Un musée russe d'art urbain pacifiste ouvre en ligne

«Pas de guerre. Saint Petersbourg. Cette inscription date du premier jour de la guerre.» Toutes les captures d’ écran viennent du site www.nowobble.net et sont utilisées avec permission.

L'anthropologue russe Alexandra Arkhipova et ses collègues ont collecté des exemplaires d'art urbain pacifiste — autocollants, graffitis, prospectus, et installations complexes — pendant un an et demi. Maintenant, tout le monde peut voir au même endroit les photos des 471 œuvres de 48 villes russes, méticuleusement classées, soigneusement traduites en anglais et clairement expliquées.

Pour en savoir plus : L'effort principal du langage de propagande russe consiste à donner l'impression qu'il n'y a toujours pas de guerre

Le site « No wobble » expose les œuvres d'art, et aussi l'histoire des symboles et du langage ésopien qui ont fait leur apparition en Russie après février 2022 ainsi que leur utilisation dans l'art protestataire. Le nom du site web en est un parfait exemple. 

Pour en savoir plus : Russian social media users now also want to say no to war while not actually saying it (Les utilisateurs des réseaux sociaux russes veulent maintenant aussi dire non à la guerre sans vraiment le dire)

Le site web explique: «en russe, les mots ‹guerre› (voina) et ‹chancellement› (vobla) se ressemblent phonétiquement et ont le même nombre de lettres, ce qui est important pour le langage codé.»

Les voyages organises bon marche nationaux et internationaux. Ils ne seront plus possibles a moins de mettre fin a la guerre. Dites "non" a la guerre.Cette oeuvre imite une petite annonce typique.

Capture d'ecran du site www.nowobble.net, utilisée avec permission.

En même temps, l'idée de la collection est venue de l'expérience personnelle. Peu après l'invasion massive de l'Ukraine par la Russie, un des auteurs des autocollants contre la guerre qui figure sur le site web a découvert que sa fille mineure dessinait des autocollants «pas de guerre» et avec ses amis, les collait dans les métros et dans les rues. Il a décidé de distribuer le reste lui-même, et ce faisant, il «tremblait et transpirait».

Capture d’écran du site www.nowobble.net, utilisée avec permission.

Sa peur n'était pas infondée. Les gens en Russie doivent payer une amende ou sont même emprisonnés pour moins que ça, comme pour avoir un ruban vert — un symbole de paix  — tressé dans les cheveux. Alors que de nombreux messages ne sont vus que par les passants, certains graffitis ou installations passent aux actualités. Lors de la journée de la Russie, un jour férié, le néologisme “Изроссилование” (Izrossilovaniye) qui combine les mots ‘viol’ et ‘Russie’ est apparu dans de nombreux fils d'informations. Quelque temps plus tard, son auteur a été arrêté. 

L'artiste Philippenzo a été arrêté au contrôle des frontières à son retour en Russie. Il a écopé d'un 19.3 [article du code russe des infractions administratives  «Désobéissance à l'ordre légitime ou à la requête d'un officier de police»], 15 jours de prison. Sa dernière œuvre à Moscou a été complétée le 12 juin 2023. pic.twitter.com/5E9ToUyfCG

Ainsi, selon le site, au moins 653 personnes ont été appréhendées pendant qu'elles collaient des autocollants ou dessinaient des graffitis, pour beaucoup l'art urbain reste la façon la plus sûre d'exprimer leurs sentiments contre la guerre ou contre le régime. 

Pour en savoir plus : Discours de l'artiste russe Alexandra Skochilenko lors de son procès à Saint-Pétersbourg pour des messages anti-guerre

Les gens continuent de poser des autocollants, de dessiner des messages, de placer de minuscules figurines et même de créer des grafittis complexes avec des citations bien connues, tout en restant aux aguets au cas où il y aurait des caméras de surveillance, des officiers de police ou des «patriotes» vigilants.

Capture d’écran du site www.nowobble.net, utilisée avec permission.

Global Voices s'est entretenu avec Alexandra Arkhipova sur Telegram et lui a demandé si ce genre de protestation existait dans le passé.

À l'époque soviétique, bien sûr, il y avait de l'art urbain protestataire. La fameuse Manifestation des Tramways de l'artiste et dissident Yuli Rybakov. Ce genre de protestation existait, mais à moins grande échelle, et ce n'était pas particulier à l'Union Soviétique. Par exemple, en Italie [fasciste], quand ils ont écrit «Viva Verdi!» sur les murs, cela a été interprété comme «Longue vie à Victor Emmanuel II, Roi d’ Italie.» La même chose à l'époque soviétique, à la place de «pouvoir soviétique» [sovetskaya vlast] on a dit «Sofia Vlas.» Le mécanisme est le même. On fait exactement la même chose maintenant: au lieu de «l’ Administration présidentielle» [Administratsiya Presidenta] les gens disent «Anna Pavlovna.» Cela survient toujours quand il y a une forme de pression. Quand l'expression publique des gens est supprimée, ils commencent à chercher des moyens de la restituer.

