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Ces dernières années en Ouganda, les écologistes ont fait l'objet de répressions partout dans le pays. Pour sauvegarder la nature, des journalistes, des étudiants, ainsi que des agriculteurs et des habitants de zones rurales, protestent et se mobilisent contre les injustices et les déplacements forcés causés aussi bien par les infrastructures d’énergies fossiles que par l’agro-industrie, l’électricité hydraulique ou la compensation carbone. Dès lors, cette situation oppose à la fois les autorités et les intérêts des grands groupes capitalistes aux écologistes. Ces derniers cherchent à protéger les espaces naturels des sociétés à but lucratif, qui étendent les périmètres d'extraction des ressources à de nouvelles zones. Dans ce contexte, et 15 ans après la fin du conflit armé dans le Nord de l'Ouganda [fr], une paix durable est-elle envisageable dans cette région du pays ?
Afin de mieux comprendre les conflits actuels liés à la terre ou à la défense de l'environnement, il convient d'étudier comment la nature est intégrée dans les politiques de construction de la paix et de développement. En effet, le rôle joué par les espaces naturels dans la vie quotidienne des communautés locales est souvent méconnu. En plus de générer des revenus par le biais de l'exploitation des ressources, l'environnement peut contribuer à maintenir la paix et à soutenir le développement dans le Nord de l'Ouganda à travers trois fonctions principales. En tant que système sémiotique (a), espace public (b) et moyen de réconciliation (c), la nature favorise la paix.
La nature en tant que système sémiotique
Dans le Nord de l'Ouganda, quand les populations ont quitté les camps de déplacés internes et sont revenues dans leur lieu d'origine après la guerre, des tensions [fr] sont apparues au sein des familles et des clans du fait de difficultés d'accès à la terre. L'une des raisons tient aux transformations subies par le milieu naturel, puisque les éléments du paysage qui servaient auparavant de marqueurs territoriaux ont été enlevés.
Or, la nature fonctionne comme un système sémiotique, dans lequel les éléments tels que les rivières, les collines et les arbres revêtent une signification importante pour les communautés locales. Ils aident les individus à s'orienter dans leur environnement et à revendiquer des droits de propriété. Par exemple, un manguier à une intersection ou un rocher près d'un étang peut servir de repère pour retrouver son chemin et rentrer chez soi. Ainsi, en l'absence de système officiel de délimitation, un régime foncier coutumier s'avère indispensable. Le maintien de la paix au sein des familles et des communautés repose donc souvent sur des marqueurs naturels symboliques.
La nature en tant qu'espace public
En Ouganda, les arbres sont des lieux de réunion importants au sein des villages. Ils permettent à la population de s'abriter du soleil. Les habitants profitent de leur ombre pour se rafraîchir, discuter, jouer, lire, enseigner ou étudier. Ils débattent également de l'avenir de la communauté. Certains arbres sont même considérés comme sacrés. Des espèces sont vénérées en raison de leur taille, leur forme ou leur emplacement (comme l'arbre de Nakayima, dans le centre de l'Ouganda).
L'espace public sous un arbre peut servir d'arène aux fins de participation politique, d'autonomisation, de cohésion sociale, mais également en vue de la pacification de la communauté et de la réconciliation. Pour des raisons écologiques et politiques, la présence de « nature » dans les villages et les zones urbaines est primordiale, comme le montre le travail actuellement mené par des associations environnementales dans le Nord de l'Ouganda.
La nature en tant que moyen de réconciliation
L’Accord sur la responsabilité et la réconciliation [fr], signé en 2007 par la République d’Ouganda et l’Armée de résistance du Seigneur [fr], est venu préciser les rites traditionnels pratiqués par des groupes ethniques locaux « en vue de réconcilier [les] parties auparavant en conflit, après mise en jeu totale de la responsabilité ». Parmi ces rituels, le Mato Oput est une cérémonie de réconciliation qui a lieu après qu'une personne d'un clan ami a été tuée. Le terme signifie boire l’oput, une boisson amère préparée à partir de racines broyées provenant de l'arbre du même nom et bue au point culminant de la cérémonie. Pour certains, « il n'existe peut-être aucun autre arbre plus essentiel à l'immense travail de guérison résultant de la guerre civile brutale qui a sévi dans tout le territoire acholi [fr] pendant plus de 20 ans ».
Plusieurs parties de l'arbre oput¹ ainsi que d'autres éléments naturels sont nécessaires à ce rituel, qui marque la fin d'un long processus de médiation. Dès lors, la nature est indispensable à la responsabilisation et à la réconciliation au niveau local, dans une perspective d'apaisement et de maintien de la paix. Actuellement, les écologistes et les chefs traditionnels s'inquiètent du nombre alarmant d'arbres oput abattus dans le Nord de l'Ouganda.
Les écologistes en tant qu'artisans de la paix
Méconnaître le rôle de la nature, et le sous-exploiter, limite la possibilité pour les personnes de se comprendre et d'appréhender leur environnement, ce qui peut exacerber les conflits soit en marginalisant certains savoirs, soit en détruisant le fondement des relations socio-écologiques entre individus.
Il est donc urgent de revoir l'importance accordée à la nature dans les politiques actuelles de pacification et de développement en Ouganda. De même, il est essentiel de soutenir les écologistes qui font pression pour que les points de vue locaux sur la place de la nature soient pris en compte dans les stratégies de développement.