La validation de l'élection de Mahamat Idriss Déby Itno, le 16 mai 2024, par le conseil constitutionnel fait rentrer la République du Tchad dans une nouvelle phase politique de son histoire. Au lendemain de ce processus électoral qui solde la fin de la période de transition militaire (2021-2024), les Tchadiens – dont la population est de 18 millions d'habitants – expriment un désir profond de changement.
Presque trois semaines après sa prestation de serment, le 23 mai 2024, l'attente des Tchadiens vis-à-vis du nouveau président, qui est toutefois le fils de l'ancien président, est encore plus grande au vu d'un passé récent et turbulent, car émaillé de violences, de manifestations et de crises politiques. Mahamat Idriss Déby Itno est attendu sur plusieurs fronts comme l'indique cet article de BBC Afrique : la sécurité alimentaire, la crise économique, le problème énergétique et le manque d'eau potable, l'emploi des jeunes, la sécurité du pouvoir contre les groupes armés. Le nouveau président est élu pour un mandat de cinq ans, et peut se présenter une seconde fois à la fin de son mandat.
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Dans un entretien avec Global Voices, Clément Sianka, directeur de cabinet et porte-parole d’Albert Pahimi Padacké du parti Rassemblement national des démocrates tchadiens (RNDT), candidat classé 3ème avec plus de 16% des suffrages au scrutin présidentiel du 6 mai 2024, fait le bilan de ces élections. Il revient sur les circonstances de l'organisation de cette élection, qui a vu le sacre de Mahamat Idriss Déby Itno, et aborde également les attentes du peuple tchadien envers le nouveau président et l'avenir du pays.
Jean Sovon (JS) : Quel bilan faites-vous des élections présidentielles du 6 mai 2024 ?
Clément Sianka (CS) : Le bilan de cette élection présidentielle est à l’image de ces institutions : l’Agence nationale de gestion des élections (ANGE) et le Conseil constitutionnel, ainsi que des lois qui ont géré ce processus. Pour nous, les institutions chargées de l’organisation des élections n'ont pas été très impartiales. La loi électorale elle-même posait des soucis et constituait également, de notre point de vue, un recul de la démocratie dans notre pays, car elle empêchait l’expression d’un vote libre et surtout ne garantissait pas le comptage des voix dans la transparence.
Au sein de notre parti, le Rassemblement national des démocrates tchadiens (RNDT), cet état de fait nous a conduit à ne pas avoir tous les éléments tangibles pour contester ces résultats : absence de procès verbaux mise à notre disposition après le dépouillement dans les bureaux de votes. Notre candidat, par le biais de notre parti politique, a déposé des recours auprès du conseil constitutionnel, mais ces recours ont été rejetés.
Mais en tant que démocrate et légaliste, nous n’avons pas eu d’autre choix que de respecter cette loi électorale, y compris les institutions qui organisaient cette élection. Voilà pourquoi, même après le rejet de notre recours auprès du Conseil constitutionnel, nous nous sommes pliés au verdict du juge électoral.
Au regard de tous les éléments, nous avons reconnu la victoire de Mr Mahamat Idriss Déby Itno et notre candidat l’a dit très rapidement afin de ne pas créer de confusion et de ne pas plonger le Tchad dans une crise post-électorale que les Tchadiens n’ont pas besoin de vivre en ce moment.
JS : Comment expliquez-vous le maintien du pouvoir par la même famille?
CS : Nous ne raisonnons pas en terme de transmission de pouvoir de père en fils. Nous considérons que Mahamat Idriss Deby Itno est un Tchadien qui a le droit de se présenter pour espérer les suffrages du peuple. Fût-il fils de l’ancien président, pour autant, le priverait-on de ses droits de Tchadien pouvant prétendre à la magistrature suprême ? Non !
Le seul problème à notre avis est, comment organiser une élection où les Tchadiens confient de leur plein gré leur destinée à un autre Tchadien pour un mandat précis et une durée précise.
JS : Quels sont les principaux défis que le nouveau Président devrait aborder en priorité?
CS : Le Tchad doit, de nouveau, faire face à plusieurs défis et nous estimons que Mahamat Idriss Deby Itno doit aborder certains questions prioritaires pour l'intérêt du peuple tchadien.
Il a le devoir de restaurer la démocratie, d'amener l'ensemble des Tchadiens à croire en la démocratie comme système politique qui contribue de la manière la plus efficace et efficiente au développement de notre pays.
Les Tchadiens ont besoin de voir leur condition de vie s’améliorer dans tous les domaines : santé, éducation, logement, voies de communication, électricité, eau, tourisme. La création d'un climat d’affaire favorable aux investissements afin de créer de l’emploi et de la richesse est un aspect primordial pour développer le pays.
L’agriculture et l'élevage, qui sont les deux mamelles de l'économie tchadienne doivent retrouver leur lettre de noblesse avec une modernisation de l’agriculture mais aussi un élevage intensif sous la forme de fermes agricoles et d'élevages sans laisser l’industrialisation globale de l’économie sur le carreau.
Tous les Tchadiens doivent être égaux devant la loi et devant le juge, ce qui induit la restauration de l’autorité de l’État. Bref, les Tchadiens attendent assez du nouveau président.
Selon le classement de Reporters sans frontières sur la liberté d'expression de 2024, le Tchad se retrouve à la 96ème place sur 180 pays, contrairement à la 109ème place occupée en 2023. Le pays réalise ainsi un bon de 13 places. Mais la corruption est l'un des maux qui gangrènent le pays. Selon l’indice de perception de la corruption de Transparency international, le pays de Mahamat Idriss Déby Itno se range à la 162ème place sur 180 pays avec un score alarmant de 20 sur 100.
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JS : Qu’en est-il de la politique extérieure du Tchad avec des pays comme la Russie, la Chine et la France?
CS : Il y a un an, Albert Pahimi Padacké a publié un livre titré ” L’Afrique empoisonnée : Pathologie et Thérapie des conflits“. Et tout un chapitre entier est consacré à cette question relatives à la politique extérieure du Tchad avec des pays comme la Russie, la Chine et la France. La réponse est simple. Nous voulons en tant que pays, travailler avec tous les partenaires pour participer au développement de notre pays et renforcer notre démocratie.
En posant cette question, beaucoup pensaient à notre relation avec la France, mais là aussi, nous disons, “moins de France mais mieux de France”.
Début 2024, une visite officielle de Mahamat Idriss Deby Itno en Russie scelle le rapprochement entre les deux pays. Ceci intervient dans une période de mésentente de Paris avec le Mali, le Burkina-Faso et le Niger, trois pays du Sahel qui ont rompu leurs relations avec l'ancienne métropole.
Face à ces nombreux défis, la tâche ne sera pas du tout repos pour Mahamat Idriss Deby Itno même si cette fonction de président de la République n'est que le prolongement de la transition qu'il a assuré à la tête du pays entre avril 2021 et avril 2024.