La journaliste Sira Sow est assise derrière un microphone vert dans une cabine d'enregistrement dans un village rural chaud de l'est du Sénégal. Elle s'exprime dans la langue locale, le wolof [fr], sur la radio communautaire La Laghem FM , et ses paroles rayonnent dans les taxis, les maisons, les magasins et les téléphones portables de centaines d'habitants de la région de N'Dofane. Elle parle de la lutte contre la violence sexiste, et l'imam local qu'elle a interviewé pour son reportage est d'accord avec elle. La violence sexiste n'est pas soutenue par le Coran, le texte sacré de l'Islam, dit-il. Son émission de radio a atteint de nombreuses oreilles ce jour-là, car de nombreux habitants ne parlent que le wolof et ne peuvent obtenir leurs informations que par un média oral comme la radio.
Parfois au Sénégal, nous rencontrons des victimes de violence, en particulier de très jeunes femmes, mais dans notre culture, même si vous êtes victime, vous hésitez parfois à signaler la violence », a déclaré Sow dans une interview ultérieure avec Global Voices.
Sow fait partie d'un groupe pilote de femmes journalistes participant au projet de bourse de reportage pour femmes journalistes en Afrique francophone . Ce projet travaille actuellement au lancement d'une bourse de journalisme pour femmes en Afrique de l'Ouest à travers une nouvelle enquête et une nouvelle communauté en ligne. L'initiative d'information en charge de ce programme, The Africa Women Journalism Project (AWJP) [fr], mène des recherches dans le but de lancer une nouvelle bourse de journalisme dans les pays francophones du Burkina Faso, du Sénégal et du Togo afin de créer un réseau panafricain de femmes journalistes couvrant les questions féminines.
L‘enquête en direct en français et en anglais sur X (anciennement Twitter) collecte des données sur les sujets abordés dans les rédactions de ces trois pays. Avec ces données, ils peuvent créer un programme pour enseigner aux boursiers les compétences en journalisme. Le 27 mai, l'AWJP a lancé un nouvel espace en ligne, #AWJPWACommunity, pour fédérer les femmes journalistes de toute l'Afrique de l'Ouest francophone. Cette communauté naissante peut unifier les femmes journalistes grâce à de nouvelles relations entre pairs et à une formation régionale.
En tant que directrice de l’AWJP, Catherine Gicheru explique que les violences basées sur le genre et les problèmes de santé materno-fœtale sont des sujets importants qui touchent les femmes de tous les pays africains. Les femmes journalistes couvrant ces sujets, originaires du Bénin ou du Togo, apportent à la rédaction des connaissances locales très spécifiques issues de leurs cultures respectives. La combinaison des connaissances locales de chaque journaliste sur les questions féminines – comme la violence sexiste au Sénégal par rapport au Nigeria – peut contribuer à enrichir et à renforcer la narration collaborative.
Comment réunir le journaliste sénégalais, le journaliste ghanéen et le journaliste tanzanien qui travaillent peut-être sur le même sujet ? Les problèmes sont les mêmes ; les reportages peuvent être meilleurs si nous partageons la manière dont nous traitons ce problème ; nous avons le même problème », a déclaré Gicheru à Global Voices lors d'une interview début avril.
La couverture médiatique par les anciens boursiers de l'AWJP a connu un énorme succès auprès du public local, certains boursiers ayant remporté des prix importants. La journaliste nigériane et ancienne boursière de l'AWJP, Fadare Titilope, a publié une collection d'articles percutants sur les mutilations génitales féminines (MGF) dans le journal nigérian « Premium Times », qui lui a valu le prix national Nigerian ReportHer en 2023. Elle a bénéficié de plusieurs mois de coaching et de rédaction de son mentor de l'AWJP, la journaliste nigériane Vanessa Offiong qui Offiong a déclaré que lorsqu'elle travaillait avec des boursiers de l'AWJP au Nigeria, elle aidait les rédacteurs au Kenya à comprendre les contextes culturels nigérians. Par exemple, la pratique nigériane selon laquelle une mère ou une belle-mère rend visite à une fille qui vient d’accoucher est appelée omugwo, mais elle diffère considérablement de la région nord du pays à celle de la région sud.
