Il y a des clôtures, des portes et des gardes de sécurité. C'est quelque chose qui a résonné pendant des années dans les médias jamaïcains, mais un rapport récent de Al Jazeera Plus, amplement diffusé dans les médias locaux, a déchaîné à nouveau le débat sur une affaire très proche du cœur des Jamaïcains : l'accès limité qu'ils ont aux plages de l'île.
You know who can’t access Jamaica’s white-sand beaches? Jamaicans. pic.twitter.com/EFOHsA6YPg
— AJ+ (@ajplus) September 25, 2023
Savez-vous qui ne peut pas accéder aux plages de sable blanc en Jamaïque? Les Jamaïcains eux-mêmes. pic.twitter.com/EFOHsA6YPg
— AJ+ (@ajplus) 25 septembre 2023
D'après le rapport, il y a 74 plages publiques sur l'île, mais nombreuses d'entre elles sont difficiles d'accès, elles sont mal situées ou l'accès est payant. Cependant, le Ministre du gouvernement responsable du secteur a déclaré :
In keeping with the Beach Access & Management Policy, Jamaica has 76 beaches in total that are either owned by government agencies or private entities. @MHureccjm
— MEGJC (@megjc_jm) February 2, 2021
D'après le règlement concernant l'accès et l'administration des plages, la Jamaïque dispose de 76 plages au total, qui sont la propriété du gouvernement et de particuliers. @MHureccjm
— MEGJC (@megjc_jm) 2 février 2021
Malgré le fait que toutes les plages ne soient pas encore publiques, elles restent en bon état (le gouvernement a promis de les améliorer), pour les Jamaïcains, se rendre à la plage est la principale source de détente. Que ce soit pour un événement social, une réunion familiale, une célébration avec des amis ou une fête privée, souvent c'est l'occasion de se détendre tranquillement en fin de semaine ou pendant un jour de congé.
La plage est un espace précieux, où les enfants peuvent courir en toute liberté et les adultes profitent de l'air pur et de leur plat préféré pour déjeuner ensemble proche de la mer, le poisson frit avec du bammy (pain plat à base de manioc). Les jours fériés sont des jours de plage pour les Jamaïcains; membres des congrégations religieuses et d'autres groupes communautaires, jeunes et moins jeunes, prennent le bus et se rendent vers la côte. Mais les plages n'offrent pas uniquement un lieu de divertissement sain, elles sont aussi sources de revenus pour de nombreuses personnes, en particulier pour les pêcheurs.
Dans la vidéo de Al Jazeera, qui montre la côte nord où les grands centres touristiques se multiplient depuis 1990, un pêcheur dit : « Où il n y a pas de clôtures, il y a de grands murs en béton. Nous retournons au système colonial. Un blogueur jamaïcain dit que la situation se rapproche de l'apartheid. »
Cependant, ce ne sont pas tous les Jamaïcains qui sont d'accord avec certaines des revendications qui se trouvent dans la vidéo, par exemple avec l'affirmation selon laquelle les habitants locaux peuvent uniquement accéder à 1% de la totalité des plages :
Drive along main road from Kingston to Portland. Stop in any community & ask them where is the nearest beach.
Miles of unnamed community beaches in almost every community. No restrictions.
If u aren't from there u won't even know there is a beach down that road.
📍St Thomas pic.twitter.com/ov08aGYcu8
— Vela Kuti 🇯🇲 (@VellusAurelius) September 26, 2023
Descendez la rue principale, de Kingston à Portland, et demandez à n'importe quelle communauté où se trouve la plage la plus proche.
Il y a des kilomètres de plages publiques, sans nom, dans presque toutes les communautés. Il n'y a aucune restriction.
Si vous n'êtes pas de la région, vous ne pouvez pas savoir qu'au bout de n'importe quelle rue se trouve une plage.
