La Guinée connait un paysage médiatique toxique qui met en danger la liberté de presse

Siège de la Radiodiffusion Télévision Guinéenne ; capture d'écran de la chaîne YouTube de

En République de Guinée, le monde de la presse continue à payer le prix fort des restrictions de liberté depuis le dernier coup d’État survenu dans le pays le 5 septembre 2021.

A cette date, le colonel Mamadi Doumbouya renverse Alpha Condé, ancien président de la Guinée de 2010 à 2021, qui à l'époque vient d'entamer un troisième mandat, et viole ainsi la constitution qui limite le nombre de mandats consécutifs à deux.

Au lendemain de ces évènements, l'accès à l'information officielle se transforme en un vrai défi, surtout pour la presse privée. Ceci, malgré des déclarations au départ rassurantes des autorités guinéennes qui s'engagent auprès de Reporters sans frontières (RSF) à protéger et à promouvoir la liberté de la presse à l'issue d'une mission effectué par RSF dans le pays en octobre 2021. Lors d’une conférence de presse tenue à la fin de la mission, Arnaud Froger, responsable du bureau Afrique de RSF déclare:

La Guinée est sans doute à un tournant de son histoire et la refondation du pays que le colonel Mamadi Doumbouya, désormais président de la transition, a appelé de ses vœux ne pourra voir le jour en l’absence de garanties sérieuses et de réformes concrètes pour que les journalistes puissent librement et de manière responsable exercer leur mission d’information. Nous espérons que les autorités de transition ouvriront une nouvelle ère pour le journalisme en Guinée, en s’appuyant notamment sur les recommandations transmises au cours de cette mission.

Des recommandations allant dans le sens de RSF sont formulées à l'endroit des autorités pour garantir la liberté de presse durant la période de la transition, mais force est de constater que trois ans plus tard, la presse assiste impuissamment à son musèlement.

Ainsi, Freedom House, dans son rapport de 2023 sur la liberté dans le monde, pointe le harcèlement accru dont sont victimes les journalistes de la part des autorités de la junte:

(…) plusieurs journalistes critiques auraient été victimes d'arrestations arbitraires, d'actes d'intimidation, d'interrogatoires et de censures de la part des forces de sécurité. Les nouveaux dirigeants de Conakry ont fréquemment demandé à l'autorité nationale chargée de la communication (HAC) de suspendre les points de vente qui offraient une couverture critique. En outre, des unités militaires ont visité les bureaux des journaux et des stations de radio qui ont produit des rapports critiques et intimidé des journalistes. La junte a en outre réussi à fausser la couverture médiatique en faveur des autorités de transition en offrant un soutien financier sélectif. Par ailleurs, des informations ont été reçues en 2022 selon lesquelles des journalistes couvrant des manifestations contre la junte auraient été attaqués par des manifestants armés de pierres et de couteaux.

Bien que dans le classement de Reporters sans frontières (RSF) la Guinée soit passée du 85e rang en 2023 au 78e  en 2024, le quotidien des journalistes guinéens reste une course aux obstacles, entre suspensions, fermeture de media, et vagues de censures qui suscitent de nombreuses inquiétudes. En avril 2024, au micro de Radio France Internationale (RFI), Sékou Jamal Pendessa, secrétaire général du Syndicat des professionnels de la presse de Guinée (SPPG) dit :

(…) au niveau des reporters, il y a des Guinéens qui sont habitués à certaines voix qui sont éteintes aujourd'hui, parce que ces reporters sont obligés de rester à la maison… Fim FM a renvoyé 100 % de son personnel, qui est au chômage ; le groupe Hadafo, 70 % ;  Évasion FM, au milieu de la crise, était à 50 % et aujourd'hui, je ne sais pas à combien ils sont. Et moi, j'ai entamé une tournée à l'intérieur du pays. Par exemple, je suis allé à la rédaction de Djoma FM, dans la ville de Boké : je n'ai pu rencontrer dans les locaux que la directrice et le vigile, parce que tout le monde est à la maison.

Le 23 mai 2024, c'est autour de plusieurs médias privés de faire face aux humeurs des autorités guinéennes: chaînes de télévisions et radios privées sont fermés. Selon un article du journal Le Monde, un total de six radios et télévisions sont sanctionnées et cessent d'émettre mettant ainsi des centaines de professionnels au chômage. Thierno Madjou Bah, animateur télé Espace TV dénonce :

Rien ne justifie cette décision à moins que l’on veuille faire taire toutes les voix dissonantes du pays.

Dans le même sens, Kabinet Fofana, politologue et chroniqueur chez FIM FM indique :

On a l’impression que c’est un blasphème de donner son avis aujourd’hui. Alpha Condé ne l’a pas fait ; sous Lansana Conté c’était difficile, mais, en 2006, il a libéralisé les ondes. Ce qui se passe est juste inédit.

Le 29 mai 2024, au travers d'un communiqué, la Fédération internationale des droits humains (FIDH) manifeste son indignation face à cette répression. A cet effet, son secrétaire général Drissa Traore déclare :

C’est une première en Guinée depuis la libéralisation du secteur des médias en 2005. Cette mesure liberticide viole le droit à l’information, c’est une entrave grave à la liberté de la presse et à la liberté d’expression. Nous sommes très préoccupés.

Sur la toile, des protestations se font entendre. Facely Konaté, journaliste guinéen qui cumule plus de 45 000 abonnées sur le réseau X (ex-Twitter) affirme :

La situation actuelle n'augure rien de bon pour l'avenir des médias guinéens dans un pays de plus de 14,5 millions d'habitants ou la majorité des médias opèrent en français. A ce jour, il n'y a en effet aucune déclaration sur la fin de la période de transition qui pourrait voir le retour d'un gouvernement civil.

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