
Les rebelles du M23 lors de leur retrait de Kibumba, capture d'écran de la chaîne YouTube de Tv5monde
A l'est de la République démocratique du Congo (RDC) un groupe armé, le “Mouvement du 23 mars”, dénommé le “M23″, impose son autorité aux populations locales. Mais quel est l'historique de ce mouvement? Et quelles sont les conséquences de son action alors que le pays se prépare à des élections générales en décembre 2023?
Qui est le M23?
L'avènement du M23 fait suite au regain de tension après la guerre du Kivu. Ce conflit localisé à l'est du pays à la frontière avec le Rwanda débute 2004 et oppose les Forces armées de la République démocratique du Congo (FARDC) à nombreux groupes armés, dont le Congrès national pour la défense du peuple (CNDP) d'un certain Laurent Nkunda, homme politique et chef militaire du groupe ethnique tutsi. La RDC est un pays multiethnique dont font partie les Tutsis qui vivent en grande partie dans la région du Kivu.
Après cinq années de conflit, le 23 mars 2009, un accord de paix est signé entre l’État congolais et le CNDP pour mettre fin aux conflits. Dans cet accord, le groupe rebelle accepte de se reconvertir en parti politique mais réclame la libération de ses membres emprisonnés, une amélioration des conditions de vie des communautés Tutsis congolaises ainsi que trois départements ministériels dans le gouvernement au lendemain de l’élection présidentielle de 2011.
Le non-respect des clauses contenues dans l'accord par les autorités de la RDC conduit les ex-rebelles du CNDP intégrés à l'armée nationale après l'accord de paix à se mutiner. Ils créent ainsi en avril 2012 un nouveau mouvement, dénommé le M23 en rappel de la date du 23 mars 2009. Ce reportage de Tv5monde explique les origines du mouvement:
Le mouvement rebelle reprend donc les armes, et selon les autorités de Kinshasa, bénéficie de l'appui du Rwanda et de l'Ouganda. Toutefois, les autorités des deux pays nient toute implication, même si cet article d'Afrique XXI explique que:
« Kigali niait, mais nous, au front, il nous arrivait de capturer des combattants rwandais ou des soldats du M23 qui étaient passés par le Rwanda, explique, sous le couvert de l’anonymat, un gradé congolais ayant pris part au conflit en 2013. Le message, c’était d’anéantir le M23, point ! Il ne s’agissait absolument pas de mener la guerre jusqu’au Rwanda, même si, avec les informations qu’on avait, on savait parfaitement d’où et de qui venait cette guerre. Le Rwanda est dirigé par des Tutsi, le M23 est une mutinerie de soldats congolais tutsi, ils sont frères et parlent la même langue, ils avaient même souvent des liens familiaux au Rwanda. ».
La rébellion du M23 semble prendre fin quatre ans plus tard: appuyées par les casques bleus de l'Onu, les FARDC infligent le 5 novembre 2013 une défaite historique aux troupes du M23. Réduites au silence, elles se réfugient dans les pays voisins de la RDC dont l'Ouganda et le Rwanda.
Cette vidéo donne les détails de la victoire des FARDC :
Retour en force du M23
Mais presque une décennie après sa défaite, le M23 semble renaître de ses cendres. En mars 2022, le mouvement reprend en effet les armes pour mener des offensives sur des positions stratégiques de l'armée régulière dans la région, toujours avec l'appui du Rwanda selon des experts de l'Onu. La réelle motivation derrière cette résurgence des attaques du mouvement demeure la même: le non respect de l'accord de paix de 2009.
Le 25 mars 2022, Bertrand Bisimwa, chef actuel du M23 explique dans une publication sur son compte X (ex-Twitter) la volonté d'éviter une nouvelle guerre:
Nous avons tout fait pour éviter une nouvelle guerre dans ce pays. Cependant le gouvernement congolais a fait ses choix. pic.twitter.com/LoKwZYSaPM
— Bertrand Bisimwa (@bbisimwa) March 25, 2022
Interviewé par Tv5monde en avril 2022, Pierre Boisselet, coordinateur des recherches sur la violence à Ebuteli , un groupe d'études sur la RDC, donne plus de précisions sur le retour du M23:
Un an après la reprise des combats, loin d'être affaibli, le M23 gagne en espace et élargit son influence dans le Nord-Kivu. Ceci représente un véritable manque à gagner pour le pouvoir de Kinshasa qui cherche à reprendre ces territoires, et les sécuriser pour que les prochaines élections puissent aussi s'y tenir.
Risque d'instabilité lors des élections
La RDC se prépare à des élections générales fin décembre 2023. Le processus de révision des listes électorales s'est bien déroulé dans tout le pays, mais l'enrôlement des électeurs dans l'Est du pays a été très difficile. Ceci a même amené certains acteurs politiques et organisations de la société civile à demander un prolongement des processus d'enrôlement dans ces zones.
Lire : Les préparatifs pour les élections générales continuent malgré l'insécurité grandissante en RDC
Le retour en force du M23 joue un rôle déterminant durant le processus électoral. Avant tout, sa présence augmente le niveau d'insécurité dans une partie du pays qui représente la seconde province en terme de plus grand nombre de votants.
Obligés de fuir, le nombre des réfugiés internes ne cesse de grandir. Le Bureau de la coordination des affaires humanitaires de l'Onu (OCHA) cité dans un article de Tv5monde, du 19 novembre 2023, indique que :
La reprise des combats début octobre a déjà fait plus de 450 000 déplacés supplémentaire. Les provinces du Nord-Kivu, du Sud-Kivu et de l’Ituri abritent à elles seules plus de 5,5 millions de personnes déplacées.
De plus, au M23 s'ajoutent d'autres groupes rebelles dans la même zone. Il s'agit des Forces démocratiques alliées (ADF) qui, composées majoritairement de musulmans, attaquent les civils et se déclarent être affiliés au Groupe État islamique. Il y a aussi la branche rebelle des Forces nationales de libération (FNL) burundaises qui sont basées sur le territoire de Mwenga, dans la province congolaise du Sud-Kivu. Enfin, il y a également la Coopérative pour le développement du Congo (Codeco), un groupe engagé pour la protection de la communauté Lendu contre les Hemas et l'armée nationale dans la province de l’Ituri au nord-est du pays.
Tous ces groupes constituent donc un souci sécuritaire pour le pouvoir de Kinshasa qui n'a pas encore trouvé de solution pour la situation des rebelles du M23.
Les élections générales du 20 décembre seront donc sous haute tension et une escalade des violences pourrait embraser toute la région. Selon Bob Kabamba, professeur de sciences politiques à l'université de Liège, le risque de contagion ne se limite pas aux frontières de la RDC. Au micro de Tv5monde, il avertit:
Il faut souligner l’inquiétude de toute la région : l’est de la RDC, l’Afrique centrale, la Communauté de développement d'Afrique australe… tous tirent la sonnette d’alarme sur la situation au Congo, sur la persistance d’une insécurité qui pourrait impacter d’autres pays comme le Congo Brazzaville, la République centrafricaine et le Sud Soudan si le Congo se trouvait déstabilisé.