Décès d'un prêtre catholique togolais fervent opposant au pouvoir en place

Monseigneur Philippe Kpodzro, capture d'écran de la chaîne YouTube de Tv5monde

Les Togolais honorent la mémoire de Monseigneur Philippe Kpodzro, prêtre catholique engagé pour l'instauration d'un état de droit démocratique au Togo, mort le 9 janvier 2024 en exil en Suède à l’âge de 93 ans.

De son vivant, Monseigneur Philippe Kpodzro œuvre pour l'établissement d'une alternance démocratique permettant à tous les Togolais de jouir de leurs droits et libertés. Il s'engage ainsi ouvertement contre le régime de Faure Gnassingbé (président du Togo depuis 2005), fils de Gnassingbé Eyadéma (lui-même président de 1967 à 2005). Le Togo obtient son indépendance de la France le 27 avril 1960.

Premier engagement en 1991

L'entrée en politique de Philippe Kpodzro remonte à 1991 quand il est désigné pour diriger la Conférence nationale souveraine tenue à Lomé en juillet-août 1991. Cette conférence a pour objectif de contribuer à la libéralisation de la démocratie dans le souci d'instaurer un État de droit et une démocratie pluraliste.

En effet, le Togo subit trois coups d’État en quatre ans, faisant passer le pouvoir successivement des mains de Sylvanus Olympio (premier président de 1960 à 1963), à Nicolas Grunitzky (1963-1967), puis à Kléber Dadjo (janvier à avril 1967) et à Gnassingbé Eyadéma.

De 1967 à 1991, le Togo est dirigé d'une main de fer par Gnassingbé Eyadéma au nom de son parti unique, le Rassemblement du peuple Togolais (RPT). Durant cette période, l'opposition et toute idée de multipartisme sont réprimées. Mais le vent de la démocratie des années 1990 en Afrique et l'exemple réussi de la conférence nationale souveraine tenue en février 1990 au Bénin inspirent fortement les Togolais qui décident alors de convoquer une rencontre nationale, malgré le refus de Gnassingbé Eyadéma. Tous les acteurs politiques de l'époque se réunissent ainsi en 1991 pour réfléchir et trouver des solutions menant à un état démocratique.

C'est dans ce contexte que Monseigneur Philippe Kpodzro est désigné pour conduire ces assises nationales auxquelles se joignent des opposants comme Tavio Amorin, mort assassiné en 1992; Agbéyomé Kodzo et Djovi Gally (décédé en 2023). Cette publication sur le compte X ( ex-Twitter) de LeVisionnaireTG rappelle l'engagement d'Amorin :

Cette vidéo donne un aperçu de l'importance de cette conférence nationale souveraine :

 

L'une des principales recommandations de la réunion est la création d'une institution chargée de conduire le pays vers une transition démocratique. A l'issue des assises, Kpodzro est élu président du Haut conseil de la République (Assemblée nationale du 1991-1994). Sous sa direction, une nouvelle constitution est approuvée suite à un référendum tenu en octobre 1992 avec pour effet l'organisation de nouvelles élections en 1993.

Interviewé en 2016 par le magazine Jeune Afrique, à l'occasion du 25è anniversaire de cette conférence nationale souveraine, Kpodzro explique:

La Conférence nationale a eu des points vraiment très positifs pour le Togo. Le multipartisme l’a emporté sur la dictature, la liberté d’expression a été gagnée et nous avons essayé de faire évoluer certaines choses comme les salaires des fonctionnaires etc. Le Haut Conseil de la République quant à lui a discuté d’une manière démocratique, avec beaucoup de franchise pour aboutir à la rédaction de la Constitution de la IVe République adoptée par référendum le 14 octobre 1992 avec un peu plus de 98% des suffrages exprimés. Nous avons malheureusement connu des difficultés au moment de la mise en application des dispositions votées par le HCR. Nous avons par exemple voté la destitution du Premier ministre de la transition mais la décision n’a jamais été appliquée, le président Eyadéma s’y étant opposé.

Suite à cette experience politique, il se met à l'écart tout en restant un leader religieux dans un pays où le catholicisme est pratiqué par plus de 25% d'une population estimée à plus de 9 millions d'habitants.

Opposant au régime

Faure Gnassingbé est investi à la mort de Gnassingbé Eyadéma le 5 février 2005. Kpodzro revient alors au devant de la scène politique en participant à des manifestations avec des représentants religieux et d'autres acteurs pour essayer de trouver une solution à la crise politique que traverse le pays. Cette succession héréditaire, de père en fils, à la tête du pays opérée à la merci d'une modification de la constitution n'est pas du goût de l'opposition qui appelle à un soulèvement.

Le 19 août 2017, le Parti national panafricain (PNP), parti d'opposition togolais déclenche plusieurs manifestations sur l'ensemble du territoire. Il réclame le retour à la Constitution de 1992 sans modification, et le droit de vote pour la diaspora. Au lendemain de cette crise politique, le pays se prépare à tenir des élections législatives le 20 décembre 2018. Dans ce contexte, Kpodzro demande à Gnassingbé de reporter les élections , soulignant la tension qui règne dans le pays et la nécessité d'une reforme constitutionnelle avant la tenue des élections. Malgré son appel, les élections se tiennent à la date prévue du 20 décembre.

Lors des élections présidentielles de 2020, il s'engage politiquement une fois de plus en initiant la plateforme “Dynamique Monseigneur Kpodzro” qui rassemble plusieurs acteurs politiques et fait le choix d’Agbéyomé Kodjo comme candidat pour affronter Faure Gnassingbé dans les urnes. Le soutien de Kpodzro en faveur de Kodjo qui se déclare vainqueur alors que les résultats proclament Faure Gnassingbé président élu, ses multiples interpellations envers le régime finissent par mettre en danger sa vie dans le pays. Début 2021, il part en Suède via le Ghana, et meurt en exil le 9 janvier 2024.

Multiples hommages

La mort du religieux et opposant endeuille sa famille spirituelle (l’Église catholique) ainsi que sa famille politique. Le prêtre Mélésoussou, curé de la cathédrale d’Atakpamé (ville située à 161 Km au nord de Lomé), cité dans un article du Deutsche Welle témoigne :

C’est lui qui m’a envoyé au séminaire. Je lui rends hommage pour ce qu’il m’a fait. C’est une consternation et aussi un coup de tonnerre.  C’est très douloureux. Nous sommes très affligés, surtout qu’il n’est pas au pays.

De même, ses membres de son regroupement politique se rappellent de son rôle . L'opposant Gérard Adja salue la mémoire de l'ancien évêque d'Atakpamé et ancien archevêque de Lomé, mais surtout regrette l'inaction des autorités togolaises empêchant son retour au pays avant sa mort. En témoigne cette publication de Caroline Chauvet, correspondante de Tv5monde au Togo:

Selon RSF, le Togo est au 70è rang sur 180 pays pour son espace de liberté d'expression. La marche vers l'alternance politique est donc encore longue pour l'opposition togolaise qui doit beaucoup à la figure exemplaire de Philippe Kpodzro.

Le pouvoir actuel togolais est-il lui aussi prêt à honorer sa mémoire et œuvrer vers une plus grande démocratie et pluralité?

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