Capture d'écran de la chaîne YouTube de Ninie Doniah

Les Malgaches sont en colère suite au décès, pour cause d'évacuation sanitaire trop tardive, d'une artiste-chanteuse et activiste luttant contre la corruption.

Eliane Virginie Bezara, connue sous le nom Ninie Doniah, est une artiste-chanteuse emblématique originaire de l'île de Nosy Be, au nord de Madagascar. Elle est décédée le 19 novembre 2023 à l’âge de 57 ans, alors qu'elle était en route pour rejoindre le centre hospitalier d’Antsiranana situé au nord de l'île principale de Madagascar dans le cadre d'une évacuation sanitaire.

Pour en savoir plus sur Madagascar, lire notre dossier spécial Madagascar, une société déstabilisée 

Surnommée la “reine de Salegy Malagasy”, Nine Doniah a rendu populaire le “salegy”. Ce style de musique est un rythme typiquement malgache joué avec des instruments comme la valiha, le kabosy, l’accordéon, la korintsana auxquels s'ajoutent les voix reprenant des chansons traditionnelles, du nord au sud de l'île. Au nord et à Mayotte, le salegy est aussi accompagné d'un rythme à mains nues appelé “rombo manofo” et d'une danse pratiquée par les femmes et appelée “mbiwy”.

Vers la fin des années 90, Ninie Doniah devient populaire dans les îles de l’océan Indien où elle donne des concerts avec des stars locales. Suite à son décès, c'est toute la communauté musicale de la région qui est en deuil. 

Voici la dernière vidéo de l'artiste:

Une artiste engagée et emprisonnée

Mais Ninie Doniah est aussi une activiste qui a toujours milité contre l'accaparement illicite de terrains dans sa ville natale par des personnes riches et des étrangers liés aux élites gouvernementales. Dans ses chansons, l'artiste s'est aussi engagée pour la cause des femmes. Ainsi, au travers de sa musique, elle a défendu la cause des opprimés en menant un ultime combat qui l’a mené droit en prison.

Selon Transparency International Initiative Madagascar, la grande île se trouve 142ème sur 180 pays avec un score de 26 sur 100 en terme d'indice de perception de la corruption ou IPC en 2022, un score inférieur à la moyenne. Le secteur foncier figure parmi les secteurs les plus exposés à la corruption à Madagascar selon le Bureau indépendant anti-corruption (BIANCO).

Le 17 décembre 2021, Ninie Doniah est arrêtée par les gendarmes de Nosy-Be pour s'être opposée à l'expulsion de personnes autochtones vivant dans ce lieu depuis des centaines d'années, selon le blog Tantarao Isan'andro en malgache. Le blog explique que:

Le peuple Zafinifotsy y vivait depuis des centaines d'années avant la colonisation et l'endroit était planté de cannes à sucre.

La communauté malgache se mobilise pour demander sa libération, cependant sa condamnation se poursuit. Ainsi, lors de son premier procès le 30 Juin 2022, Ninie Donia est condamnée à une peine de six mois d'emprisonnement ferme pour plusieurs chefs d’inculpation. Après avoir écopé cette peine initiale, elle devait être libérée, mais un nouveau procès est aussitôt engagé contre elle. Le 25 avril 2022, Ninie Donia écope de nouveau d’une peine de 18 mois de prison ferme après avoir été condamnée pour avoir formenté des troubles à l’ordre public en voulant empêcher un accaparement de terrain, et pour avoir mobilisé la communauté locale des Dahalo.

Refus de libération pour raisons sanitaires

Pendant la période de son incarcération qui s'étale sur plusieurs mois, Ninie Doniah est malade. Notant l'évolution de sa maladie, le directeur de la prison de Nosy Bé, puis le directeur en chef de l’hôpital de Nosy Bé demandent qu’elle soit évacuée au plus vite à l’hôpital d'Antsiranana. Sa famille aussi ne cesse de solliciter l’État pour qu'elle soit évacuée à Antsiranana, ou dans la capitale Antananarivo pour bénéficier de soins adéquats. Mais leurs appels restent lettres mortes auprès du gouvernement.

Lors du festival de musique Sômarôho de Nosy Be le 3 août 2023, Wawa, un artiste célèbre à Madagascar, s'agenouille en larmes pour demander directement au président Andry Rajoelina de libérer la reine du salegy afin qu'elle puisse se faire soigner, mais sa demande reste sans réponse.

