En Gambie, l’interdiction des mutilations génitales menacée

Des manifestants anti-excision dans le rues de Banjul ; capture d'écran de la chaîne YouTube de Tv5monde

Cet article est repris sur Global Voices dans le cadre d'un partenariat avec www.afriquexxi.info. L'article original est rédigé par Satang Nabaneh et Musu Bakoto Sawo; et est à retrouver sur le site d’Afriquexxi.

En Gambie, les parlementaires envisagent, au nom de la culture et de la tradition, de revenir sur l’interdiction de pratiquer des mutilations génitales féminines. Alors que cette loi régressive n’a pas encore été votée, deux juristes gambiennes appellent à se mobiliser afin de protéger les filles et les femmes de ce pays.

En 2015, la Gambie a introduit une législation interdisant les mutilations génitales féminines (MGF) par le biais d’un amendement à la loi sur les femmes de 2010, après des décennies d’efforts de plaidoyer et de sensibilisation menés par des organisations de la société civile (OSC) et des groupes communautaires. L’article 32A de la loi sur les femmes de 2015 érige en infraction le fait pour toute personne de pratiquer l’excision. Quiconque y contrevient est passible, sur déclaration de culpabilité, d’une peine d’emprisonnement de trois ans ou d’une amende, ou des deux.

La loi prévoit également une peine d’emprisonnement à perpétuité lorsque la circoncision entraîne la mort. La section 32B (1) s’adresse aux commanditaires de la procédure et stipule que :

Toute personne qui demande, incite ou promeut l’excision en fournissant des outils ou par tout autre moyen commet une infraction et est passible d’une peine d’emprisonnement de trois ans ou d’une amende de cinquante mille dalasis (735 dollars américains), ou des deux.

En outre, une amende de 10 000 dalasis (147 dollars américains), conformément à la section 32B (2) de la loi, est imposée à toute personne qui a connaissance de la pratique et qui ne la signale pas sans raison valable.

La législation interdisant les MGF en Gambie a été adoptée à la suite d’une directive de l’ancien président Yahya Jammeh (1994-2017). Elle a été adoptée alors que les survivantes étaient de plus en plus visibles et que l’on s’efforçait de mettre fin à cette pratique dans le pays. Malgré ce prétendu engagement, le gouvernement a harcelé les militants et les militantes anti-MGF et a restreint l’espace des OSC et des médias souhaitant engager les communautés pratiquantes et la population dans son ensemble, faciliter l’accès à l’information sur les dangers des MGF et influencer la fin de la pratique dans l’intérêt des filles et des femmes.

Deux cas signalés depuis 2015

La reconnaissance des MGF comme une violation flagrante des droits des filles et des femmes est établie dans de nombreux instruments juridiques internationaux et déclarations politiques. Depuis la promulgation de la loi sur les femmes en décembre 2015, seuls deux cas de mutilations ont été signalés, dont celui sur un bébé de 5 mois décédé des suites d’une mutilation dans le village de Sankandi. Les accusés ont nié les faits et ont demandé à être libérés sous caution, ce à quoi l’État s’est opposé. L’affaire a ensuite été ajournée pour statuer sur la mise en liberté sous caution, mais avant que la Cour ne se prononce l’État a abandonné les poursuites. La position officielle de l’État était que le rapport médical n’établissait pas de lien entre la cause du décès et la mutilation.

En 2023, trois femmes de Niani Bakadaji, dans la région du fleuve central, ont été reconnues coupables d’avoir pratiqué et encouragé des mutilations génitales féminines. Huit enfants âgés de 4 mois à 1 an ont été mutilés, en violation directe de la loi sur les femmes de 2015. Elles n’ont été condamnées qu’à une amende de 15 000 dalasis gambiens (220 dollars américains) ou, par défaut, à un an d’emprisonnement, une peine qui n’est pas conforme à celle prévue par la loi.

Le week-end suivant leur condamnation, l’imam Abdoulie Fatty, un érudit religieux connu pour ses opinions fondamentalistes et associé à l’ancien dictateur Yahya Jammeh, s’est rendu avec d’autres érudits dans le village des femmes condamnées pour payer l’amende, une action qu’il considère comme un devoir sacré de tout musulman et comme un soutien à l’excision en tant que partie intégrante de la culture de la population. Il a ajouté que si tout le monde soutenait ouvertement l’excision, le gouvernement ne serait pas en mesure d’emprisonner une ville entière, sans parler d’un pays tout entier.

