
Image des présidents des trois pays du Sahel: Abdourahame Tiani du Niger ( gauche) ; Assimi Goïta du Mali (milieu) ; Ibrahim Traoré du Burkina-Faso (droite). Capture d'écran de la chaîne YouTube de Tv5monde
Trois pays du Sahel (Burkina-Faso, Mali et Niger) formalisent leur retrait immédiat de la Communauté Économique des États de l'Afrique de l'Ouest (CEDEAO), suite à la dénonciation par l'institution de prises de pouvoir par des militaires dans la région.
Depuis le dernier trimestre de l'année 2023, les relations entre la CEDEAO et le Burkina-Faso, le Mali et la République du Niger sont tendues. Les deux premiers pays, qui sont dirigés par des régimes militaires ( le Mali en 2020 et en 2021, le Burkina-Faso depuis septembre 2022 ) soutiennent le nouveau régime militaire installé à la tête du Niger le 26 juillet 2023, dernier en date dans l'espace CEDEAO.
En réaction à ces coups d’États, la CEDEAO a pris des mesures coercitives et des sanctions économiques, pour contraindre les régimes militaires à restaurer les présidents déchus.
Le refus de ces derniers d'obtempérer crée un climat de tensions entre les deux parties. Le Mali ploie sous les sanctions diplomatiques et économiques de la CEDEAO depuis le coup d’État ; le Burkina-Faso subit le même sort. En juillet 2022, les sanctions économiques sont levées mais la suspension de ces deux États des instances de la CEDEAO demeure.
Presque une année après la levée de ces sanctions, c'est autour du Niger de faire face aux sanctions économiques de la CEDEAO. Pourtant le traité de la CEDEAO ne fait pas mention des sanctions économiques que la CEDEAO impose aux régimes militaires. En effet, le traité de la CEDEAO stipule en son article 77 seulement cinq types de sanctions:
(i) La suspension de l'octroi de tout nouveau prêt ou de toute nouvelle assistance par la Communauté ; (ii) La suspension de décaissement pour tous les prêts, pour tous les projets ou les programmes d'assistance communautaires en cours ; (iii) Le rejet de la présentation de candidature aux postes statutaires et professionnels ; (iv) La suspension du droit de vote: et (v) La suspension de la participation aux activités de la Communauté.
Naissance d'une Alliance des États sous sanctions
Le 16 septembre 2023, les trois pays représentés par leurs dirigeants signent la Charte du Liptako-Gourma qui institue officiellement la création de l'Alliance des États du Sahel (AES), qui représente plus de 71 millions d'habitants. Ils créent ainsi une nouvelle institution régionale à vocation militaire avec pour objectif de faire front commun contre toutes menaces militaires et la crise sécuritaire qu'ils subissent ensemble depuis une décennie.
Lire notre cahier spécial : Sahel: la plus grande crise terroriste au monde
Ce jour là, sur son compte X ( ex-Twitter) Assimi Goïta publie ce message :
J’ai signé ce jour avec les Chefs d’Etat du Burkina Faso et du Niger la Charte du Liptako-Gourma instituant l’Alliance des États du Sahel (AES) ayant pour objectif d’établir une architecture de défense collective et d’assistance mutuelle au bénéfice de nos populations. pic.twitter.com/IjT43NHrKs
— Colonel Assimi GOITA (@GoitaAssimi) September 16, 2023
Trois mois après la création de l'alliance, la tension monte d'un cran avec la CEDEAO. Les trois pays annoncent leur retrait de l'organisation régionale – qui compte maintenant 12 membres, après presque un demi-siècle de relations.
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Retrait de la CEDEAO
A travers un communiqué en date du 28 janvier 2024, les trois pays du Sahel réunis désormais au sein de l'Alliance des États du Sahel (AES) annoncent leur retrait sans délai de la CEDEAO avec effet immédiat. Sur la télévision malienne ORTM, le communiqué est lu par le général Abdoulaye Maiga, porte parole du gouvernement malien :
Interviewé par Guinée360, Régis Hounkpè, analyste en géopolitique et directeur exécutif d’InterGlobe Conseils, estime que le retrait des trois pays n'est pas une surprise:
Ce retrait des trois nations n’est pas tout à fait une surprise, au regard du climat d’inimitiés et de défiance des transitions vis-à-vis de la CEDEAO. Depuis l’avènement de l’Alliance des États du Sahel et de sa validation par la Charte du Gourma, ce retrait me semble presqu’attendu. L’effet de sidération face à cette nouvelle découle davantage du caractère lapidaire, du calendrier et de la théâtralisation de l’annonce faite par les trois régimes sahéliens.
La CEDEAO de son côté n'écarte pas la possibilité d'engager des discussions avec ces différents États pour trouver une solution aux crises politiques qui entrainent ce retrait. A travers un communiqué publié sur son compte X (ex-Twitter), l'institution se dit prête à une solution négociée :
Le Burkina Faso, le Niger et le Mali restent des membres importants de la communauté et l’autorité des chefs d’État restent déterminée à trouver une solution négociée à l’impasse politique.
Ici, l'intégralité du communiqué sur le compte X de la CEDEAO :
Communique de la CEDEAO pic.twitter.com/UcIwAIuhGT
— Ecowas – Cedeao (@ecowas_cedeao) January 28, 2024
Quid du sort des populations?
Au Mali, la société civile conteste la décision du régime militaire de se retirer de la CEDEAO. C'est le cas d'une plateforme dénommée l'Appel du 20 février 2023 qui dénonce et rejette la démarche des autorités maliennes à travers un communiqué relayé par Malick Konaté, journaliste malien sur X ( ex-Twitter):
L'Appel du 20 février 2023, une coalition d'organisations visant à sauver le Mali, rejette le retrait du pays de la Communauté Économique des États de l'Afrique de l'Ouest (CEDEAO) annoncé par le président de la transition, le Colonel Assimi GOITA, ainsi que la procédure… pic.twitter.com/l8erqjIPLt
— KONATE Malick (@konate90) January 30, 2024
Cette rupture des relations avec la CEDEAO aura un impact direct sur la mobilité des populations. Auparavant, Burkinabé, Maliens et Nigériens pouvaientt se déplacer à l'intérieur de l'espace CEDEAO conformément à la politique de libre circulation des biens et personnes dans la région contenue dans le traité de l'institution.
Mais ne faisant plus partie de l'institution, les populations de ces trois pays vont devoir faire face au même traitement réservés aux ressortissants des pays non-membres: obligation de formuler des demandes de visas avant d'entrer sur le territoire, obtention d'une carte de séjour, payement de certaines taxes pour le commerces transfrontalier.