Les manifestations se sont transformées en émeutes en Nouvelle-Calédonie, alors que de jeunes militants indépendantistes et la police se sont affrontés en réponse à une proposition de réforme constitutionnelle à l'Assemblée nationale qui permettrait aux résidents qui y vivent depuis 10 ans de voter aux élections provinciales. Les militants affirment que cette décision dilue davantage le pouvoir des peuples autochtones sur l'île et fera en sorte que la Nouvelle-Calédonie reste un « territoire d'outre-mer » de la France.
La Nouvelle-Calédonie est un territoire du Pacifique Sud colonisé par la France en 1853. Malgré les demandes d'indépendance persistantes des groupes autochtones locaux, la Nouvelle-Calédonie reste un territoire français. Il figure sur la liste des Nations Unies pour la décolonisation depuis 1986. L'accord de paix historique de Nouméa de 1998 a institué un référendum d'indépendance en trois parties pour déterminer l'avenir politique de la Nouvelle-Calédonie.
Le premier référendum a eu lieu en novembre 2018 tandis que le deuxième vote a eu lieu en octobre 2020. Les deux résultats n'ont fourni qu'une petite marge en faveur de la France, ce qui reflète un solide électorat poussant à l'autodétermination de la population autochtone kanake. Le troisième référendum de décembre 2021 a fait polémique, car le gouvernement parisien a décidé de le poursuivre malgré les appels de la communauté kanake à reporter le vote pendant la pandémie. Comme prévu, ce référendum fut une victoire écrasante pour la France, car les groupes indépendantistes l'ont boycotté. Le taux de participation était également inférieur à 50%.
Au lieu de répondre aux préoccupations des groupes du Pacifique quant à la crédibilité du troisième référendum, la France a fait avancer un projet de loi constitutionnelle qui « dégèlerait » la liste électorale de la Nouvelle-Calédonie. Cela signifie que les résidents qui sont arrivés ou se sont installés sur le territoire il y a 10 ans ou plus auront le droit de voter. Cela diluerait davantage la représentation électorale du peuple kanak, qui représente 42% des 270 000 habitants.
Le 13 mai, des violences ont éclaté en Nouvelle-Calédonie pendant que l'Assemblée nationale délibérait sur le projet d'amendement. Près de 5 000 personnes étaient impliquées dans les émeutes qui ont également conduit au pillage et à l'incendie de propriétés. L'état d'urgence a été déclaré sur le territoire et la France a déployé des troupes pour rétablir l'ordre. Certaines applications comme TikTok ont été interdites, ce qui a suscité des inquiétudes quant à la suppression de la liberté d'expression. Alors que les violences ont continué pendant plusieurs jours, des groupes du Pacifique ont appelé à la paix en exprimant leur solidarité avec la communauté kanake.
Charlot Salwai Tabimasmas, président du Groupe Fer de lance mélanésien et Premier ministre du Vanuatu, a imputé la crise à l'indifférence des dirigeants français.
Ces événements auraient pu être évités si le gouvernement français avait écouté et non procédé à la destruction du projet de loi constitutionnelle sur le dégel du corps électoral, modifiant la répartition des sièges au Congrès.
Mais le Premier ministre a également prévenu que « la destruction aveugle de propriétés affectera l'économie de la Nouvelle-Calédonie de manière très importante, et que cela aura un effet domino débilitant sur le bien-être et la vie de tous les Néo-Calédoniens, y compris les Kanaks ».
Il propose d'établir une « mission de médiation et de dialogue dirigée par une haute personnalité convenue d'un commun accord » pour résoudre la crise. C'est également la recommandation du Forum des îles du Pacifique, qui a déclaré qu'il « se tenait prêt à faciliter et à fournir un espace soutenu et neutre pour que tous les partis se réunissent dans l'esprit du Pacific Way ».
Le révérend James Shri Bhagwan, secrétaire général de la Conférence des Églises du Pacifique, a rappelé aux dirigeants français le présumé « rôle impartial » de l'État français dans le processus de décolonisation. Il a également souligné les racines historiques de la crise.
On ne peut ignorer que l'éruption de violence n'est que la manifestation de la douleur, du traumatisme et de la frustration d'une communauté qui a toujours vu ses droits autochtones et politiques sapés par un gouvernement français dont la rhétorique d'être une « nation du Pacifique » est exposée par ses actions.
Le pasteur Var Kaemo, président de l'Église protestante de Kanaky Nouvelle-Calédonie, a déploré la violente tournure des événements. « Nous ne devons pas être complices de ces éruptions volcaniques qui répandent désastre et misère sur la terre de nos ancêtres. L'île la plus proche du paradis est devenue l'île la plus proche de l'enfer ».
La Nouvelle-Calédonie est le troisième producteur mondial de nickel, un élément crucial de la transition énergétique des véhicules électriques, et les postes dans l'industrie minière du nickel représentent 25% des opportunités d'emploi. Le prix du nickel a grimpé en flèche depuis le début des agitations la semaine dernière.
Nicole George, professeure adjointe en études sur la paix et les conflits à l'Université de Queensland, a interrogé des dirigeantes qui ont souligné le rôle actif des jeunes frustrés qui manifestaient contre les disparités de richesse et le manque de réelles opportunités sur le territoire. « Ces disparités alimentent la rancœur et les profondes inégalités raciales qui privent les jeunes kanaks d'opportunités et contribuent à leur aliénation », écrit-elle.
C'est la même analyse faite par Victor Gogny, président du Sénat coutumier, un organe consultatif du Congrès et du gouvernement composé de 16 chefs autochtones.
« Le gel des listes électorales est un résultat de l'Accord de Nouméa. Le fait que l'État revienne sur l'accord signifie qu'il revient sur sa parole. Il le fait systématiquement depuis 2018 après la proclamation [de Macron] d'un axe géostratégique indo-pacifique. »
« La réaction sécuritaire a provoqué une forte réaction chez les jeunes, principalement dans le Grand Nouméa. Ils ont brûlé des symboles de richesse et ont attaqué de grands centres commerciaux et des entreprises. Ils vivent en milieu urbain et font face à des difficultés quotidiennes. Avec leurs familles, ils vivent dans la pauvreté. Ils n'ont pas de travail ». pic.twitter.com/QODjG5wB2S
— Nic Maclellan (@MaclellanNic) 19 mai 2024
Le communiqué publié par les Pacific Regional Non-Governmental Organisations le 30 avril, deux semaines avant le débat à l'Assemblée nationale qui a déclenché les agitations, reflétait les sentiments de la communauté autochtone kanake.
La malfaisance du colonialisme peut continuer ainsi sans contrôle, et en ce 21e siècle n'est pas seulement une insulte à la région du Pacifique, mais également au système international.
Le Pacifique n'est pas distrait par les faux récits français. Les Kanaks, en tant que peuple, sont les habitants légitimes de ce qui est aujourd'hui la Nouvelle-Calédonie, encore sous le joug colonial français.
Le destin du peuple kanak et de la Nouvelle-Calédonie ne devrait pas se décider en Europe, ce sont des peuples du Pacifique qui demandent légitimement leur liberté.
En ce mardi 21 mai, le président français Emmanuel Macron prévoit de faire une visite surprise dans l'État insulaire pour tenter d'étouffer la manifestation.