeute disperse les opposants à coups de grenades lacrymogènes à Antananarivo le 7 octobre 2023. Photo de Rijasolo, utilisée avec permission.
FN: Quels sont les grands noms de la photographie malgache et africaine que vous souhaiteriez faire connaître à notre audience globale?
R: C’est assez difficile de faire un choix sur les grands photographes malgaches ou africains, de dire qui je devrais citer ou pas, car il y en a vraiment beaucoup. Mais si je dois me concentrer sur Madagascar, on ne peut évidemment pas s’intéresser à la photographie malgache si on ne connaît pas le travail du photographe Pierrot Men. Ce photographe couvre et raconte son pays de l’intérieur depuis plus de 30 ans. Il est le photographe contemporain, vivant et emblématique de Madagascar.