Madagascar: regain de tension à la veille d'une élection présidentielle à haut risque

Capture d'écran de la chaîne YouTube de France 24

La situation politique à Antananarivo, capitale de Madagascar est de plus en plus instable alors que la répression des manifestations de l'opposition se poursuit. L'élection présidentielle prévue pour le 16 novembre pourrait être compromise si aucune entente n'est trouvée entre les protagonistes.

Depuis le début d'une manifestation appelée la marche blanche du 2 octobre, un collectif de dix candidats poursuit son mouvement dans les rues de la capitale pour réclamer une élection juste et équitable. Toutefois, ces manifestations sont parfois empêchées par les forces de l'ordre.

Lire : A Madagascar, des manifestations contre la candidature du président sortant empêchées

Date d'élection reportée, campagne électorale inéquitable

L'élection prévue initialement pour le 6 novembre a été reportée au 16 novembre suite à la requête d'un candidat en lice, Andry Raobelina, blessé lors d’une manifestation.

Réduite à trois candidats suite à un boycott du groupe des 10, la campagne électorale,  a déjà commencé. Le président sortant, Andry Rajoelina a pris une longueur d'avance alors que le candidat Sendrison Daniela mène discrètement sa campagne faute de moyens financiers. Le candidat Siteny Andrianasoloniaiko s'est retiré du collectif initial des 11 candidats et a décidé de franchir le pas pour lancer sa campagne.

Les 10 candidats restants poursuivent quotidiennement leurs marches pacifiques dans différents quartiers de la capitale, et condamnent le caractère truqué de l'élection en exigeant le respect des règles démocratiques et électorales. Les 10 candidats estiment que Andry Rajoelina garde le contrôle sur les institutions pour sa réélection.

Appel au dialogue sans résultat

Dans ce contexte tendu, un appel au dialogue a été lancé par les forces vives de la nation, comme le Conseil œcuménique des églises chrétiennes de Madagascar (FFKM), les organisations de la société civile, l'Assemblée nationale par le biais de sa présidente, Christine Razanamahasoa. Le 18 octobre, à l'occasion de l’inauguration de la session ordinaire de l’Assemblée nationale, celle-ci exprime ses inquiétudes quant à la situation actuelle du pays:

J’étais tentée d’aborder l’approche par la voix du peuple qui seul détient la solution. Mais, le contexte sur le non-respect des valeurs et des normes m’ont vite dissuadée. Dire que dans les conditions actuelles, seule la consultation du peuple par la voie des urnes est l’unique solution, alors que les normes morales et les normes universelles sont loin d’être remplies, ouvre la voie vers une spirale de crises.

Dans son allocution, elle fait également appel la communauté internationale qui s'inquiète de la situation dans un communiqué récent, à s'engager dans un dialogue. Razanamahasoa insiste:

J’exhorte la communauté internationale car il y a urgence à agir, le temps n’est plus à la diplomatie. Les consultations de toutes les forces seront nécessaires, les consultations et les échanges de vues avec les pays amis de Madagascar se feront, et l’entente et la collaboration constructive avec les forces de l’ordre seront établies .

Toutefois il semble que le candidat Andry Rajoelina ne voit pas la nécessité d'un dialogue car il ne fait aucune déclaration dans ce sens.

Interviewée le 12 octobre par Radio France Internationale sur l'impasse dans laquelle se retrouve actuellement Madagascar, Ketakandriana Rafitoson, directrice exécutive de  l'ONG Transparency International Madagascar a déclaré:

(…) le premier pas serait que le candidat numéro trois, Andry Rajoelina, ouvre la porte au dialogue avec le collectif des 11 candidats. Parce qu’il faut absolument qu’ils s’assoient autour d’une table et dressent la situation du pays. S’ils se disent aussi patriotes les uns que les autres, ils doivent se concerter pour voir quelle sera la meilleure issue.

