Origine de la traduction chinoise de l'année du « Loong »

Illustration provenant du domaine public. Par Karen Arnold, via publicdomainpictures.net.

Depuis que les médias chinois ont commencé à parler de « l'Année du Loong », pour désigner l'Année du Dragon, le terme et ses homophones sont devenus de véritables mèmes chez les hongkongais, symbolisant la volonté du gouvernement de se tourner vers une politique plus nationaliste.

L'année du « Loong »

Cette année 2024 marque celle du dragon. Cependant, les médias gouvernementaux chinois ont décidé d'abandonner le terme « dragon » au profit du mot « loong », une translittération assez peu utilisée du mot 龍, littéralement « dragon ».
Beaucoup de médias, dont China Daily, ont tenté d'expliquer ce changement :

D'après ces médias, l'image du dragon serait différente en Occident et en Chine. En effet, dans la mythologie chinoise, le dragon est un animal sage, une divinité. Tandis que dans l'Ouest, le dragon est un monstre vicieux. Ils auraient ajouté que la traduction de « 龍 » en « dragon » serait une erreur, une distorsion culturelle.

Ce n'est pas la première fois que la Chine essaie d'effacer certains mots anglais.
Depuis quelques années, le gouvernement utilise le pinyin, un système qui sert à épeler et à transcrire les sons chinois avec des lettres de l'alphabet latin, et ce, afin de remplacer les traductions de mots anglais sur les panneaux publics. Ce changement aurait pour but de symboliser la puissance et la confiance qu'a le pays dirigé par Xi Jinping en sa propre culture.
Par exemple, « road », la route, fut remplacé par « lu » et « museum », le musée, par   « Bó wù guǎn ». Ce système de transcription sème cependant la confusion chez les étrangers ne parlant pas mandarin :

Des habitants de Pékin ont remarqué que le mot anglais « station » sur les panneaux des stations de métro est en train d'être remplacé par le mot
« zhan » en pinyin.
Certaines personnes pensent que ce changement pourrait embrouiller les touristes.
D'après la compagnie de métro de Beijing, cette nouvelle traduction intervient après les dernières réglementations du gouvernement sur la dénomination des lieux publics. pic.twitter.com/b7lZNAU7ws

— Sixth Tone (@SixthTone) 29 décembre 2021

L'argumentation des médias gouvernementaux a cependant gagné l'aval des nationalistes chinois. Certains ont même proposé de faire du terme « loong » l'appellation officielle du dragon chinois en anglais. Sur X, anciennement Twitter, beaucoup d'influenceurs pro-Chine ont même fait la promotion de ce terme sur les réseaux sociaux. C'est le cas du compte « Shanghai Panda » :

Cette année sera celle du Loong, pas celle du Dragon. #龍 #龙 #loongyear pic.twitter.com/rk92n3QB4J

— ShanghaiPanda (@thinking_panda) 9 février 2024

Certaines personnes ont néanmoins fait part de leur désaccord.

C'est le cas de Nick Kapur, qui a fait remarquer que dans la mythologie chinoise, le dragon est parfois associé aux catastrophes naturelles :

Les dragons furent souvent associés aux catastrophes naturelles, notamment celles causées par l'eau et le vent. Ils furent accusés de causer les crues soudaines, les pluies torrentielles, les tornades et les trombes marines qui tuaient des dizaines, voire des centaines de personnes.

9/

— Nick Kapur (@nick_kapur) 15 février 2024

China Digital Times a également partagé un commentaire d'un certain Chén-fēng lao-yuàn (晨楓老苑), très critique sur ces communiqués officiels :

Discursive power is important, but it should come from strength, not volume; from respect, not insistence. In the case of Loong and Dragon, the ambiguity comes not from the Chinese and Western signification of the dragon symbol, but from deliberate misuse [of the symbol]. It is China's image that determines whether the Chinese dragon is good or bad, not the other way around.

La force discursive est très importante, c'est sûr, mais elle doit venir de la force, pas du volume. Elle doit venir du respect, pas de l'insistance. Dans le cas du Loong et du Dragon, cette ambiguïté ne vient pas des significations du mot en Chine et en Occident, mais bien d'un mauvais usage intentionnel [de ce symbole]. C'est l'image même de la Chine qui détermine si son dragon est bon ou mauvais, pas l'inverse.

Une confusion linguistique

Ce choix du « politiquement correct » apporte toujours plus de confusion linguistique. Comme l'a fait remarquer l'utilisateur @languagediarya1, l'une de ces confusions est celle de la traduction contre la translittération, soit le fait de représenter un mot ou une phrase dans un autre système d'écriture.