Screenshot from www.nowobble.net, utilisée avec permission.

Selon Mme Arkhipova, ce genre de camouflages et de messages codés «est en plein essor en Chine.» Il suffit de se rappeler l'histoire de l'interdiction de Winnie l'Ourson. Cela existe aussi en Biélorussie. Cependant, pour pouvoir le montrer, quelqu'un doit en faire la collecte.

Capture d’ écran du site www.nowobble.net, utilisée avec permission.

Elle poursuit: «Une inscription, un autocollant, une installation c'est avant tout une forme de message; par conséquent, cela a deux formes. La première est de créer quelque chose dans l'espace public. Et la seconde, qui vient ensuite: de faire en sorte qu'il se propage dans l'espace numérique. C'est pourquoi l'évolution de ces formes est si étrange. Les inscriptions les plus engageantes et accrocheuses, les plus astucieuses qui attirent l'attention sont sélectionnées par les gens qui les prennent en photo.» 

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«Bien entendu, un certain nombre d’ insurgés propagent ce genre d'inscriptions. Il y a des chaînes Telegram de protestation telle que Protestation Pétersbourg, la chaîne de Super [le journaliste Roman Super]. Cependant, il y a un problème de source, car très souvent, les gens prennent une photo et il s'avère que ça date de 2019, par exemple. Ou sur la chaîne de Super, un graffiti est apparu plusieurs fois avec des dates erronées. C'est la raison pour laquelle j'ai toujours demandé que les gens envoient ce qu'ils ont vu de leurs propres yeux, ou ce que leurs amis ou leur famille ont spécialement remarqué dans leur ville,» a déclaré Mme Arkhipova. 

Capture d’écran du site www.nowobble.net, utilisée avec permission.

«J'ai beaucoup de photos de St. Pétersbourg, où les activités de protestation sont effrénées. Quand l'exposition a été publiée, beaucoup de gens m'ont écrit pour savoir pourquoi je n'avais pas mentionné leur ville et pour m'envoyer tout un tas de nouveaux graffitis de ce mois-ci,» elle a déclaré à Global Voices.

Screenshot from www.nowobble.net, utilisée avec permission.

«Il est important pour moi de m'étendre géographiquement, de ne pas écrire que sur Moscou et St. Pétersbourg, mais aussi sur ce qui se passe, disons, à Smolensk, parce que le degré de responsabilité pour des graffitis à Smolensk est sans doute plus élevé qu'à Moscou étant donné qu'une activité de protestation à  Smolensk attire plus d'attention,» conclut Alexandra Arkhipova.

Capture d’écran du site www.nowobble.net, utilisée avec permission.

Alexandra Arkhipova ne sait pas si la collection sur le site sera renouvelée, mais elle garde tout ce qu'on lui envoie. Elle est convaincue que l'art urbain devrait être étudié, mais, jusqu'à présent, c'est un phénomène largement sous-estimé, particulièrement en Russie.

Capture d’écran du site www.nowobble.net, utilisée avec permission.

«Les gens essaient de faire attention aux œuvres des artistes professionnels avec des mises en scène complexes. Et ce genre d'œuvres fait aussi partie de cette exposition, mais j'ai aussi essayé de collecter et de montrer les choses que Monsieur Tout le Monde fait la nuit. Ou un écolier. Ces gens qui ne sont pas des professionnels de l'art et pour qui ce type d'expression en général n'est pas du tout immanent. Il me semble que d'un côté, c'est beaucoup plus important, car les historiens de l'art s'occuperont des professionnels. Et qui s'occupera de ce que Monsieur Tout le Monde fait la nuit?»

Capture d’écran du site www.nowobble.net, utilisée avec permission.

Selon Alexandra Arkhipova, beaucoup de gens ont trouvé du réconfort dans ces protestations silencieuses, mais c'est aussi devenu un moyen de trouver des alliés, ce qui est également très important. 

Capture d’écran du site www.nowobble.net, utilisée avec permission.

Imaginez quelqu'un qui va à Yekaterinburg à 3 heures du matin pour coller des autocollants «Non à la guerre» et en se glissant derrière un pilier, il trouve là l'autocollant «Non à la guerre» de quelqu'un d'autre. Et soudain il ressent une joie immense, car il réalise qu'il y a un allié. La propagande isole les gens. Elle cherche à faire croire que quiconque pense différemment fait largement partie de la minorité. C'est pour cela qu'il y a une telle compétition pour une chance de s'exprimer dans l'espace public. Comme l'a formulé un de mes interlocuteurs, si vous imaginez, Monsieur Tout le Monde qui descend acheter du pain. Il monte dans l'ascenseur et voit un écriteau qui dit «Non à la guerre.» Il arrive dans l'entrée et voit un autocollant «À bas Putin.» À l'arrêt de bus, il y a aussi quelque chose contre la guerre. Il achète son pain et dessus il y a un autocollant «Souvenez-vous de Bucha.»Tout cela sert à renforcer le message, à montrer qu'il y a là une multitude de gens qui sont contre la guerre. 

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