📍St Thomas pic.twitter.com/ov08aGYcu8
— Vela Kuti 🇯🇲 (@VellusAurelius) 26 septembre 2023
Ce commentaire a déclenché un autre débat, déjà que de nombreuses personnes se demandaient si en réalité il existe tant de plages inconnues, mais accessibles au large de la côte Sud-est. Après avoir vu la vidéo, l'économiste Damien King a suggéré que le problème est dû à la question de savoir s'il faut payer pour accéder à la plage, bien que dans certains cas c'est le résultat d'un « mauvais régime foncier de la terre » au fil des années :
This is shocking and scandalous. I mean, it would be if it were even remotely true. But it isn't. Jamaicans have access to scores of beaches. The issue is not access. It's access without paying for the cost of cleaning and maintaining the space. And that's a different issue. https://t.co/LlWR1bUDE6
— Damien King (@DamienWKing) September 27, 2023
C'est choquant et scandaleux. Enfin, ça le serait si c'était un tant soit peu vrai. Mais ce n'est pas le cas. Les Jamaïcains ont accès à de nombreuses plages. Le problème n'est pas l'accès ; c'est l'accès sans payer le coût de l'entretien et du nettoyage, et c'est un autre problème. https://t.co/LlWR1bUDE6
— Damien King (@DamienWKing) 27 septembre 2023
Quelques plages qui avant étaient gratuites sont encore ouvertes au public, mais il faut payer pour entrer. Par exemple, le gouvernement a loué la plage de Puerto Seco sur la côte Nord, à une entreprise privée qui a renouvelé et rouvert la plage en 2018.
L'article de Al Jazeera a mis en avant l'aide réalisée par le mouvement environnemental jamaïcain Birthright (JaBBEM), groupe formé en 2022 qui gagne constamment des adhérents. « Nous souhaitons la décolonisation de cette terre », a dit son fondateur, Devon taylor. Le site web du groupe a souligné les aspects culturels et historiques des plages de la Jamaïque :
Our pristine and rustic beaches are themselves living entities and are part of the soul of our island nation. They are limited and fragile environmental entities that need to be cherished. Some of our fondest holiday memories, spiritual awakening and inspiration happen on our beaches. Our fisherfolks help feed this nation from the sea. Part of our darkest history can be told on the beaches of Jamaica on which our enslaved ancestors landed and were dehumanized by slavery.
Nos plages rustiques et immaculées sont en elles-mêmes des entités vivantes qui font partie de l'âme de notre île-nation. Ce sont des entités environnementales rares et fragiles qu'il convient de chérir. Certains de nos meilleurs souvenirs de vacances, notre éveil spirituel et notre inspiration se sont produits sur ces plages. Depuis la mer, nos pêcheurs contribuent à nourrir la nation. Des pans sombres de notre histoire se sont déroulés sur les plages de la Jamaïque, où sont arrivés nos ancêtres réduits en esclavage et déshumanisés.
Se ha lanzado una petición que, entre otros asuntos, solicita que se “revoque y reemplace inmediatamente” una ley de la época colonial, la ley de control de playas de 1956. La petición expresa:
Une pétition a été lancée qui, parmi les autres problèmes, suggère que l'on « supprime et remplace immédiatement » une loi de l'époque coloniale, la loi sur le contrôle des plages de 1956. La pétition déclare :
This law was the product of a colonial mindset that has remained on the books unchanged, and allows for discrimination against the Jamaican people. This law is arguably racist and should have no place in the body of laws of Jamaica…
Cette loi a été le produit d'une mentalité colonialiste qui est restée inaltérée dans les libres, et qui accepte la discrimination contre les Jamaïcains. Cette loi est raciste et ne devrait pas figurer dans les textes des lois jamaïcaines.
Dans son essence, la loi de 1956 ne donne aucun droit inhérent aux jamaïcains concernant l'accès aux plages.
Entre-temps, les journaux jamaïcains ont publié une nouvelle qui a suscité la surprise et la consternation : la société Concon envisage de construire un complexe de luxe à proximité de la plage Bob Marley, dans une partie de la côte sud où il y a peu de projets immobiliers. La plage a été fréquemment visitée par la star du reggae, ses amis et ses collègues musiciens dans les années 1970. Ce projet s'inscrit dans le cadre d'une campagne visant à attirer le tourisme, le logement et d'autres opportunités commerciales dans la partie sud-est de l'île, parallèlement à la construction en cours de la route South Coastcon, à quelques kilomètres au large.