Wawa, artiste Malgache qui s'est agenouillé pour demander à Andry Rajoelina la libération de Ninie Doniah. Photo utilisée avec permission

Tsara ho fantatra (Bon à savoir, en français), une page d'actualités, rappelle sur sa page Facebook ce geste du genou à terre du chanteur malgache Wawa pour demander la libération de son homologue:

Cette photo de Wawa agenouillé est une image célèbre. Wawa aurait plaidé auprès de ceux qui ont maintenu Ninie Doniah en prison, en particulier auprès de Rajoelina, et a demandé pardon et la libération de Ninie Doniah. Eh bien, comme d'habitude, personne n'a écouté.

Colère des internautes

Outre les hommages qui inondent les réseaux sociaux depuis l’annonce de son décès, la colère grossit dans toute la grande île, révélant une fracture profonde de la population avec le régime en place. De nombreuses voix s’élèvent et fustigent le gouvernement en place, l'accusant d'être responsable de la mort de l'artiste.

Heninkanja VH Rakotomanantsoa, journaliste de Kolo TV relaie sur son compte Facebook l'une des déclarations de la famille du défunte.

Ninie Donia, morte en prison pour avoir défendu les droits des Malgaches. Elle n'a pas volé, elle n'est pas entré par effraction dans les maisons, mais s'est battue pour les Droits des Malgaches…”

#La famille

MajorTommh, un utilisateur de X (ex-Twitter) parle sur son compte du militantisme de Ninie Doniah contre l’accaparement des terres à Nosy-Be:

Ninie Donia s’en est allée. Elle militait contre l’accaparement des terres à Nosy-be, entre autres, et avait été emprisonnée depuis un moment. Plusieurs personnes ont supplié pour sa libération ou son transfert en raison de sa santé.

— 🚶🏽 (@MajorTommh) November 19, 2023

Nomena, un autre utilisateur du réseau X explique sur son compte que Ninie Doniah a donné sa vie pour la nation, et se demande qui sont les vrais patriotes:

Ceux-ci qui donnent littéralement leur vie pour 🇲🇬. Les baratineurs se font naturalisés, te volent sans états d'âme et emprisonnent ceux qui défendent tes intérêts. Qui sont les vrais patriotes? Les crétins ne pourront jamais faire la différence! https://t.co/sPK5kD4HMd via @RFI

— Nomena (@nou_adr) November 21, 2023

Annah, une internaute malgache accuse directement le régime en place de l’avoir mise en prison parce que son activisme pour la défense des terrains de la communauté locale dérangeait leurs intérêts économiques:

L'artiste Ninia Donia est décédée suite à une maladie qu'elle a endurée en prison😭💔
Si vous aviez accepté de la libérer au lieu de protéger vos intérêts, elle n'aurait pas perdu la vie…
Elle a été emprisonnée pour avoir protégé les terres du peuple contre les étrangers. Lorsqu'elle a demandé un traitement, celui-ci lui a été refusé car on lui a dit qu'elle faisait du cinéma.
C'est votre égoïsme qui l'a tué😭😭😭💔
Vous êtes tous couverts de sang et complice du refus de sa libération pour se faire soigner 🥺
Oui, la reine Salegy est morte à l'heure où nous parlons… 💔💔😭😭💔💔

L’Agence Malagasy de presse, site d'information, lance le 19 novembre un avertissement à l'endroit du pouvoir concernant les détenus politiques actuellement malades au prison:

C’est la première fois qu’un artiste meurt en prison. Un avertissement pour ceux qui sont au pouvoir, étant donné que des journalistes sont également malades à Antanimora, Tsiafahy et Imerintsiatosika. Leurs soins sont précaires et ils ne sont plus en bonne santé. Nous citons, entre autres, Rolly Mercia, Lola, Mbola ou encore Malama. Vous voulez qu’ils meurent en prison ? Libérez-les SVP ! Le cas de Ninie Donie est la preuve d’un mauvais traitement dans les pénitenciers.

Ce décès intervient dans un contexte de très fortes tensions politiques. Les Malgaches sont en attente des résultats provisoires de l’élection présidentielle, prévue le 25 novembre 2023 par la Commission nationale électorale indépendante (CENI). La dernière tendance donne le président sortant, Andry Rajoelina en tête avec 59,94% des suffrages. Mais les fractures profondes révélées par ce scrutin restent toujours palpables. En effet dix candidats à l'élection qui ont refusé de participer à l'élection ont annoncé qu'ils ne cautionnerait pas ce scrutin.  De même, la communauté internationale et les observateurs électoraux internationaux invitent le gouvernement à recevoir les opposants pour instaurer un dialogue post-électoral.