
Manifestation dans les rues de Niamey au Niger en soutien au retrait des trois pays de la CEDEAO. Capture d'écran de la chaîne YouTube de Tv5monde
Le 28 janvier 2024 marque le début d'une crise diplomatique majeure au sein de la Communauté économique des états de l'Afrique de l'ouest (CEDEAO): le Burkina-Faso, le Mali et le Niger se retirent de l'institution régionale avec effet immédiat. Cette rupture suscite de nombreuses réactions dans la région.
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Quelques semaines avant leur retrait de la CEDEAO, le Burkina-Faso, le Mali et le Niger, dirigés par des régimes militaires et à l'époque sous sanctions de la CEDEAO, annoncent la création un bloc militaire dénommé Alliance des États du Sahel (AES). Tout espoir d'une cohabitation diplomatique entre la CEDEAO, qui regroupe maintenant 12 pays, et ces trois pays prend fin quand ces derniers annoncent leur retrait de l'institution régionale.
Réactions d'autre membres de la CEDEAO
Les réactions des différents acteurs politique comme de la société civile issus des autres pays de la CEDEAO sont immédiates et diverses. Cité par le média ivoirien Koaci, Shehu Sani, ancien sénateur et activiste nigérian des droits de l'homme regrette cette décision des régimes militaires, qui relève selon lui d'une incompréhension entre les dirigeants. Il estime que :
Le retrait du Mali, du Niger et du Burkina Faso de la CEDEAO constitue un sérieux revers pour l’Afrique de l’Ouest. Cela signifie l’échec de la diplomatie et du dialogue. Nous avons perdu nos frères de sang africains à cause de nos amis conditionnels occidentaux.
Même son de cloche chez Lansana Kouyaté du Parti de l'espoir pour le développement national en Guinée. Il partage le même avis que l'homme politique nigérian. Dans cette vidéo de Médi1TV Afrique, il rappelle que le retrait des trois pays est le fruit des sanctions prises à leur encontre. Son intervention est à suivre dès le début de cette vidéo à la 22è seconde :
Au Bénin, lors d'un point de presse tenu le 10 février 2024, Patrice Talon, président du Bénin clarifie sa position vis-à-vis de ces sanctions qui ont pénalisé son pays. Voisin du Niger, le président béninois estime que cette sanction entraîne un manque à gagner pour son pays, ce qu'il explique dans cette vidéo du média burkinabé BF1 TV :
Dans une analyse publiée dans le magazine Jeune Afrique, Amadou Sadjo Barry, guinéen, professeur de philosophie et chercheur en éthique des relations internationales au Canada, se partage entre deux avis. A la question de savoir si cette rupture entre les deux blocs (AES et CEDEAO) peut être éviter, il donne deux réponses :
Oui et non. Oui, si les médiations de cette dernière avaient réussi à trouver un minimum de compromis durable autour du chronogramme du retour à l’ordre constitutionnel au Mali et au Burkina Faso, si elles étaient parvenues à dégager un consensus sur l’objectif des transitions, si l’AES n’avait pas vu le jour, et enfin, si le contexte d’insécurité régionale et d’instabilité globale était défavorable aux pouvoirs militaires.
Non, parce que les militaires et la Cedeao n’avaient pas la même compréhension de la mission et de l’objectif de la transition : le temps long de la refondation de l’État et de la lutte contre le terrorisme (envisagé par les militaires) s’opposait clairement au temps court du processus de retour à l’ordre constitutionnel (souhaité par la Cedeao ).
Du côté du Togo, Paul Amegakpo, président de l’Institut Tamberma pour la Gouvernance (ITG) se montre relativement rigide quant à sa position pour une CEDEAO avec un grand nombre de pays. Il se prononce sur le retrait des trois pays au média Koaci:
Ce qu'il faut retenir, c'est qu'il vaut mieux une CEDEAO diminuée en nombre d'États membres qu'une CEDEAO qui tolère les putschs, la dictature militaire ou toute forme de dictature dans la gestion des affaires publiques de ses États membres.
Des populations des pays de l'AES entre joie et inquiétude
Au sein des l'Alliance des États du Sahel (AES), qui représentent maintenant plus de 71 millions d'habitants, la scission semble avoir l'assentiment d'une portion des populations. Au Burkina-Faso, la population estime que cette décision est en faveur du pays qui souffre des sanctions. Dans cette vidéo de la Radiodiffusion Télévision du Burkina (RTB), les Burkinabé donnent ainsi leur avis:
Chez les citoyens nigériens et maliens, c'est souvent un double sentiment de joie et d'inquiétude qui en anime certains. Dans un reportage vidéo de France24, un citoyen nigérien très content s'explique :
La CEDEAO nous torture depuis longtemps mais aujourd'hui est un beau jour. Ils sont des traitres, c'est pourquoi l'Alliance des États du Sahel l'a quitté.
Un autre citoyen nigérien, toujours au micro de France24 s'inquiète :
Sommes-nous vraiment préparer à quitter la CEDEAO? Parce que cette sortie engendre des conséquences et sommes-nous vraiment prêts à faire face aux conséquences?
Des ressortissants maliens vivant au Sénégal partagent les mêmes espoirs et les mêmes craintes que ceux du Niger. Interviewé par France24, Aboubacar Kanté, commerçant malien au Sénégal se félicite de ce retrait :
Je suis très content car depuis pas mal d'années, la CEDEAO ne nous a rien apporté.
De la même source, Allassane, également commerçant malien s'inquiète de son sort en tant que ressortissant malien désormais dans l'espace CEDEAO. Mais il préfère garder espoir pour que de meilleures solutions soient trouvées :
La politique, c'est la politique mais nous, populations pouvons se gérer entre nous. Pour le reste, on croise les doigts que tout aille dans le bon chemin.
Les dirigeants de la CEDEAO continuent de multiplier les initiatives et rencontres pour espérer ramener les trois pays au sein de l'institution régionale. En effet, les pays membres de la CEDEAO bénéficient de plusieurs avantages à savoir : une libre circulation des biens et des personnes, et un vaste marché régional qui facilitent le commerce aux populations des pays membres ; et la possibilité pour les pays sahéliens de profiter des zones portuaires des pays côtiers.
Il est difficile de prévoir ce qui va se passer maintenant. La rencontre entre Faure Gnassingbé, président du Togo et Allassane Ouattara, président de la Côte d'Ivoire, tenue le 16 février à Abidjan en est une preuve. Le 24 février 2024, en réunion extraordinaire à Abuja au Nigeria, les chefs d’États de la CEDEAO décident d'annuler les lourdes sanctions qui pèsent sur le Niger et pensent revoir leur approche pour le retour à l'ordre constitutionnel dans les quatre pays dirigés par les régimes militaires : Burkina-Faso, Mali, Niger et Guinée. Reste surtout à savoir si le bloc des trois pays réunis au sein de l'AES veut ou non réintégrer la CEDEAO dans ce contexte fluide.