Des débats régressifs

L’assaut de l’imam Fatty contre la loi anti-MGF a finalement conduit à des débats intenses et régressifs à l’Assemblée nationale, débouchant finalement sur un soutien massif en faveur de l’abrogation de l’interdiction des MGF. Le 4 mars 2024, Almameh Gibba, député a présenté un projet de loi à l’Assemblée nationale, le Women’s (Amendment) Bill 2024, qui vise à supprimer les articles 32A et 32B du Women’s (Amendment) Act 2015.

Si le projet de loi affirme que l’excision est profondément ancrée dans les croyances culturelles et religieuses de la majorité du peuple gambien, en particulier dans le contexte de l’islam, cette position ne peut justifier des pratiques qui violent les droits humains. De nombreux pays dont la population est majoritairement musulmane ont promulgué des lois interdisant les mutilations génitales féminines. Les MGF ont également été condamnées par de nombreux érudits et organisations islamiques dans le monde entier, soulignant l’importance de protéger les individus contre les pratiques néfastes.

Le projet de loi affirme également que l’interdiction de l’excision est en contradiction avec les principes généraux des Nations unies, qui encouragent la préservation et la pratique des héritages culturels et historiques. Si les Nations unies encouragent la préservation culturelle, elles mettent également l’accent sur la protection des droits humains, y compris le droit d’être à l’abri de toutes les formes de discrimination et de violence, telles que les mutilations génitales féminines. Les organes de surveillance des traités des Nations unies condamnent les pratiques sociales et culturelles néfastes qui portent atteinte à la santé, à la sécurité, à l’intégrité corporelle et au bien-être général des individus, quelles que soient les justifications culturelles ou religieuses.

Bien que le droit international reconnaisse le droit des personnes à pratiquer leur culture et leur religion, ces droits peuvent être restreints par un gouvernement qui a l’obligation de protéger les droits humains fondamentaux. Ainsi, la justification fournie dans le Women’s (Amendment) Bill 2024 n’est pas conforme à l’esprit et à l’intention de l’interprétation de la préservation du patrimoine culturel des Nations unies. C’est un fait établi que les gens ne peuvent pas invoquer la culture ou la religion pour justifier les violations des droits des femmes et des enfants.

Profonde inquiétude

La Gambie est signataire du protocole de Maputo, qui impose aux États l’obligation d’interdire les MGF par des sanctions pénales (article 5(b)). Le protocole garantit également le droit de vivre dans « un contexte culturel positif ». S’il est adopté, le projet de loi constituera une violation directe de ces dispositions. Le pays est également partie à la Cour africaine qui a statué dans l’affaire APDF & IHRDA c. Mali que les États africains ne peuvent pas utiliser la culture et la religion comme base pour justifier la violation des droits humains. Bien que l’article 17 de la Charte africaine et l’article 17 du Protocole de Maputo reconnaissent le droit à la culture, et que l’article 18 de la Charte fait référence aux valeurs « traditionnelles », cela n’exonère pas les États de leur responsabilité d’éliminer les pratiques traditionnelles néfastes qui violent les droits humains.

Après la deuxième lecture du projet de loi le 18 mars 2024, et le débat qui a suivi, les législateurs ont voté par 42 voix contre 4 pour renvoyer le projet de loi à la commission des affaires de l’Assemblée afin qu’il soit soumis aux commissions appropriées de l’Assemblée pour un examen plus approfondi et une consultation publique.

La Commission africaine et le Comité africain d’experts sur les droits et le bien-être de l’enfant (ACERWC) ont récemment publié une déclaration commune exprimant leur profonde inquiétude. Ils demandent instamment à la Gambie de protéger les filles et les femmes en maintenant l’interdiction. Il ne s’agit là que d’un exemple parmi d’autres de la levée de boucliers internationale contre l’abrogation potentielle. Il est essentiel que les OSC nationales et transnationales participent rigoureusement au processus de consultation en faisant pression sur le président pour qu’il rejette le projet de loi s’il est adopté.

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