Nouvelle dispersion des manifestants et des arrestations

Lors de la manifestation du 28 Octobre au Coliseum Atsonjombe, une grande place située à Antananarivo, le collectif des 10 candidats a promis de durcir le mouvement. Nombreux partisans ont été mobilisés pour se réunir sur l'emblématique place du 13 mai, le 4 novembre pour une marche pacifique. Depuis cette mobilisation, le gouvernement et différentes institutions de l’État ont mis en garde contre toute tentative d’investir ladite place. Par conséquent, tous les endroits qui mènent vers cette place sont quadrillés par les forces de l'ordre.

La manifestation de l'opposition du 4 novembre a toutefois eu lieu mais a été de nouveau réprimée par les forces de l’ordre à coups de tirs de grenades lacrymogènes. On compte au moins une dizaine de blessés, dont trois journalistes et dix personnes arrêtées.

Pour en savoir plus, lire La crise politique malgache vue par le photographe Rijasolo

NewsMada Les Actus sur sa page Facebook publie une image des forces de l'ordre en train de disperser les manifestants à coup de tirs des gaz lacrymogènes:

Les forces de l'ordre dispersent les manifestants. Photo: Newsmada. Utilisé avec permission

Deux poids, deux mesures

Contrairement à cette répression des manifestations du collectif, ce même 4 novembre, les sympathisants d'Andry Rajoelina ont organisé sans aucun incident un carnaval dans la capitale dans le cadre de leur campagne présidentielle. Ceci amène Hajo Andrianainarivelo, candidat à l'élection, à poster sur son compte X:

Lire aussi : Une multitude de candidats face à Andry Rajoelina à la conquête du fauteuil présidentiel malgache

Présence des forces de l'ordre dans certains quartiers loin de la place du 13 mai

Divers incidents témoignent de la tension dans la capitale. Ainsi, une voiture garée au bord de la route a été touché par une bombe lacrymogène du coté d’Ankadifotsy, un quartier un peu loin de la place du 13 mai. Il y a eu un incendie mais le feu a été vite maîtrisé.

Une voiture garée cible d'un gaz lacrymogène. Utilisé avec permission

Les forces de l'ordre continuent les poursuites dans les ruelles pour traquer les manifestants qui s'opposent aux candidats officiels. Cette image publiée par la journaliste Poussy Best sur sa page Facebook en témoigne:

Photo I-BC. Utilisé avec permission

Dans ces circonstances de répression et de poursuite, prendre en image ou filmer les forces de l'ordre en pleine action de représailles n'est pas toléré. Cette vidéo illustre les forces de l'ordre qui battent un simple citoyen qui a pris une photo/vidéo avec son téléphone et exigent qu'il la supprime.

Un candidat arrêté

Le 6 novembre, un des candidats initiaux, Jean Jacques Ratsietison a été arrêté par les gendarmes lorsqu'il tentait d'entrer sur la place du 13 mai, mais il a été relâché en début de soirée. Un dizaine de personnes arrêtées le 4 novembre ont comparu devant le tribunal ce même jour. Cinq ont été incarcérées et les cinq autres sont sous contrôle judiciaire. Leur procès doit se tenir le 9 novembre prochain. Face aux journalistes, Ratsietison a déclaré:

 Je suis encore sous le secret de l’instruction. Je peux vous dire seulement que les chefs d’inculpations qui pèsent contre moi et les personnes arrêtées sont: voie de fait, violences, attroupement illicite, tentative de coup d’État et outrages aux forces de l'ordre. Comment aurais-je pu faire un coup d’Etat, moi Ratsietison, avec mes deux mains? pfff .. J’attends désormais mon procès. »

La tension reste donc toujours vive à une semaine de l'élection présidentielle à Madagascar. Le climat d'agitation marqué par la répression des manifestations organisées par les 10 candidats et la pression policière fait grandir l'incertitude. La grande interrogation est de savoir si l'élection aura lieu comme prévu et dans des conditions de sécurité acceptables. 

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