Cet article écrit par Elvine Ouma a été initialement publié par Minority Africa le 10 mai 2024. Une version abrégée est republiée ci-dessous dans le cadre d'un accord de partage de contenu.
Grace Nyarangi a décidé de se lancer dans l'industrie du sexe alors qu'elle avait un peu plus de 18 ans. Dans ses premières années, elle a réussi à subvenir aux besoins de ses enfants, à mettre de la nourriture sur la table et à subvenir à tous leurs besoins uniquement grâce à ses revenus.
Malgré les réactions négatives et la stigmatisation de sa famille ainsi que de sa communauté lorsqu'elles ont appris son choix de profession, Nyarangi est restée déterminée.
Après avoir accouché et avoir été abandonnée par mon partenaire, j'ai cherché un emploi sans succès », raconte-t-elle. « C'est à ce moment-là que je me suis tournée vers ce métier.
Cependant, à mesure qu’elle vieillissait ses revenus ont commencé à diminuer.
Nyarangi, qui travaille aujourd'hui également à l’Alliance africaine des travailleuses du sexe (ASWA) basée dans la ville de Kisumu [fr], affirme qu'au Kenya, les travailleuses du sexe âgées sont confrontées à deux défis majeurs: la technologie et l'âgisme.
Les hommes aiment les femmes plus jeunes ou simplement les femmes qui paraissent plus jeunes. Mon apparence me donne toujours des clients, car comparée à mes camarades d’âge, j’ai l’air plus jeune. Mais ce n'est rien comparé à quand j'étais jeune, j'avais des clients prêts à payer autant que je le demandais, mais les choses ont changé maintenant”, dit Nyarangi, ajoutant : «J'ai de la concurrence».
Selon Nyarangi, qui a maintenant plus de 40 ans, l'industrie du sexe en ligne a connu une expansion significative pendant et après la pandémie, désavantageant les travailleuses du sexe plus âgées. Beaucoup n’avaient pas les connaissances ou les compétences nécessaires pour tirer parti de la technologie afin d’élargir leur clientèle.
Nos homologues plus jeunes se sont adaptées aux rencontres avec les clients en ligne, ce qui offre facilité et confidentialité aux clients. L’incapacité d’utiliser les médias sociaux pour entrer en contact avec les clients a touché de manière disproportionnée les travailleuses du sexe âgées. Beaucoup n’ont pas accès aux smartphones, et encore moins les compétences nécessaires pour les utiliser, explique Nyarangi.
Nancy, 46 ans, qui exerce ce travail depuis plus de 12 ans, révèle les difficultés financières auxquelles elle est confrontée. Elle a souvent du mal à rassembler 50 KES (0,38 USD) pour payer les policiers pour un espace commercial appelé Kiwanja, qui se traduit vaguement par « champ » dans les régions côtières du Kenya.
Malheureusement, celles qui n’ont pas les moyens de payer le pot-de-vin ou qui n’ont pas l’attrait physique nécessaire pour attirer les policiers se retrouvent exclues de leurs locaux de travail pour la journée.
En tant que femmes âgées, nous sommes parfois obligées d'offrir des services gratuits en échange d'un espace commercial, explique Nancy :
Kabla uruhusiwe kufanya biashara, lazima polisi apate kitu ndio akuruhusu kusuburi biashara
Avant d’être autorisée à faire des affaires, vous devez d’abord soudoyer le policier.
Pour attirer les clients, Nancy admet qu'elle a dû couper les prix que pratiquent les jeunes travailleuses du sexe, ce qui, selon elle, est injuste.
J’ai même eu recours au blanchiment de la peau et à d’autres traitements pour paraître plus jeune, mais je n’arrive toujours pas à gagner autant qu’au cours de mes premières années », dit-elle. «Dans ma jeunesse, je pouvais gagner plus de 10 000 KES (76 USD) par jour avec un seul client ou plusieurs, en particulier avec des clients blancs.»
L'ASWA a été créée en 2009 en Afrique du Sud par des membres issus de plus de 35 pays, dans le but de promouvoir la déstigmatisation et la décriminalisation du travail du sexe.
ASWA s’efforce de fournir aux travailleuses du sexe des compétences diversifiées. Les premières sessions de formation de l’organisation portent sur le renforcement des capacités des travailleuses du sexe en Afrique. En 2022, le donateur de l’ASWA a proposé un changement de programme : un modèle pour suivre la croissance et le développement des travailleuses du sexe qui participent au programme depuis huit ans.
