Quelle est la place de la langue française dans la société togolaise?

Image de l'entrée de l’Institut Français du Togo (Lomé); capture de la chaîne YouTube de Hodin Senyon

En raison de son passé colonial avec la France, le Togo adopte le français comme langue officielle en 1960, un fait inscrit dans l'article 3 de sa constitution. Mais quelle est la place de cette langue dans un paysage linguistique togolais multiple?

L’histoire coloniale du Togo a connu le passage de plusieurs langues occidentales: le portugais, l'allemand, l'anglais et le français. Ces langues ont traversé les côtes togolaises depuis l'époque du commerce des esclaves au 18ème siècle à celle de la colonisation (1884-1960) sans qu'aucune ne soit adoptée avant la fin du 20ème siècle. Dans le pays, plus de cinquante langues locales réparties sur l'ensemble du territoire sont parlées par une population de plus de neuf millions d'habitants. L’éwé ( langue de la famille nigéro-congolaise) et le kabyè (langue de la famille gur), sont inscrites dans la constitution depuis 1975 comme langues nationales. Le français est la seule langue qui, aujourd'hui, joue un important rôle dans la société togolaise.

Lire : Quelle est la langue locale la plus parlée au Togo ?

En 2018, le nombre de locuteurs de la langue française était de 40% de la population togolaise. Le français est la langue de l'enseignement et de l'administration. Interviewé par Global Voices via WhatsApp, Ayi Renaud Dossavi, journaliste-écrivain et poète togolais explique :

Au Togo, la langue française joue un rôle central dans l'enseignement, la société et les administrations. En tant que langue de travail et principale langue officielle, le français facilite, qu'on le veuille ou non, la communication dans les institutions gouvernementales, les entreprises et les médias, ainsi que dans bonne part de la population. Dans l'enseignement, le français est la principale dès le primaire, ce qui peut parfois poser des défis pour les élèves dont la langue maternelle n'est pas le français.

Nadège Abiré Boumogue, jeune activiste des droits des femmes, se réjouit de ce que la langue française arrive à faciliter la communication entre la majorité des Togolais en dépit de la diversité des langues locales dont dispose le pays. Répondant à Global Voices, elle dit :

Le Togo est un pays richement béni par sa diversité des langues, permettant d'identifier chaque clan et ethnie. Toutefois la langue commune que nous avons est le français enseigné à l'école et utilisée dans toutes les administrations. Il est important qu'on puisse garder cette culture pour faciliter la communication entre les Togolais et s'ouvrir au monde extérieur, notamment avec les autres pays francophones.

Selon elle, la langue française comble un vide occasionné par les limites des langues locales :

Nous pouvons remarquer aujourd'hui les insuffisances de nos langues majoritairement parlée tel que le mina, le kabyè, le kotokoli, etc… A titre d'exemple, certains influenceurs togolais qui font leur contenu dans les langues locales ne sont pas aussi influents, alors que ceux qui font leurs productions en français arrivent à toucher plus de personnes voir au-delà des frontières togolaises.

Lire notre dossier spécial : 

S'il existe un désir de maîtriser le français pour certains, cette langue est loin de faire l'unanimité dans la société togolaise. Dans certaines administrations, les langues nationales sont plus pratiquées que le français, par exemple.

Pour Folli Herbert Amouzougan, analyste de données, évangéliste de l'internet libre et passionné des objectifs de développement durable (ODD), le français est devenu “une langue frustrante” car imposée et donc difficile à apprendre. Interviewé par Global Voices via WhatsApp, il explique:

Dans l'enseignement, il y a peu de Togolais qui maîtrisent vraiment le français car ce n'est pas une langue maternelle. Il y a des diplômés qui ont du mal à s'exprimer. Dans la société et l'administration, peu de personnes s'expriment en français, tandis que la majorité se sent à l'aise dans la langue maternelle.

Pour Aimé Gavor, enseignant d'histoire-géographie, la baisse du niveau d'éducation a un impact sur la maîtrise du français parlé dans la société togolaise. L'enseignant fait un lien avec le taux d'analphabétisme (33% chez les hommes contre 59% pour les femmes) dans le pays:

La langue française est moins parlée au vu du taux d'analphabétisme au Togo . Ceux qui sont instruits arrivent aisément à la parler et la comprendre, et s'en servent comme outil de travail. Mais ces dix dernières années, le niveau de ceux qui parlent la langue française a considérablement baissé, que ce soit dans l'enseignement, les administrations. On remarque donc une primauté de la langue maternelle car plus accessible et mieux maîtrisée. En conséquence, ça agit sur le niveau de travail des élèves, dans la société. Pire, celui qui essaie, chaque fois, de s'exprimer en français est mal vu.

Dans le même sens, Ayi Renaud Dossavi ajoute :

Cependant, la maîtrise du français reste essentielle pour accéder à l'enseignement supérieur et aux opportunités professionnelles, en dépit de l'importance grandissante accordée à l'anglaise (le 25 juin 2022, le pays a adhéré au Commonwealth). Dans la société, le français reste aussi largement utilisé dans les échanges formels et informels, bien que les langues nationales comme le mina ou encore le tem et le kabyè soient d'un poids culturel et social importants.

Le journaliste-écrivain et poète reconnait également la prédominance des langues locales sur le français.

La relation vis-à-vis du français reste donc ambivalente, quand on compare le contexte administratif, avec l'usage courant dans la vie de tous les jours, où le mina (surtout le dialecte parlé à Lomé), prédomine.

Depuis septembre 1922 , du niveau préscolaire et primaire à l'enseignement supérieur, le français demeure la langue de l'enseignement dans le pays. L‘introduction de la langue anglaise dans le système éducatif n'est effective qu'au début de la rentrée scolaire 2023-2024.

Dans le pays, le français reste la langue de médias. L'essentiel de l'information est véhiculé en français, particulièrement la presse écrite et les médias en ligne. Mais sur les chaînes de télévision et dans les radios, certains programmes d'émissions sont diffusés dans les langues nationales (éwé et kabyè) et en anglais.

Au moment où l'usage du français connait une expansion dans le monde, et surtout en Afrique, il faut reconnaitre que l'adhésion du Togo au Commonwealth pourrait réduire l'impact de la langue française dans le pays. La majorité des Togolais accorde, aujourd'hui, plus d'intérêt à l'apprentissage et la pratique de l'anglais, qui reste la langue la plus parlée dans le monde.

Lire notre dossier spécial :  

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