
Les Baka de Salapoumbe, au sud-est du Cameroun, se dirigent vers une plantation de cacao qu'ils cultivent. Photo de Leocadia Bongben utilisée avec autorisation.
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Yvette Moungonji, une femme Baka [fr] (peuple autochtone du Cameroun) de Salapoumbe [fr], dans le sud-est du Cameroun, invite les passants à une table où elle a exposé ses herbes à vendre. « Sauvez votre mariage. Sauvez votre mariage. Et voici comment s'y prendre », a-t-elle déclaré.
Ces herbes – ces écorces d’arbres – sont destinées à traiter la faiblesse sexuelle des hommes qui ne peuvent pas satisfaire leur femme au lit. Faire bouillir et boire un verre matin et soir. Après avoir évacué beaucoup d’urine, ils ressentiront l’effet.
Moungonji a continué à expliquer l'utilisation de ces herbes récoltées dans le Parc national de Lobeke. « Ces autres feuilles sont contre le poison dans le système », a-t-elle déclaré [fr] en désignant une bouteille contenant un liquide brun : « C'est pour les femmes de nettoyer les trompes de Fallope bouchées ; cela les aidera à concevoir et cela fonctionnera également en cas de menstruations douloureuses ».
Moungonji et des membres de 88 communautés Baka d'habitants des forêts disposent désormais d'un stock d'herbes plus important et plus frais, en plus des fruits comme les mangues sauvages et d'autres produits forestiers non ligneux pour survivre et pour vendre afin que l'argent généré soit destiné à envoyer leurs enfants à l'école.

Yvette Moungonji vend ses herbes. Photo de Leocadia Bongben utilisée avec autorisation.
En effet, si certaines communautés bénéficiaient déjà du droit d'accès aux parcs nationaux, ce n'est qu'après 19 ans, avec le renouvellement du protocole d'accord, que les Baka vivant autour des 156 000 ha (385 484,40 ac) de la réserve de Ngoyla dans le sud-est du Cameroun ont libre accès à la réserve. Auparavant, ils ne pouvaient accéder qu’à des zones situées en dehors de la réserve.
Joseph Johnson, président de l'Association Sanguia Baka Buma'a Kpodé-ASBABUK, représentant 88 communautés Baka, et Jules Doret Ndongo [fr], Ministre camerounais des Forêts et de la Faune, ont signé le protocole d'accord le 19 septembre. Le premier protocole d'accord, signé en 2019, a expiré en 2022 et a exclu certaines communautés. Les Baka de Salapoumbe et d’autres zones étaient inclus dans le premier protocole d’accord, mais ils ne pouvaient pas accéder aux aires protégées en passant par les concessions forestières.

Le Ministre des Forêts et de la Faune, Jules Doret Ndongo signe un protocole d'accord avec le président de l'association Baka, Joseph Johnson. Photo de Leocadia Bongben, utilisée avec autorisation.
Le récent protocole d'accord donne aux Baka un accès gratuit aux aires protégées et prend également en compte les zones autour du parc, notamment les chasseurs sportifs, les entreprises forestières, les gardes du parc et les responsables du parc.
Il est désormais prévu la signature d'accords séparés entre les Baka et les opérateurs du secteur privé qui gèrent des espaces importants en dehors des parcs pour un libre accès à travers leurs zones vitales ; par exemple, les concessions forestières et les zones de chasse sportive étaient initialement interdites dans les parcs.
Après des réunions et des consultations, les Baka ont convenu qu'en plus d'une gestion judicieuse des ressources, ils contribueraient également à la gestion de la forêt en aidant à dissuader les braconniers. Ils alertent les gestionnaires du parc de la présence de braconniers et s'abstiennent également de prêter assistance aux trafiquants d'animaux sauvages.
Le Fonds mondial pour la nature (WWF) a servi de conseiller auprès du ministère des Forêts et de la Faune et « a travaillé avec d'autres ONG au niveau communautaire pour informer les Baka de leurs droits et leur faire comprendre les étapes de la gestion des ressources naturelles dans les parcs », a déclaré Clotilde Ngomba , Directrice pays du WWF Cameroun.
Le WWF, l'organisation internationale en charge de la protection de la faune et la biodiversité, aidera les différentes parties à renforcer leur participation à la mise en œuvre du protocole d'accord et à renforcer les capacités des communautés Baka.
Françoise Bendje, membre de l'ASBABUK, a décrit ce que cela signifie pour les Baka :
Avant la signature du protocole d'accord, nous gérions le peu de ressources que nous recevions de la communauté, mais maintenant nous avons accès à un nouveau stock de ressources naturelles étant donné que les parcs n'ont pas été exploités.
Pourquoi un protocole d'accord pour les habitants des forêts ?
Les Baka vivent dans les forêts du sud-est du Cameroun depuis des temps immémoriaux et sont connus pour être les premiers gardiens de la forêt. Le mode de vie et les moyens de subsistance de ces populations semi-nomades dépendent essentiellement de la forêt.

