
Image de la base militaire américaine au Niger ; Capture d'écran de la chaîne YouTube de Radio France Internationale (RFI)
Les séquelles du coup d’État survenu au Niger le 26 juillet 2023 continuent de marquer le quotidien dans le pays. Après le départ des troupes françaises en décembre 2023, c'est au tour des soldats américains de plier bagages suite à la demande des militaires au pouvoir.
Le 16 mars 2024, le pouvoir en place à Niamey dénonce dans un communiqué l'accord de coopération militaire signé en 2012, entre leur pays et les États-Unis. Selon les autorités nigériennes n'est qu'une simple note verbale qui a été imposée unilatéralement par Washington à Niamey.
Suite au coup d'état de juillet 2023, un Conseil national pour la sauvegarde de la patrie (CNSP) ayant à sa tête le colonel Abdourahamane Tchiani est mis en place. Cette institution juge aujourd'hui illégale la présence des troupes américaines sur le sol nigérien et réclame le départ pur et simple de la base américaine qui siège dans la ville d’Agadez, situé au nord du pays.
Ce tournant dans le relations entre Niamey et Washington est le signe d'une reconfiguration géopolitique sur le continent. En effet le 12 avril 2024, des instructeurs militaires russes d'Africa Corps arrivent au Niger pour contribuer à la formation des soldats nigériens sur l'utilisation des nouvelles technologies militaires. L‘Africa Corps placé sous la tutelle du gouvernement russe remplace le groupe armé privé Wagner, dissolu depuis la mort de son chef charismatique Yévguéni Prigojine.
Cette vidéo de Tv5monde montre l'atterrissage d'un avion russe en train de décharger des matériels :
Dans ce contexte de nouvelle guerre froide, les États-Unis entament le 23 avril 2024 des discussions avec le Niger pour le retrait définitif de leurs troupes composé de mille soldats.
Pour mieux saisir ce changement géopolitique, Global Voices a joint, via Whatsapp, Boubacar Touré, homme politique nigérien, secrétaire général de l’Union des Forces Populaires et démocratique (Sawaba UDFP- SAWABA) et ancien président des jeunes leaders du Niger. Il explique les dessous de cette rupture ainsi que le ressenti des populations dans cette ère post-coup d’État.
Jean Sovon (JS) : Après la France, c’est au tour des États-Unis de se retirer du Niger. Comment expliquer cette rupture qui crée désormais un fossé entre Washington et Niamey ?
Boubacar Touré (BT) : Je voudrais rappeler pour la compréhension de tous que depuis les évènements du 26 juillet 2023 qui ont vu l’avènement du Conseil national pour la sauvegarde de la patrie (CNSP) au pouvoir au Niger, la relation entre le Niger et les USA n’a pas obéit à la même posture que celle d’avec la France. En ce sens que les États-Unis ont attendu plus d’un mois avant de qualifier les événements de coup d’état. Ensuite plusieurs rencontres d’échanges de haut niveau se sont déroulées pour accorder les points de vue. Mais l’insistance des Américains à dicter des limites au Niger dans le choix de ses partenaires au détriment de sa souveraineté a fini par produire le communiqué du 16 mars demandant le départ des troupes américaines du Niger. Ce même communiqué à révélé l’absence de base juridique à cette présence américaine au Niger, et donc son illégalité.
Ce n’est donc pas une rupture mais la décision d’un état souverain de mettre fin à une présence illégale et non profitable selon le même communiqué, chose qui ne peut créer un fossé entre les deux états.

Photo de Boubacar Touré ; Olouwa image, utilisée avec permission
JS : Que pense l'opinion publique d'une telle décision ?
BT : L’opinion publique nigérienne a bien évidemment accueilli cela comme une victoire sur l’impérialisme américain. Depuis 2012 que ces forces se sont installées chez nous, sous le prétexte de la lutte contre le terrorisme, le peuple est toujours resté perplexe et à dénoncer maintes fois l’inutilité de cette présence massive. On se rappelle des différentes manifestations et déclarations des organisations de la société civile et même des partis politiques de l’opposition pour fustiger l’installation des bases militaires étrangères. Les nouvelles autorités en mettant fin à cette présence illégale ont répondu à une demande populaire de toujours.
Lire : Sahel: la plus grande crise terroriste au monde
Deux jours après l'arrivée des troupes russes, le 14 avril 2024, une partie de la population apporte son soutien aux militaires à travers une manifestation contre la présence des troupes américaines. En témoigne ce reportage vidéo du média Africanews :
Lire : Entretien avec l'homme politique Boubacar Touré sur le coup d’état qui a renversé le président Bazoum
JS : Au Mali et au Burkina-Faso, deux membres de l’Alliance des États du Sahel (AES), les Occidentaux sont chassés au profit des Russes. Peut-on en conclure que le Niger est en train de suivre une consigne de l’AES ?
BT : Consigne ? Non ! l’Alliance des États du Sahel (AES) est une alliance voulue, pensée et créée par des états jaloux de leur souveraineté et désirant sortir des classiques des organisations régionales existantes avec une volonté à terme de se constituer en fédération.
Je nous appelle donc à regarder ce bouleversement géostratégique dans un autre angle que celui du mépris qui veut que ça soit le changement d’un maître pour un autre, comme si nos états sont condamnés à toujours être au service d’un maître.
Quand plus d’une décennie après l’installation des militaires occidentaux avec tous les moyens technologiques dont ils peuvent disposer, l’insécurité qui était alors cantonnée au nord du Mali finit par gagner le reste du pays et même s’installer dans les pays voisins, nos États étaient en droit de faire le constat de l’échec de cette collaboration et de vouloir essayer d’autres. C’est cela qui fonde le rapprochement avec la Russie qui produit déjà des résultats comme la libération de Kidal au Mali entre autres.
Le Niger est préoccupé à défendre son territoire et disposé à coopérer avec tous les pays du monde dans le respect de sa dignité et de sa liberté. Pour le moment la Russie a démontré sa disponibilité à accompagner le Niger sur ce chemin en lui offrant les moyens techniques et de la formation. Le Niger ne se fait pas prier pour saisir l’opportunité d’un partenariat sincère.
JS : Quels sont les scénarios sur le moyen terme de tels changements stratégiques dans la région ? Est-ce un retour à la guerre froide ? La formation de nouveaux axes d'alliances ?
BT : Les luttes de positionnement des puissances mondiales ne nous intéressent pas, n’intéressent pas les États du Sahel. ,C'est plutôt la survie de nos États et la sécurisation de nos populations qui préoccupent et guident les décisions de nos autorités.
Certainement dans les semaines à venir de façon opportuniste, l’ennemi tentera des actions de désespoir pensant surfer sur un vide mais je peux vous garantir que nos forces répondront énergiquement de façon à émousser leur ardeur.
A court terme nous entrevoyons un basculement du rapport de force sur le terrain au profit de nos forces grâce aux nouvelles acquisitions aériennes et terrestres, une montée en puissance favorisée par une meilleure marge de manœuvre opérationnelle et un rétablissement de la sécurité de façon progressive dans la zone.
Ce départ des américains au Niger qui sont déjà sous pression au Tchad témoigne d'un changement stratégique dans la région du Sahel. Est-ce finalement la fin d'une longue période de puissance des occidentaux ?