
Capture d'écran d'une scène du documentaire sur YouTube. Utilisée sous permission.
Depuis plusieurs années, le sud de l'État de Kaduna, Région de la Middle Belt au Nigéria, connue pour sa population diversifiée composée de 57 groupes ethniques parmi lesquels les migrants Kataf, Ikulu, Haoussa-Peuls musulmans et autres, connait une insécurité grandissante et de nombreuses attaques terroristes, notamment en raison des conflits religieux et ethniques entre chrétiens, traditionalistes, autochtones et musulmans peuls.
Les événements se sont transformés en une série de représailles orchestrées par les jeunes chrétiens Haoussa/Peuls contre les musulmans Haoussa-Peuls et vice-versa, d'où le résultat d'un carnage continu .
Cet événement se produit à quelques jours des élections générales prévues le 25 février. Selon Human Rights Watch; une violence d'une telle envergure dans le pays pourrait nuire à la bonne marche des élections.
Alors que les élections approchent, les Nigérians sont très enthousiastes à l'idée d'élire un nouveau Président qui devrait changer la situation de la nation par l’amélioration du niveau de vie, la coexistence pacifique sans violence ethnoreligieuse dans le pays, une société égalitaire, et bien d'autres.
L'histoire révèle que le conflit actuel dans le sud du Kaduna survient suite à l'intrusion des Peuls au nord du Niger ( Nigéria actuel) dirigée par l'érudit arabe Uthman Dan Fodio et ses disciples. De plus, la récente crise ethnoreligieuse remonte aux années 1980. Selon le rapport Chatham House publié en 2017, ce conflit a coûté la vie à de plus de 20000 personnes.
Pendant ce temps, le gouverneur de l'État de Kaduna, Mallam Nasir El-Rufai, s'est engagé en 2020 dans la chaîne de télé «KadInvest 5.0», à mettre un terme aux massacres perpétuels ; mais malheureusement, les homicides prennent de l'ampleur avec la récente attaque contre les habitants au sud du Kaduna depuis décembre 2022.

Image du journaliste amateur, Beevan Magoni. Utilisée avec permission.
Après avoir remarqué l'absence d'une couverture médiatique autour des atrocités perpétrées dans le sud de Kaduna; Beevan Magoni, journaliste nigérian basé à Abuja et originaire du sud de l'État de Kaduna, a présenté un documentaire qui retrace l'ensemble des horreurs présentes dans cette région selon les propos des victimes.
Le documentaire intitulé «Sud de Kaduna: sang, pleurs & colère» présente l'historique des attaques des musulmans peuls et les impacts de la crise communautaire sur la ville qui comporte environ 4,5 millions d'habitants sur les 213 millions représentant la population du pays. Bien que la diversité ethnique soit présente, l'État, plus précisément le sud de Kaduna, a été le théâtre de violences ethniques récurrentes. Le documentaire poignant disponible sur YouTube, met en lumière des images graphiques et des vidéos témoignant des atrocités commises dans cette région.
Le responsable de Global Voices Yorùbá Lingua, Adéṣínà (Ọmọ Yoòbá), a eu un échange avec Beevan Magoni sur WhatsApp pour discuter du documentaire.
Global Voices (GV) : Pourquoi vous et d’autres membres de l’équipe de production avez décidé de produire ce documentaire ? Quels sont vos objectifs et vos motivations?
Beevan Magoni (BM) : Nous étions incapables de faire quoi que ce soit dans le sud de Kaduna. Il avait l'air d'un cimetière où chaque jour, nous enterrions les cadavres de nos proches. C’était frustrant juste à penser que nos gens savaient qui étaient ces personnes et où ils étaient, mais ils ne pouvaient pas se défendre à cause de la supériorité de leur force. Nous suspectons également le gouvernement de l'État de Kaduna dirigé par El Rufai, de connaitre cette situation, d'être impliqué ou de la couvrir pour certaines raisons précises.
J'ai pris l'initiative d'appeler et d'organiser des manifestations qui ont contribué à ralentir les assassinats, mais ils ont repris en force. Alors un de mes frères (le rappeur populaire de Kaduna connu sous le nom de D.I.A) m'a appelé et m'a suggéré de faire un documentaire là dessus. Il a ajouté en disant: «commençons par l'enregistrement des préjudices qui nous ont été infligés et expliquons à nos enfants la raison pour laquelle on n’enseigne pas l’histoire à l’école. Bref, c'est juste à cause des événements non documentés qui se sont déroulés dans cette région juste avant le Jihad. Regarde cette partie où le vieil homme racontait la traite négrière et tout, c’est l’histoire qui se répète, et faisons-le pour rappeler à notre descendance, d’être toujours préparés et de ne pas être massacrés comme c’est le cas aujourd’hui».
GV : J'ai découvert un site Web qui prétend que les chrétiens Hausa ont attaqué leurs voisins musulmans depuis des décennies et que les jeunes chrétiens Kataf (Atyap) et Ikulu, pas trop récents, ont organisé des attaques de représailles contre les Haoussa-Peuls musulmans en 2020. Que pouvez-vous répondre à cette affirmation ?