Actuellement, ASWA réalise le deuxième module du programme, l'Africa Leadership Sex Workers Academy (ALESWA), qui vise à donner aux travailleuses du sexe les moyens de défendre leurs droits dans les espaces de plaidoyer internationaux, en abordant les défis qui ébranlent la profession, comme la prévention du VIH/SIDA.
Plus de 500 jeunes travailleuses du sexe ont jusqu’à présent bénéficié de cette organisation. Cependant, compte tenu de l’impact de l’organisation, son module reste axé sur le renforcement des compétences en leadership des jeunes travailleuses du sexe, laissant de côté la génération plus âgée .
Nos programmes s'adressent principalement aux jeunes travailleuses du sexe, mais nous avons réalisé que la génération plus âgée est négligée et que leur absence a des conséquences néfastes, explique Nyarangi.
La Coast Sex Workers Alliance, une organisation faîtière qui répond aux besoins des travailleuses du sexe sur la côte kenyane, a été contrainte de déplacer ses opérations en ligne. L’organisation a dû adapter ses programmes pour une prestation virtuelle et contribuer à freiner la propagation du virus COVID-19.
Selon Elizabeth Atieno, promotrice de santé au sein de l’organisation, les travailleuses du sexe âgées ont joué un rôle déterminant et actif dans la lutte pour les droits des femmes, une contribution souvent méconnue, malgré tous les défis mentionnés ci-dessus.
Elle ajoute également que la division croissante des travailleuses du sexe en fonction de l’âge affecte principalement leurs enfants.
Malheureusement, à cause de la pauvreté, les enfants des travailleuses du sexe rejoignent l’industrie pour jouer un rôle de pourvoyeur », explique Atieno. « Dans certains cas, les enfants doivent fournir des soins et un soutien financier à un parent malade, ce qui a un impact négatif sur leur santé mentale. »
L’absence de plan de protection sociale pour les travailleuses du sexe plonge leurs familles dans le cycle sans fin de la pauvreté et, inévitablement, leurs enfants pourraient subir le même sort, poursuit-elle.
Atieno explique en outre que le problème est aggravé par la préférence des donateurs d'autonomiser les jeunes travailleuses du sexe tout en négligeant les plus âgées.
Nyarangi est d'accord et affirme que les donateurs devraient investir des ressources pour doter les travailleuses du sexe âgées de compétences qui leur permettront de prendre facilement soin de leur famille.
En tant qu'organisation, nous espérons pouvoir créer des programmes qui répondent aux besoins des travailleuses du sexe plus âgées et plus jeunes », dit-elle.
Atieno souligne que la santé économique des travailleuses du sexe âgées se détériore déjà, principalement en raison de leur âge et de leur apparence physique. Cette situation présente un risque pour leur santé mentale. La plupart de ces femmes sont les seuls soutiens de leur famille et sont obligées de mettre de la nourriture sur la table, de payer les frais de scolarité et de se loger.
De plus, les travailleuses du sexe âgées préfèrent avoir des relations sexuelles non protégées pour gagner de l’argent supplémentaire, ce qui les expose au risque de contracter le VIH/SIDA.
Kazi ya condom hailipi!
Utiliser un préservatif n'est pas très payant.
Nyarangi déclare:
Elles préfèrent vendre des rapports sexuels sans préservatifs parce qu'elles sont très peu payées, à peine 3 USD, mais peuvent négocier 2 USD supplémentaires lorsqu'elles vendent des rapports sexuels sans préservatifs», explique Atieno. «En outre, en raison de la stigmatisation et de la violence dont ils font l'objet, les travailleurs du sexe de l'ancienne génération ont rarement recours à une aide médicale après avoir couru le risque d'être exposés pour diverses raisons.
Cependant, malgré les difficultés endurées par l’ancienne génération de travailleuses du sexe, y compris les ramifications de la criminalisation de cette profession au Kenya – comme les meurtres non résolus de nombreux collègues, les invalidités permanentes et les mutilations – Nyarangi reste dans l’industrie. Cependant, elle ne traite que quelques clients réguliers.
« J’ai peur pour les jeunes filles et les travailleuses du sexe qui se lancent dans l’activité et je ne sais pas comment repérer les signaux d’alarme et les conseils de sécurité, car les meurtres de travailleuses du sexe sont en augmentation », dit Nyarangi.
À propos de ses projets, elle déclare :
Se marier après avoir travaillé dans cette activité est difficile à cause de la stigmatisation. La plupart des femmes pensent qu’elles pourraient trouver un homme pour subvenir à leurs besoins une fois à la retraite, mais c’est presque impossible .
Mais en attendant, j'espère qu'un jour, le travail du sexe sera reconnu comme un travail”, ajoute Nyarangi avec un sourire optimiste
Certains noms ont été modifiés pour protéger les identités.