Je dois donner ce genre d'informations locales… Je leur disais [aux rédacteurs de l'AWJP] même cette pratique de l’omugwo diffère d'une culture à l'autre au Nigeria. C'était donc un cas où l'AWJP était prête à m'écouter », a déclaré Offiong dans une interview accordée à Global Voices depuis Lagos.
AWJP est une initiative d'information lancée par Catherine Gicheru en 2020 pendant la pandémie de COVID-19, avec le financement du Centre international des journalistes (ICFJ). À l’époque, Gicheru était un Knight Fellow de l’ICFJ basé au Kenya . L’objectif de l’AWJP était de financer une cohorte de femmes journalistes pour couvrir l’impact du COVID-19 sur les femmes et les enfants des communautés vulnérables de différents pays africains. Des femmes journalistes d'Ouganda, du Ghana, du Kenya, du Nigeria et de Tanzanie ont travaillé comme boursières et ont reçu un encadrement de l'AWJP.
Pour revenir à l'émission de Sow dans les zones rurales du Sénégal l'année dernière : son reportage a été diffusé sur La Laghem FM et couvrait la rupture du silence autour de la violence domestique et des agressions dans la culture traditionnelle sénégalaise. Le terme « non-dénonciation » ou « défaut de déclaration » en wolof est ndeup neupal (prononcé « n-puh n-puh »). Le reportage de Sow a été diffusé en français et en wolof pour toucher un public plus large, car le terme ndeup neupal a une plus grande signification culturelle pour les villageois locaux qui ne parlent pas français. Elle a interviewé une jeune femme qui avait été agressée par son oncle.
Sow a inclus des entretiens avec un « notable », qui est un patriarche localement respecté de la communauté ou du village, ainsi qu'avec un leader musulman local (un imam) et un thérapeute. L’imam a été cité comme étant fermement opposé à la violence contre les femmes, affirmant que le Coran ne soutient pas la violence domestique ou les agressions. Selon Sow, briser ces tabous culturels a permis à son émission de radio de trouver un écho auprès des organisations communautaires qui soutiennent les femmes de sa région.
« Les notables» ont beaucoup apprécié. Parce qu'ils ont vu que la production se faisait dans le contexte de notre culture sénégalaise… nous avons honoré notre culture dans l'émission et les « notables » ont beaucoup aimé ça. Nous avons montré que la violence n’est pas appréciée dans notre culture sénégalaise, ni par notre religion. Nous avons eu beaucoup de retours positifs sur cette publication », a déclaré Sow.
Sow était satisfaite de l'impact de son émission .
Les femmes qui font du bénévolat pour notre organisation de santé communautaire locale [« Badianou Guokh »] qui aide les femmes, en particulier pour la santé des mères et des enfants… nous ont contactés et nous ont fait part de commentaires très positifs », a déclaré Sow.
Après avoir entendu son reportage à la radio, Sow a déclaré que les bénévoles de Badianou Guokh avaient cité lors de leurs actions de sensibilisation dans les rues auprès des femmes enceintes et des mères allaitantes.
Le financement de l'enquête actuelle auprès des journalistes francophones provient de New Venture, un fonds de développement des médias. Grâce aux résultats de l'enquête sur les obstacles auxquels sont confrontées les femmes journalistes dans ces trois pays francophones, Gicheru espère obtenir davantage de financement pour lancer la bourse de journalisme.
Une question sur l'enquête se pose :
Certaines salles de rédaction ont une politique éditoriale (lignes directrices qui contrôlent et modifient la couverture). La politique éditoriale de votre salle de réduction énumère-t-elle des lignes directrices pour la représentation des femmes dans les textes ou photos?
Le traitement culturel des femmes – en tant qu’employées des rédactions, mais aussi leur représentation dans la couverture médiatique à travers l’Afrique – est au cœur des rêves de Gicheru pour ses camarades de l’AWJP. « Y a-t-il des espaces communs entre le Sénégal, le Togo et le Burkina Faso ou y a-t-il des défis uniques ? … La recherche pourrait nous révéler qu'il existe d'autres problèmes », a déclaré Gicheru.
« Pour le Togo et le Burkina Faso, toute intervention que nous concevrons sera éclairée par les recherches que nous menons actuellement », a ajouté Gicheru.