Les relations diplomatiques entre le Burundi et le Rwanda se détériorent à nouveau, un an après la réouverture des frontières terrestres entre les deux pays d'Afrique de l'est.
En mai 2015, feu Pierre Nkurunziza, président du Burundi (2005-2020) fait face à une tentative de coup d’État conduite par le général Godefroid Niyombare. Ce dernier lui reproche sa candidature pour un troisième mandat qui ne respecte pas la constitution, mais finit toutefois par reconnaître l'échec de ce coup de force. Au même moment, le Burundi accuse le Rwanda de soutenir les putschistes, fait que le pouvoir de Kigali, capitale du Rwanda nie. Cette période marque alors le début d'une crise entre les deux pays avec pour conséquence directe la fermeture de leurs frontières terrestres longues de 360 km.
Sept ans après cette crise, en octobre 2022, le Burundi rouvre ses frontières avec le pays de Paul Kagamé, président du Rwanda depuis 2000. L'élection d’Evariste Ndayishimiye, élu président du Burundi en 2020, permet donc un retournement de la situation.
Soudainement, les relations s'améliorent: Le Premier ministre rwandais, Édouard Ngirente effectue un voyage à Bujumbura le 1er juillet 2021 lors de la célébration des 59è anniversaire d'indépendance du Burundi. Kagamé se rend également au Burundi lors du Sommet de la Communauté de l'Afrique de l'est le 4 février 2023.
Nouvelle fermeture des frontières
Mais la lune de miel entre les deux pays ne dure qu'une année: le 11 janvier 2024, le Burundi ferme à nouveau sa frontière avec le Rwanda pour une durée indéterminée.
Les autorités burundaises évoquent, une nouvelle fois, le soutien du pouvoir rwandais au groupe armé Résistance pour un État de droit au Burundi (Red-Tabara) dans une attaque près de la frontière avec la République démocratique du Congo (RDC) le 22 décembre 2023. L'Union africaine condamne ladite attaque dont le bilan fait état de vingt décès dont des femmes et des enfants.
Ce groupe armé est né lors de la crise électorale de 2015 pour manifester l'opposition d'une partie de la population au pouvoir de Nkurunziza.
Interviewé par le journal LeMonde sur les raisons de cette nouvelle fermeture des frontières, Martin Niteretse, ministre burundais de l’intérieur déclare :
Nous avons fermé nos frontières avec le Rwanda, celui qui va tenter d’y aller ne passera pas. La décision a été prise. Après avoir constaté que nous avions un mauvais voisin, Paul Kagame (…), nous avons arrêté toute relation avec lui jusqu’à ce qu’il revienne à de meilleurs sentiments. Le voisin rwandais héberge les criminels qui nuisent aux Burundais. Les ressortissants rwandais, nous n’en voulons pas.
De son côté, Kigali accuse également le Burundi de soutenir les rebelles rwandais qui opèrent sur son sol.
Selon plusieurs observateurs, les tensions entre les deux pays s'expliquent par le rôle qu'ils jouent dans un autre conflit sur le territoire d'un pays tiers, celui opposant les rebelles du M23 au Forces armées de la République Démocratique du Congo (FARDC). En effet, le 5 mars 2023, le Burundi déploie ses soldats en RDC pour aider à lutter contre les rebelles du M23, qui sont soutenus par le Rwanda, selon les Nations-Unies.
Lire : Qui sont les rebelles du Mouvement du 23 mars à l'Est de la RDC?
Impact régional de cette fermeture des frontières
La mesure prise par le Burundi de fermer les frontières est d'ordre diplomatique, mais les conséquences vont bien au delà. Le pays abrite sur son territoire des ressortissants rwandais que les autorités burundaises expulsent vers le Rwanda. Toutefois, le gouvernement burundais refuse de donner les chiffres sur le nombre exact de ces expulsions.
A son tour, le pouvoir de Kigali déconseille à ses ressortissants de se rendre au Burundi mais rassure les ressortissants burundais vivant au Rwanda sur leur sécurité. Alain Mukularinda, porte-parole adjoint du gouvernement rwandais, cité dans un article de SOS Media Burundi indique :
En ce qui concerne les Burundais qui sont ici au Rwanda… Continuez à vaquer à vos activités quotidiennes, ne soyez nullement inquiétés, rien ne vous arrivera suite à la décision des autorités burundaises de fermer les frontières avec le Rwanda.
Au delà de ces décisions et déclarations officielles, ce sont les activités économiques des commerçants des deux pays qui sont pénalisées, comme l'indique un commerçant burundais cité par le magazine burundais Jimbere :
On venait de passer plus d’une année à se réjouir d’une reprise des échanges commerciaux entre nos deux pays, mais voilà tout d’un coup, le mauvais épisode recommence. (…) malheureusement, je ne parviens pas maintenant à vendre ne fut ce que la moitié de mes marchandises.
Le média Yaga Burundi fait sa propre analyse sur son compte X :
🚍 Sur le plan économique, cette fermeture va peser sur le commerce transfrontalier et le secteur des transports.
Les commerçants rwandais, qui sollicitaient la frontière #Ruhwa pour s'approvisionner en fruits au marché de #Rugombo en @CibitokeProv ont aujourd’hui les mains… pic.twitter.com/aJpqHCdqVO
— Yaga Burundi (@YBurundi) January 15, 2024
C'est donc tout le secteur économique des deux pay,s mais particulièrement du Burundi, animé par les acteurs de l'économie informelle et les petits commerçants transfrontaliers, qui prend un coup dur avec cette fermeture des frontières.
Pour André Nikwigize, économiste burundais, ex-conseiller économique principal en charge des programmes auprès du Secrétaire Général des Nations Unies à New York; et fondateur de l'ONG Partners for Peace and Prosperity, cette fermeture est une mesure politique aux conséquences économiques incalculables. Sur son compte X (ex-Twitter), il écrit:
#Burundi. Avec la fermeture de la frontière avec le Rwanda, les pertes economiques seront importantes. Entre 2018 et 2020, le Burundi avait perdu 5,1 mios de $US sur les echanges avec le Rwanda. Les autorités burundaises ont-elles évalué l’impact economique d’un nouveau blocage ?
— André Nikwigize (@AndreNikwigize1) January 12, 2024
La question qu'il se pose est de savoir s’il n’y a pas d’autres voies, moins catégoriques pour régler les problèmes politiques qui existent entre les deux pays.
De plus, de nombreux Burundais traversent régulièrement la frontière pour aller se faire soigner au Rwanda.
Mais paradoxalement, la RDC subit aussi de plein fouet les conséquences indirectes de cette nouvelle crise entre le Rwanda et le Burundi. En effet, la voie terrestre directe entre la RDC et le Burundi est peu praticable, les commerçants et voyageurs congolais et burundais font donc des détours par le Rwanda avant d'arriver à destination. La situation actuelle empêche ces mouvements, comme l'explique cette vidéo de Voice Of America :
Ces crises diplomatiques et sécuritaires à répétition mettent du plomb dans l'aile d'une coexistence pacifique dans cette région du continent qui compte plus de 27 millions d'habitants et affecte avant tout les populations dont la survie dépend très largement du commerce transfrontalier.