Paraguay : le rôle d'une banque publique allemande dans le financement de la déforestation du pays

Photographie d'Unesco. Sous licence libre.

Cet article a été écrit par Gesa Steeger (journaliste pour CORRECTIV), édité par Romina Cáceres et publié dans El Surtidor le 26 septembre 2023. Une version éditée est republiée par Global Voices dans le cadre d'un accord de partenariat médiatique.

Une enquête menée conjointement par El Surtidor, un média numérique paraguayen, et CORRECTIV, un média indépendant allemand, montre comment la Deutsche Investitions und Entwicklungsgesellschaft (DEG), filiale d'une institution publique, et la Banque allemande de développement (KfW) ont investi 25 millions d'euros dans l’entreprise agricole paraguayenne PAYCO qui, entre 2013 et 2020, a détruit au moins 7 000 hectares de forêts sur trois propriétés situées dans la région du Chaco.

Le Chaco est une région qui couvre 60 % de la superficie du Paraguay, mais est aussi l'une des zones les moins habitées d'Amérique du Sud car elle ne compte que 3 % de la population. La plupart des habitants sont des indigènes.

L’enquête montre le rôle des institutions financières, cautionnées par le gouvernement fédéral allemand, dans la déforestation du pays à laquelle l'Union européenne s'oppose aujourd'hui, et illustre la responsabilité des banques et des fonds d'investissement dans la crise climatique.

C'est pourquoi, en octobre 2023, les parlements allemand et européen ont demandé que la DEG cesse d’investir dans PAYCO, l’entreprise responsable de la déforestation du Chaco.

Plus de 4 000 hectares détruits entre 2013 et 2020

PAYCO a été créée en 2013 par le groupe Espirito Santo. Après l'effondrement du groupe en Europe, PAYCO devient une société anonyme en 2014. Selon un rapport d'Oxfam, elle est aujourd’hui le deuxième plus grand propriétaire foncier du Paraguay, et est spécialisée dans l'élevage de bétail, la culture du soja, les plantations d'eucalyptus et la vente de services environnementaux à l'État paraguayen. Elle fait partie des sociétés privées qui ont participé à l'élaboration du projet de loi sur les crédits carbone.

PAYCO possède 130 000 hectares de terres et 35 000 têtes de bétail dans plusieurs exploitations, aussi bien dans le Chaco que dans la partie orientale du pays. À cela s'ajoutent des plantations de soja, de blé et de forêts.

La DEG a investi 25 millions d'euros dans l'entreprise en 2013, dont le siège se trouvait à l'époque au Luxembourg, un paradis fiscal. Selon la banque, la raison de l'investissement était de stimuler la production alimentaire locale et le développement durable de l'industrie du bois.

Or, c'est tout le contraire qui s'est produit. Depuis sa collaboration avec la DEG, PAYCO a déboisé une superficie de 7 000 hectares sur au moins trois de ses propriétés dans le Chaco, en partie en brûlant les forêts, mais surtout en abattant des arbres pour faire place à l’élevage de bétail, comme le démontre une étude du Centre aérospatial allemand consacrée à la déforestation sur les terres de l'entreprise entre 2013 et 2020.

Déboisement entre 2013 et 2020 du ranch Timboty appartenant à PAYCO. Source: Centre aérospatial allemand — Enmannuel Da Ponte — Google Earth Images. Utilisé avec autorisation.

Selon l'étude, près de 4 619 hectares du ranch Carandayty, situé dans l'Alto Paraguay, ont été déboisés entre 2013 et 2020, contre environ 2 037 hectares à Timboty (dans le département de Presidente Hayes) au cours de la même période, et 824 hectares à Santa Rosa entre 2015 et 2016.

L'entreprise ne s'est pas seulement contentée de créer des espaces pour l’élevage de bétail dans le Chaco. Selon une étude réalisée en 2021 par FIAN, une organisation de défense des droits de l'homme, PAYCO aurait fait abattre une palmeraie pour développer des plantations d'eucalyptus dans la région orientale du pays. L'étude fait également état de plaintes concernant l'utilisation de pesticides sur d'autres propriétés de l'entreprise et de conflits liés à la propriété des terres.