Alors que l'objectif est de donner à la côte sud-est un emplacement important et d'attirer des marques de luxe, grâce au projet de modernisation de la South Coast Road, d'une valeur de plusieurs milliards de dollars, en ouvrant la zone aux investisseurs, il semblerait que les familles rastafari qui vivent dans la région depuis des décennies seraient déplacées. En 2022, l'entreprise de construction a nié qu'il pourrait y avoir un effet domino.
Le fils de Bob Marley, Ziggy, avec ses frères Cedella et Stephen, ont défendu le fait que les Jamaicaïns aient accès à toutes les plages de l'île. « Il n'y a pas d'autre manière d'honorer l'héritage de mon père » a dit JaBBEM dans une lettre ouverte datée d'octobre 2022.
Pendant ce temps, le gouvernement jamaïcain rédige une loi sur l'accès et la gestion des plages, pour laquelle il a organisé une consultation publique, sollicité l'avis du public et tenu des discussions avec les actionnaires ; il a organisé des consultations avec les parties prenantes au début de 2021. Les lobbyistes affirment qu'une telle loi, présentée au Parlement par le Premier ministre Andrew Holness en mars 2023, n'accordera que des droits limités aux Jamaïcains, bien que M. Holness ait précisé que « tous les Jamaïcains doivent avoir accès à nos belles plages ».
Dans un discours prononcé à l'occasion du lancement de la construction d'un autre grand hôtel tout compris sur la côte nord, le Premier ministre a déclaré que les Jamaïcains ne devaient pas être privés des ressources naturelles de l'île, notamment des plages.
JaBBEM a actuellement trois affaires en cours devant les tribunaux : la plage Bob Marley Bob Marley Beach susmentionnée, pour laquelle les résidents ont poursuivi en vain les promoteurs ; une deuxième affaire concernant Little Dunn's River à Ocho Rios, une plage publique populaire près de cette station balnéaire, qui a été fermée en août 2022, apparemment pour des raisons de sécurité, et qui n'a pas été rouverte. JaBBEM poursuit l'autorité gouvernementale chargée du développement urbain, qui n'a fourni aucune nouvelle information à ce sujet.
La troisième plage est Mammee Bay, également près d'Ocho Rios, où les habitants des communautés voisines ont lancé une pétition. Comme le montre la vidéo d'Al Jazeera, les habitants ont été privés de leur gagne-pain, qui n'est pas seulement la pêche mais aussi la vente de souvenirs, la location de jet-skis et d'autres activités de loisirs, parce qu'ils ne sont pas autorisés à accéder à la plage où un grand hôtel a été construit.
La Jamaïque n'est pas la seule île où les citoyens ne sont pas assurés d'avoir accès à ses plages, souvent en raison de l'élaboration de politiques touristiques qui écartent les habitants. À Saint-Vincent-et-les-Grenadines, des manifestations pacifiques ont eu lieu au début de l'année sur l'île de Canouan, à l'entrée d'un centre de villégiature. De même, à la suite de l'ouragan de 2017 qui a dévasté l'île de Barbuda, des complexes touristiques de luxe ont vu le jour et ont suscité des réactions inquiètes sur les médias sociaux. Alors que le gouvernement affirme que toutes les îles d'Antigua-et-Barbuda sont, de par la loi, libres d'accès pour ses citoyens, un rapport préliminaire sur la question est en cours de rédaction.
Pendant ce temps, un Jamaïcain affiche un magnifique coucher de soleil sur la plage de Bob Marley…
Le coucher de soleil, hier depuis la plage de Bob Marley 🌅 pic.twitter.com/KSwGAmXjAR
— Perpetually Good Yute (@cezbuelto) 8 octobre 2023
…tandis que quelqu'un d'autre dit qu'il profitera de la plage de Bob Marley aussi longtemps qu'il le pourra :
Lorsque les Jamaïcains parlent d'une “plage gratuite”, ils entendent par là :
-une plage dont l'entrée est gratuite
o
-Une plage dont l'entrée peut être payante, mais dont le coût n'est pas si élevé qu'il en limite l'accès et le plaisir.
Nous sommes reconnaissants de l'accès gratuit à la plage Bob Marley, tant qu'il dure.
✌🏽pic.twitter.com/4ujUfAif7S— MariaHitchins (@MariaHitchins) 28 septembre 2023