BM : Les chrétiens Hausa sont différents de nous autres dans la Middle Belt. Bien que les chrétiens Haoussa- Peuls soient les Nigérians les plus persécutés, ils n’ont pas une voix forte comme nous.
Quelle serait votre réaction si un membre de votre famille enlève votre fille, l'oblige à se marier et la convertit? Que feriez-vous si vous ne pouvez pas exprimer votre capacité et votre volonté de voter? Ils n’ont pas un tel pouvoir. Ils sont dominés politiquement, économiquement, socialement et autrement.
Si les tribus de Middle Belt avaient opté pour plus de représailles en cas d'attaque, cette région allait se transformer soit en zone de guerre ou en véritable zone de paix puisque personne n'est fou au point de se jeter dans un piège mortel.
J’ai entendu d'ailleurs dire qu’un grand nombre d’agresseurs ont malheureusement succombé. C’est peut-être de cela que nous parlons ici. Plusieurs combats de ce genre ne sont pas signalés.
GV : Combien de temps vous a-t-il fallu pour produire le documentaire et quels ont été les défis auxquels vous avez été confrontés ?
BM: Il nous a fallu pas moins de deux ans et demi pour accomplir tout. J'ai décidé de prendre deux semaines de congé pour pouvoir travailler sur cette production qui devait durer environ trois semaines. Malheureusement, lorsque nous avons achevé le tournage, le disque est tombé et j'ai perdu toutes mes données. Dès cet instant, j'avais l'impression d'être saboté, car partout où je me rendais, aucune récupération des données n'était possible et le laboratoire Edar d’ Abuja était le dernier lieu où je me suis rendu et la réponse était la même.
J'ai dû repartir de zéro, mais cette fois-ci, sans ressources supplémentaires, les membres de l'équipe étaient épuisés et j'ai dû les laisser faire pendant ce temps. Après avoir obtenu tout ce que je cherchais, je les ai informés, même si Steven et Kefas étaient toujours en attente avec moi. Il faut savoir que nous sommes tous les trois considérés comme des bandits parce que nous étions résolus à raconter cette histoire.
Aucun appui financier n'a été fourni. On peut supposer que vous savez dire one go dey (vous devriez également savoir cela). C’est parce que notre région ne comprend pas les médias et ne sait pas comment y investir, alors elle ne comprenait pas jusqu’où nous pouvions aller. Mais, Dieu merci, nous sommes là !
GV: Ne craignez-vous pas les conséquences en faisant face à la colère des puissances qui dénoncent les maux perpétrés par ces assassins dans votre communauté comme un faux récit?
BM: Je vis et je n’ai pas peur de personne! Je ne suis pas un criminel. Je ne cherche pas les ennuis, mais depuis mon enfance, tout le monde sait qu’on ne peut pas mener à bien l’injustice en ma présence. Ce mode de vie m'a posé des problèmes à maintes reprises, mais une fois que j'ai décidé de croire en quelque chose, il est difficile de faire marche arrière. Cette histoire mérite d'être racontée.
GV: Comment avez-vous obtenu des fonds pour la production du documentaire? Quelles sont les possibilités de financement du projet, des commanditaires et des partisans?
BM: Le financement était presque inexistant puisqu'il provenait uniquement de mon salaire et de ceux de quelques amis. Il m'arrive parfois d'attendre la fin du mois avant de partir dans le sud de Kaduna, de me loger dans un hôtel avec mes caméramans, d'écouter où les gens ont été tués, puis déménager. C'est ainsi qu'on a pu obtenir ces images en direct des personnes en deuil.
GV: Qu’est-ce qui va changer? Est-ce que le documentaire va changer quelque chose, qu’est-ce que vous pensez qu’il va changer? Qu’est-ce que vous espérez qu’il va changer?
BM: Plusieurs choses vont changer avec le temps. En ce moment, il y a tellement de choses à accomplir, attendre que les personnes qualifiées se présentent et travailler avec elles ou leur indiquer la direction à suivre. Mais surtout, je veux que les enfants retournent à l’école. Je veux que nos maisons qui ont été détruites soient reconstruites. Je souhaite que les villages qui ont plus de 150 habitants à l'heure que nous parlons, soient réoccupés par les premiers habitants. Je souhaite que notre dignité humaine soit restaurée.
Alors que beaucoup comme Beevan ont pointé du doigt le gouverneur de l’État de Kaduna, Mallam Nasir Ahmad El-Rufai, le gouverneur a déclaré qu’il n’était pas responsable de la crise dans son État. La crise perpétuelle dans le sud de Kaduna peut être attribuée à des motifs religieux ou ethniques. Cependant, certaines écoles de pensée estiment que la crise n’est ni religieuse ni ethnique. Le documentaire du journaliste amateur est un autre angle d'attaque des événements avec un motif de faire briller un nouveau faisceau de lumière sur les meurtres et les crimes contre l’humanité perpétrés par certains groupes Haoussa-Peuls dans le sud de Kaduna dans une perspective nouvelle.