« Propriétaires de tout ça »

PAYCO n'a pas toujours porté ce nom, mais est implantée dans le pays depuis 50 ans. Selon des données recueillies par l'économiste Sarah Zevaco, chercheuse au sein du cercle de réflexion BASE-IS, le groupe Espírito Santo a réalisé son premier investissement au Paraguay en 1976, avec l’achat de Estancia Golondrina.

Espírito Santo, un groupe de banquiers portugais créé en 1869, a pris un nouveau départ dans le paradis fiscal du Luxembourg, suite à la nationalisation de sa banque, après la fin de la Révolution des Œillets au Portugal. En 1979, Estancia Golondrina fait partie intégrante du groupe, avec la création de Sociedad Agrícola Golondrina S.A. Entre 1997 et 2002, elle rachète Ganadera Corina Campos y Haciendas SA et crée, avec Unique Wood Paraguay, l'entité Certified Forestry in Paraguay (ForCerPa).

En 2013, le groupe dévoile le projet d’investissement de la DEG, et créé PAYCO au Luxembourg, qui devient propriétaire de toutes les activités d'Espírito Santo dans le pays. Au Portugal, Ricardo Salgado Espírito Santo, l'homme à la tête du groupe d'entreprises, était surnommé DDT ou « dono disto tudo » (« propriétaire de tout ça »).

En 2014, un an après l'investissement de la DEG, un désastre frappe le groupe bien que son origine soit bien antérieure. L'impact de la crise financière au Portugal rend insoutenable la dette contractée par le groupe pour reprendre contrôle de sa banque, et il emploie alors des manœuvres frauduleuses pour continuer à accéder aux capitaux. Après un conflit entre les actionnaires et l'intervention de la banque au Portugal, sa filiale Rio Forte déclare faillite le 22 juillet 2014.

Après avoir toujours connu la réussite, Ricardo Salgado Espírito Santo a finalement tout perdu. En 2022, il est reconnu coupable d'avoir détourné des fonds du groupe vers une société offshore. Le Portugal confisque son passeport et il est accusé de 65 crimes.

PAYCO est créée le 30 juillet 2014, au lendemain de la faillite de Rio Forte, mais est cette fois-ci basée au Paraguay. Selon l'acte officiel, PAYCO résulte de la fusion des deux entreprises que le groupe possédait dans le pays (Golondrina et Corina) et 85 % du capital provient d'EuroAmerican Finance, une autre filiale d'Espírito Santo. Le reste est constitué d'actions de la société allemande DEG.

Copie de l'acte officiel permettant à PAYCO de vendre des services environnementaux à ANDE. Utilisé avec autorisation.

Selon l'enquête de Zevaco, lorsque le 8 décembre 2014, un tribunal du Luxembourg confirme l'insolvabilité des sociétés du groupe Espírito Santo et commence à saisir leurs biens, PAYCO Paraguay se trouve déjà à l'abri de toute poursuite.

Qui décide ?

À ce jour, une demande d'information est en instance devant le tribunal administratif de Cologne contre la banque publique de développement KfW, à laquelle appartient également la DEG. L'organisation de défense des droits de l'homme FIAN et le Centre européen pour les droits constitutionnels et humains (ECCHR) exigent la divulgation du plan d'action environnemental et social de PAYCO au Paraguay.

Bien que le tribunal ait statué en faveur des organisations, la KfW a fait appel de la décision. Le tribunal avait décidé que la KfW était tenue de fournir des informations en vertu de la loi allemande sur la liberté de l'information, et que cette obligation s'appliquait également à la DEG.

Le manque de transparence et les pratiques commerciales douteuses sont un thème récurrent au sein du Parlement allemand, où est demandé depuis des années au gouvernement fédéral de ce pays une plus grande transparence et une réglementation plus stricte des activités de la DEG. Selon Peter Wolff, expert en finance et développement : « La banque opère dans l'ombre de la KfW. Personne ne sait exactement ce qu'elle fait ».

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