Des Baka du sud-est du Cameroun en route vers la ferme. Photo de Leocadia Bongben, utilisée avec autorisation.
Cependant, la création des aires protégées dans la loi sur les forêts et la faune de 1994 a restreint les déplacements et l'exploitation des ressources naturelles, limitant ainsi la liberté des Baka, qui jusqu'alors n'avaient pas connu de telles restrictions. Le Parc national de Lobeke, d'une superficie de 21 785 ha (538 328,96 acres), a été créé en 2001 ; les parcs nationaux de Boumba Bek [fr] de 238 000 ha (588 110,81 acres) et de Nki [fr] de 309 362 ha (764 450,15 acres) ont tous deux été créés en 2005 et les anciens habitats des Baka sont devenus des aires protégées.
Par conséquent, des conflits ont éclaté entre les peuples autochtones, les écogardes et les gestionnaires du parc appliquant la loi. Le résultat de ces conflits a été des cas présumés d'abus perpétrés contre les Baka.
Ndobo Mariane Catherine, représentante de l'ASBABUK des divisions de Boumba et Ngoko [fr] du sud-est du Cameroun, a raconté :
Nous avons été battus et envoyés en prison. Certaines personnes se sont elles-mêmes fait justice et ont abusé des Baka, et la vie était vraiment dure. Les gardes forestiers ne nous permettaient pas d'entrer dans la forêt, même pour nos rites traditionnels. Nous avons dû rédiger des demandes auprès du gestionnaire du parc pour qu'il nous accorde l'accès à la forêt, ce qui est une procédure complexe. Nous avons dû braver de longs voyages pour demander l'accès, ce qui a dissuadé certaines personnes.
Les plaintes se sont multipliées et le gouvernement a dû intervenir pour tenter d'assurer l'accès des communautés Baka aux zones de ressources au sein des parcs. Un accord entre les peuples autochtones et l'administration forestière camerounaise a été jugé nécessaire.
Le gouvernement espère que l’accord servira à faire la promotion des droits des Baka sur les ressources naturelles, à éliminer les conflits entre les gestionnaires du parc et les Baka et à promouvoir une gestion forestière inclusive.
« La signature du protocole d'accord vise à prévenir les conflits entre le gouvernement et les peuples autochtones. Nous espérons que ce protocole d’accord changera cette situation », a déclaré Ndobo.
Protocole d'accord et vie antérieure des Baka
La forêt revêt une importance primordiale pour les Baka car elle constitue un réservoir de nombreuses ressources inestimables. Bendje déclare catégoriquement :
La forêt nourrit, traite et entretient notre population. C'est la pierre angulaire de notre existence. Sans forêt, notre survie est en jeu.
Et Ndobo ajoute :
Elle fait office de pharmacie, de terrain sacré pour les rituels coutumiers et de source de combustible vital pour la cuisine. La forêt est comme un livre qui résume notre histoire. Cependant, notre mode de vie traditionnel est en train de se moderniser, même s'il ne s'est pas complètement amélioré.
En raison de l'exploitation forestière intensive et des politiques, les chasseurs-cueilleurs sont obligés de vivre au bord de la route dans un village du sud-est du pays, où ils cuisinent et dorment. Beaucoup ont des sentiments mitigés face à cette situation. Certaines personnes n’aiment pas vivre en forêt, mais d’autres s’y habituent. « Nous vivons dans le village et allons de temps en temps dans la forêt pendant les périodes de chasse et de récolte », a expliqué Ndobo.
Certains Baka qui n'habitent plus la forêt se consacrent à la culture du cacao à proximité des villages où ils vivent désormais. Vivre dans la rue comporte également ses défis, car certains « riches » ont acheté des terres le long de la route et les Baka vivent dans la peur constante de se faire dire de partir. Forcés de quitter la forêt par l'exploitation forestière, ils souhaitent s'installer, mais n'en ont pas les moyens nécessaires pour traiter les titres fonciers là où ils s'installent. De plus, la procédure est longue et fastidieuse.
«Une fois délogés (du bord de la route dans le village), il n'est pas facile de recommencer la vie dans une autre région, car nous sommes obligés d'abandonner les plantations de cacao et d'autres biens», selon Ndobo.
Les Baka n’ont aucun moyen financier pour acquérir des titres fonciers. Cependant, avec l'aide de certaines ONG, il est prévu de les accompagner dans le processus d'accès à la terre. Ndobo a expliqué : « Il y a eu des réunions sur la manière dont les Baka peuvent acquérir des titres fonciers, mais quelque chose de concret n’en a pas encore abouti. »
Le peuple autochtone Baka du Cameroun a eu accès à de nouvelles ressources naturelles, mais loin de son ancien mode de vie
Le gouvernement camerounais accorde aux peuples autochtones Baka l’accès à de nouvelles ressources forestières, mais au détriment de leur ancien mode de vie semi-nomade.