Cet article est repris sur Global Voices dans le cadre d'un partenariat avec Ibihe.org. L'article original est à retrouver sur le site www.ibihe.org.
La majorité des Burundais utilisent du bois de chauffage pour faire la cuisine. Pendant la saison des pluies (de février à mai, puis de septembre à novembre), il est difficile de faire du feu, tandis que la situation est plus tolérable en saison sèche (mai à août et janvier- février). Les fumées nocives se dégagent du bois humide et se répandent à l’intérieur de la cuisine. Les femmes et les nourrissons accrochés à leurs dos inhalent ces émissions de gaz qui sont dangereuses pour l’organisme.
A Ruvumvu, une zone rurale de la commune de Bubanza au Nord-ouest du Burundi, la cuisine alimentée par le bois de chauffage se trouve souvent près des principales habitations, et l’odeur de la fumée se sent dans toutes les pièces de la maison. Une habitante de cette campagne nommée Claudine témoigne :
Nous avons tellement cohabité avec les fumées que nous sommes mithridatisés (immunisés contre un produit toxique). Les bois humides ou frais dégagent beaucoup de fumée. Les fumées nous asphyxient et nous empêchent de bien respirer.
Claudine avance les raisons pour lesquelles le feu s’allume difficilement :
En saison de pluie, nous coupons les bois de chauffage encore frais et les utilisons illico, car les bois de chauffages secs sont une perle rare. Les bois de chauffage humides animent alors le feu de mal en pis. Nous restons dans les parages du foyer pour allumer le feu tout le temps.
Dans la culture burundaise, les activités ménagères relèvent de la responsabilité des femmes, ce qui explique pourquoi elles passent beaucoup de temps près de l’âtre (partie de la cheminée où le feu est allumé.) Dr Célestin Sibomana, secrétaire exécutif permanent de la plateforme multisectorielle de sécurité alimentaire et de nutrition au Burundi explique que :
En restant près de leur mère, les nourrissons et les enfants sont exposés au feu. Cette exposition combinée à la malnutrition peut causer des retards de croissance.
Pollution de l’air à l’intérieur des habitations, source de maladies respiratoires
Selon l’Organisation mondiale de la santé (OMS), environ 2,4 milliards de personnes dans le monde, soit environ un tiers de la population mondiale, font la cuisine à l’aide de foyers ouverts. L'utilisation de bois humide et de résidus agricoles engendre une pollution nocive de l’air à l’intérieur des habitations. L’OMS indique que ce genre de feu dégage un éventail de polluants nocifs pour la santé, notamment de petites particules qui pénètrent en profondeur dans les poumons et dans la circulation sanguine.
Le rapport de la politique nationale d'assainissement du Burundi et stratégie opérationnelle Horizon 2025 montre qu’un tiers de la population burundaise vit quotidiennement dans des conditions d’hygiène déplorable en partie causées par ces fumées et mauvaises odeurs. Toujours selon ledit rapport, le Burundi fait partie des 21 pays dans le monde les plus touchés par la pollution de l’air à l’intérieur des habitations. L’OMS explique que :
« La pollution de l’air à l’intérieur des habitations diminue la capacité respiratoire et accroît la prévalence des maladies non transmissibles, notamment l’accident vasculaire cérébral (AVC), la cardiopathie ischémique, la bronchopneumopathie chronique obstructive (BPCO), le cancer du poumon et à long terme, les problèmes cardio – vasculaires. Des maladies respiratoires, identifiées comme première cause de mortalité.
L’OMS mentionne également d'autres effets nocifs:
Lorsque la mère s’accroupit auprès du feu, la chaleur endommage les conjonctivites et la cornée. L’inflammation peut devenir chronique. L’exposition prolongée peut donner lieu à des kératites, qui diminuent la vision et probablement accroissent le risque d’infection à répétition de cataracte et de cécité.
Les conséquences de la pollution de l’air à l’intérieur des habitations se chiffrent en millions de décès par an. Selon l'OMS, la pollution de l’air à l’intérieur des habitations a été responsable d’environ 3,2 millions de décès par an, en 2020, dont plus de 237 000 décès d’enfants de moins de 5 ans. Au Burundi, la pollution de l’air à l’intérieur des habitations est à l’origine de près de 5 % de la mortalité et de la morbidité.
Bois de chauffage, facteur de déforestation ?
Dans ce contexte, la consommation du bois de chauffage augmente d’année en année. Selon l’annuaire statistique publié en mars 2023 par l’Institut National des Statistiques du Burundi, la consommation du bois de chauffage est passée de 9 500 000 tonnes en 2012 à 10 700 000 en 2017.
Dans le pays, 96,6 % de la population utilise le bois pour faire la cuisson des aliments. Le professeur Frédéric Bangirinama, expert en environnement et enseignant à l’École Normale supérieure indique :
Dans les zones rurales, les burundais ont recours aux bois de chauffage pour faire la cuisson tandis qu’en milieu urbain, ils utilisent souvent le charbon de bois qui dégage un peu de fumée.
Même s’il pollue l’air à l’intérieur des habitations, le bois et ses dérivés comme le charbon, voient la demande augmenter, ainsi que les prix. Un sac moyen de charbon de bois est passé de 35 000 Francs burundais (13 dollars américains) en novembre 2023 à 55 000 Francs burundais (20 dollars américains) en janvier 2023. Le revenu moyen mensuel au Burundi est de 20 dollars américains.
Chaque année, la consommation de charbon de bois par la population des villes Gitega (capitale politique située au centre du pays) et Bujumbura (capitale économique située à l'ouest du pays) entraîne une perte équivalente de 3 505 à 4 673 d’hectares de couvert forestier. La population urbaine totale du pays, estimée à près de deux millions de personnes en 2023 pour une population nationale de plus de 13 millions d'habitants, générerait une perte annuelle comprise entre 5 236 et 6 980 d’hectares. Or, un arbre absorbe en moyenne 10 à 40 kg de CO2 par an.
Le professeur Bangirinama met en garde contre les impacts de cette activité :
Les écosystèmes forestiers situés en dehors des aires protégées sont en cours de disparition. Ils ont déjà disparu dans les provinces limitrophes de la ville de Bujumbura et diminuent progressivement dans les provinces lointaines comme Bururi, Gitega, Karuzi et Makamba”.
Il existe pourtant des solutions: Léonidas Niziyimpa, représentant légal de l’ONG environnemental local Conservation et Communauté de Changement (3C) suggère :
Le gouvernement du Burundi devrait rendre l’accès à d’autres sources d’énergies de cuisson des aliments facile notamment le gaz. (…) Afin de matérialiser cette solution, le gouvernement burundais doit subventionner le secteur d’achat du gaz et du matériel connexe. A l’heure actuelle, le gaz et les matériels connexes coûtent énormément cher et ne sont pas à la portée de tous les burundais.
Il est aussi possible de recourir à l’électricité pour faire la cuisson. A ce niveau, le rôle du gouvernement est essentiel: en 2021, la Banque mondiale montre que le taux d’accès à l’électricité au Burundi s’élève à 10,2% de la population du pays, et seulement à 1,6% dans les zones rurales. Tout dépend donc de la volonté du gouvernement d'investir dans ce domaine.