
Agbéyomé Kodjo ; Capture d'écran de la chaîne YouTube de Tv5monde
L'exil devient un lieu habituel de fin de vie pour les opposants au régime togolais. Le dernier en date est Agbéyomé Kodjo, décédé le 3 mars 2024 au Ghana.
Il n'existe pas de chiffre exact sur le nombre de citoyens togolais vivant en exil, et souvent dans la clandestinité loin de leur pays, jusqu'à leur mort pour des raisons politiques, mais plusieurs grands noms marquent cette histoire. En mars 2021, Foussena Djagba, activiste politique et opposante au régime du président Faure Gnassingbé est décédée au Ghana suite à une courte maladie. Monseigneur Philippe Fanoko Kpodzro meurt le 9 janvier 2024 en Suède, après trois années en exil. Aujourd'hui, les Togolais font le deuil de l'ex-opposant Agbéyomé Kodjo, décédé dans la ville de Tema au Ghana.
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Qui est Agbéyomé Kodjo?
Ancien allié de la famille Gnassingbé à l'époque du président défunt Gnassingbé Eyadéma, Agbéyomé a occupé d'importants postes : Ministre de la Jeunesse, des Sports et de la Culture (1988-1991) ; Directeur général du Port autonome de Lomé (1993-1999) ; président de l'Assemblée nationale (1999-2000) ; Premier Ministre (2000-2002). Suite à une divergence au sein du parti Rassemblement du peuple togolais (RPT), sa famille politique d'alors, il est relevé de ses fonctions de chef de gouvernement et part en exil en France en 2002.
De retour de son exil en 2005 à la suite de la mort de Gnassingbé Eyadéma, il se range du côté de l'opposition. En 2008, il lance sa formation politique, l'Organisation pour bâtir dans l'union solidaire togolaise (OBUTS) pour laquelle il est candidat à l'élection présidentielle de 2010.
Dix ans après, en 2018, OBUTS devient le Mouvement patriotique pour la démocratie et le développement (MPDD). Agbéyomé mobilise d'autres partis politiques aux côtés du MPDD et crée sous la direction de Monseigneur Philippe Fanoko Kpodzro la Dynamique Monseigneur Kpodzro (DMK) pour affronter Faure Gnassingbé dans les urnes lors des élections présidentielles de 2020. Alors que les résultats issus des urnes proclament Agbéyomé deuxième avec 19,45% de voix exprimées, derrière Faure Gnassingbé qui totalise 70,78 %, il se réclame tout de même vainqueur et s'auto-proclame “président légitime du Togo“, estimant avoir le plus grand nombre de voix exprimées et que sa victoire lui a été volée.
Le 21 avril 2020, Agbéyomé est arrêté. Plusieurs faits lui sont reprochés, dont l’atteinte à la sûreté intérieure de l’État et l’usage des insignes de l’État. Il est libéré trois jours plus tard, le 24 avril, mais placé sous contrôle judiciaire. C'est dans ce contexte qu'il part en exil où il passe ses cinq dernières années.
Réactions et hommages
Si le combat politique mené par Agbéyomé Kodjo n'a pas porté les fruits qu'il espérait, son parcours sur la scène politique togolaise a laissé des traces. Interviewé par le journal Le Monde dans les premières heures qui ont suivi la mort d'Agbéyomé, Paul Missiagbéto, son conseiller spécial et chargé des affaires politiques et civiques au MPDD indique :
Je n’avais pas connaissance du fait qu’il était malade. Je sais qu’il est mort au Ghana aux alentours de 15 heures. Sinon, nous ne parlions jamais du lieu où il était en exil. Je sais juste qu’il vivait dans la clandestinité et qu’il m’a dit plusieurs fois qu’il ne sortait pas de chez lui par crainte qu’il lui arrive quelque chose.
Des membres des autres partis politiques lui ont rendu des hommages. Quelques uns ont été cités par le média togolais Afreepress dans un article consacré à l'homme politique. Me Mouhamed Tchassona-Traoré, Coordonnateur national de l’Alliance Ensemble déclare :
C’est avec une grande tristesse que nous apprenons le rappel à Dieu de notre compatriote et compagnon de lutte, Agbéyomé Kodjo, dont la stature intergénérationnelle fait de lui un homme politique transcendant tous les clivages et clichés.
De la même source, Gerry Taama, Président national du parti Nouvel Engagement Togolais (NET) déplore :
Il s’agit là d’une grande perte. Il est regrettable que cet homme politique ‘’particulièrement brillant’’ soit parti en étant très loin du pays. M. Agbéyomé Kodjo est un patriote, il aimait son pays et la population togolaise. Je me sens triste qu’il soit parti en étant très loin du pays.
Toujours auprès d’Afreepress, Adrien Béléki du parti Convergence Patriotique Panafricaine (CPP) ajoute :
Gardons de ce monsieur, l’homme complexe qu’il a été. On discutait toujours avec lui quand il était sur le territoire national. On sent en lui qu’il veut quelque chose pour l’épanouissement de son pays. Peut-être qu’il a été mal compris.
Cité dans le média Afriqueenligne, Antoine Folly, Délégué général du parti Union des démocrates socialistes du Togo (UDS-TOGO) aussi rend hommage à l'homme politique :
Je n’ai pas souvenir d’un homme politique togolais qui ait eu dans son parcours politique, à occuper deux des trois plus hautes fonctions de la République. A ce jour, Agbéyomé Kodjo reste le seul à l’avoir fait. Au-delà des divergences d’appréciation que nous avons eues au sujet de l’élection présidentielle de 2020, nous avons toujours partagé avec Agbéyomé Kodjo et son parti politique une très haute et noble idée de la démocratie et de l’intérêt national.
Sur X(ex-Twitter), Nathaniel Olympio salue la mémoire et le caractère de l'illustre disparu. Il écrit :
Nous apprenons ce jour la mort brutale de Gabriel Agbéyomé Kodjo, loin de sa terre natale. Une bien triste nouvelle. J’ai connu l’homme, de forte conviction, il avait un caractère bien trempé. J’adresse mes condoléances à ses enfants et à son épouse. Que son âme repose en paix.
— Nathaniel Olympio (@nathanielolymp) March 4, 2024
En deux mois, la classe politique togolaise perd deux géants fervents de l'alternance démocratique au Togo. Pour l'heure, certains acteurs politiques émettent le vœu que Agbéyomé soit enterré dans la dignité et réclament le rapatriement du corps de l'ex-opposant.
En considération de sa qualité d'ancien premier Ministre et d'ancien président de l'Assemblée nationale, l'actuel pouvoir en place va-t-il décider de lui rendre un hommage national?