Disparition d'Henri Lopes: le métissage élevé au rang de valeur littéraire

Henri Lopes, capture d'écran de la chaîne YouTube de RFI

L'écrivain congolais Henri Lopes est décédé le 2 novembre 2023 à l'âge de 86 ans. Son oeuvre, écrite en français, représente une partie incontournable des littératures francophones africaines.

Né à Kinshasa en 1937, Lopes grandit à Brazzaville et choisit la République du Congo comme son pays. Après des études à la Sorbonne, il entame une carrière universitaire comme professeur d'histoire à Brazzaville. En 1969, il commence un parcours politique en tant que ministre dans diverses fonctions, et en 1981 rejoint l'UNESCO en tant que directeur général adjoint pour la culture et pour les relations extérieures.

Mais à côté de cette brillante carrière politique et diplomatique, il est aussi et surtout écrivain, auteur d'une dizaine de romans et essais qui marquent encore l'historie des littératures francophones d'Afrique.

Comme l'explique Désiré Nimubona, journaliste burundais interviewé par Global Voices:

Henri Lopes est décédé mais pas ses œuvres. Pour ceux qui ont étudié dans diverses écoles en Afrique et même au-delà, le nom d'Henri Lopes est respecté comme ceux de Léopold Sédar Senghor, Mongo BetiChinua Achebé, René Maran et bien d’autres figures de la littérature africaine ou antillaise.

L'hybridité est au coeur de Lopes et de son oeuvre. Il est né dans une famille mixte de parents eux-mêmes métis et abandonnés par leurs pères blancs,  ce qui explique son attachement au métissage, continue Nimubona:

Ayant longtemps vécu en France et au Congo, Henri Lopes est considéré comme un écrivain contemporain et moderne. Lopes est aussi vu comme un écrivain favorable au métissage, un principe littéraire qui prône l’adaptation et la considération de l’autre et de sa façon de vivre. Cette attitude est une façon de changer le regard vers l’autre et l’accepter, pour se voir aussi accepté.

C'est aussi ce que souligne LaRéus Gangoueus, chroniqueur des littératures africaines,  et lui même d'origine congolaise vivant en France. Il note que ce métissage se reflète jusqu'à la juxtaposition de différentes langues:

Cette question de la quête d’identité est une constante dans de nombreux romans d'Henri Lopes. Qui sommes-nous en tant que peuple? Comment nous définissons-nous en tant qu'individu? Cette question disparaît dans “Le pleurer-rire que je considère personnellement comme son meilleur roman même si on peut voir poindre dans l'écriture une forme d’hybridité, des tournures du lingala s’invitant dans la langue française.

Le métissage est donc au cœur de la démarche d’Henri Lopes. La littérature de l’écrivain congolais s’est construite comme une constante quête, un discours sur le rejet expliquant des personnages en mouvement, sur la possibilité de la fuite et de l’évasion, la dissimulation. Son dernier roman “Il était déjà demain croise le parcours singulier d’un jeune métis qui va se construire loin des deux Congo, du côté de Nantes et de Noirmoutier avant de retrouver le monde africain lors de ses études et de son militantisme. Mais les questions de son ancrage ou pas se posent déjà. C’est peut être cela qui a fini par me rendre attentif à son discours sur ce thème.

 

Une oeuvre qui fait référence en littérature comme en politique

L'entrée en littérature de Lopes date de 1971 quand il fait publier à Yaoundé au Cameroun son premier recueil de nouvelles “Tribaliques”  où il décrit les maux de la société congolaise et africaine, alors qu'il est á l'époque ministre congolais de l'Éducation.

Selon Richard Atimniraye Nyéladé, journaliste et chercheur camerounais qui se déclare panafricaniste:

En tant qu'écrivain, Henri Lopes a laissé une marque indélébile dans la littérature africaine moderne. Son œuvre, caractérisée par une réflexion profonde sur l'identité, la culture, et la société africaine, a contribué à enrichir le patrimoine littéraire de l'Afrique francophone. Son livre “Tribaliques” a reçu le Grand prix littéraire d'Afrique noire de l'Association des écrivains de langue française en 1972, attestant de sa capacité à saisir les complexités de la vie africaine à travers son écriture.

Mais il est impossible de séparer son engagement politique de sa carrière littéraire, comme le souligne Nyéladé:

Personnellement, je tiens à souligner une citation significative d'Henri Lopes, extraite de son livre “Le Pleurer-Rire”, qui résonne particulièrement en moi : “… un livre d'Africain vivant en ces temps et qui se respecte, ne peut être qu'engagé…”; Cette citation reflète parfaitement sa vision de la littérature comme un outil d'engagement envers le continent africain et son peuple. Il considérait la littérature comme une puissante force pour explorer les complexités de la société africaine et stimuler la réflexion critique.

Lopes marque profondément tous ses lecteurs, comme en témoigne LaRéus Gangoueus:

La littérature fonctionne sous certains aspects comme la musique. Elle fait partie de ces arts qui, en fonction du moment, des épisodes de la vie, vont avoir un impact considérable sur le lecteur. Henri Lopes fait partie des premiers auteurs africains que j'ai lus dans mon adolescence. Tribaliques d'abord au lycée. Le chercheur d'Afriques ensuite au Centre Culturel Français de Brazzaville, puis Sur l'autre rive ou Le pleurer-rire. Les premiers romans d'Henri Lopes m'ont plongé dans l'atmosphère révolutionnaire de la République populaire du Congo s'enfonçant dans un marxisme avec la composante de l'ethnocentrisme dans l'équation.

Et il conclut en partageant ses trois citations préférées de Lopes:

“Je n’ai qu’un passeport, mais deux pays. Deux pays intérieurs : ici et là-bas” (Le Méridional)

Le métis est un être ballotté entre plusieurs familles, qui appartient à trois tribus : celle de sa mère, celle de son père, celle des métis.” […] “Les parents des métis sont des précurseurs qui piétinent les frontières.” (Il est déjà demain)

“Je ne suis pas un congolais typique. Je l’ai dit ailleurs, je suis un SIF, un Sans Identité Fixe. Ce livre est précisément une tentative de réponse au flou de ma généalogie” (Il est déjà demain)

 

 

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