Et puis ils ne comprennent pas la différence entre la traduction et la translittération.
Si pour eux on peut dire loong, alors ça veut dire que  « sau pei laa pok kaai zai » est une traduction du cantonais à l'anglais lol.

— 芝娃娃愛好人士傳揚芝愛 (@languagediarya1) 9 février 2024

« Sau pei lass pok kaai zai », écrit 收皮啦仆街仔. Évidemment, cette phrase n'a aucun sens pour une personne ne parlant pas cantonais. Il s'agit en fait d'une phrase d'argot voulant globalement dire « va te faire foutre, connard ».

Une telle confusion fut mis en dérision par le dessin suivant. Très populaire sur les réseaux, il insinue que la traduction cantonaise du mot anglais « Dragon » devrait-être 姐緊 « jie-gan », un terme sans aucun sens qui pourrait se traduire par « sœur-serré ».

Mais même si la translittération du mot 龍 arrive à se faire accepter, il y aura toujours une certaine confusion. En mandarin standard de la Chine continentale, 龍 est transcrit comme « long », et non « loong ». Cette romanisation de « loong » vient du missionnaire britannique Joshua Marshman (1768-1837). Cependant, la plupart des sinologues utilisent de nos jours le pinyin de la Chine continentale, « long », et ce, afin d'éviter toute confusion.

De nos jours, le terme « loong » pour parler du 龍 est surtout utilisé par les citoyens n'habitant pas en Chine continentale, comme à Hong Kong, ou dans d'autres pays d'Asie du Sud-Est, comme la Malaisie ou Singapour.
Le premier ministre singapourien, Lee Hsien Loong, en est un exemple.

Mais cette translittération du mot « loong » n'a rien à voir avec la manière dont les citoyens d'outre-mer interagissent entre eux. Prenez le Hokkien, un dialecte utilisé par plus de 47 millions de personnes à Fujian, Taïwan, Singapour, Hong Kong, en Malaisie et aux Philippines. Dans ce dialecte, « 龍 » est transcrit comme « lêng », « liâng » ou encore « liông ».
Autre exemple : en cantonais, la prononciation de « loong » a beau être similaire à celle de 龍, la romanisation est soit « lung4 » ou « long2 », les chiffres représentant les neuf intonations du cantonais.

Le choix d'utiliser « loong », une translittération assez peu utilisée de nos jours, vient sûrement d'un souhait d'éviter la confusion entre le terme « long » du pinyin standard et le « long » de la langue anglaise. Cela ne facilite pas vraiment la communication inter-culturelle, puisque les anglophones utilisent souvent le terme « long » dans la vie de tous les jours…

« Loong » : surchargé, prêt et solitude

Le terme « Loong » fut utilisé par John Lee, le Chef de l'exécutif d'Hong Kong, dans un message d'accueil au cours d'un événement touristique du Nouvel An lunaire. Une utilisation qui n'a pas plu aux hongkongais, qui ont dès lors critiqué ce choix du « politiquement correct », affirmant qu'une telle décision ne ferait que compromettre un peu plus la réputation de la ville, considérée comme une intermédiaire entre la culture Chinoise et Occidentale.

Au lieu de directement critiquer cette décision, certains citoyens ont décidé de poster des homophones aux connotations négatives de « loong » sur les réseaux. Ont alors été utilisés des termes comme « » (prononcé nóng), carbonisé, « loan », un emprunt et « alone », seul.
Encore aujourd'hui, certaines personnes utilisent toujours le hashtag « loong » afin de parler de mauvaises nouvelles économiques. Tout simplement parce qu'en cantonais, le terme 燶 est souvent utilisé pour parler de pertes d'argent dans la bourse.

La Chine vient de décider que l'Année du Dragon serait maintenant l'Année du Loong – Selon Radio Free Asia https://t.co/JY0gawcnCC, « Beaucoup de citoyens hongkongais se sont moqués du terme « loong », qui sonnerait comme le mot « carbonisé » en cantonais, ou comme « loan », un prêt, en anglais ».

— David Mulroney (@David_Mulroney) 14 février 2024

Très partagé lors de la Saint-Valentin, le dessin ci-dessous représente un dragon triste d'être seul, « a-loong » :

Il suffit parfois d'un terrible dragon pour apporter le sourire. C'est en tout cas ce que suggère Surrealhk avec ce Photoshop du dragon japonais Godzilla :

Si le gouvernement chinois continue d'essayer de politiser la langue et ces translittérations, laissez-moi vous dire que cette année sera très « loong ».

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