Depuis le 25 octobre, la République Tchèque a rejoint la liste des pays (Finlande, Pologne et Pays baltes) interdisant l'entrée dans le pays aux citoyens russes détenteurs d'un visa Schengen valide. Dans une interview du 25 octobre avec la BBC, le ministre député de l'Europe confie qu'il y avait des raisons de sécurité, des morales et symboliques pour aller de l'avant avec la décision de la République tchèque annoncée le 12 octobre. « Alors que des Ukrainiens meurent et se battent pour libérer leur pays, les touristes russes profiteraient de voyages non essentiels », dit Jaroslav Kurfürst. La décision s'applique également aux citoyens russes fuyant la mobilisation, explique le député-ministre.
Une interdiction progressive, imposée par les États membres de l'UE contre les citoyens russes entrant sur leur territoire, a considérablement augmenté le nombre d’entrants russes ailleurs dans les pays limitrophes. Le 4 octobre, |Forbes Russia| fixait à environ 700 000 le nombre total de Russes ayant quitté la Russie après le 21 septembre, date à laquelle Poutine a annoncé la mobilisation partielle. On ne sait pas exactement combien d'entre eux sont partis depuis ce jour.
La chasse aux solutions de transfert d'argent
Mais, bien que ce soit une chose d'acheter un billet et fuir, c'en est une autre de continuer à subvenir à ses besoins à l'étranger. Avec le système bancaire russe confronté à d'importantes sanctions, de nombreux citoyens russes ont eu recours à des d'autres moyens pour transférer leurs économies hors de la Russie depuis l'invasion. D'après Reuters, « En septembre, les citoyens russes ont retiré 458 milliards de roubles (environ 7 milliards d'euros) en liquide des banques, avec la majeure partie des sorties enregistrées dans la seconde quinzaine du mois quand un nombre grandissant des gens quittaient le pays ». Global Voices a recueilli quelques-unes de ces histoires venant d'interviews. Nous avons changé les noms et modifié les montants exacts des transferts d'argent pour la sécurité de ceux impliqués.
L'un des moyens par lesquels ces fonds sont transférés est par le biais de contacts personnels. Une personne effectuant une transaction depuis la Russie doit d'abord trouver un contact étant prêt à se charger du transfert dans le pays où l’argent est envoyé. Une fois qu'il y a confirmation, l'argent en liquide est remis en main propre à une personne en Russie, alors que le contact à l'étranger transfère l'argent à un destinataire de confiance désigné par l’émetteur, toujours en liquide pour éviter toute suspicion. En mars, Slate a rapporté de quelle façon les Russes dépendaient d'un système de transfert d'argent similaire à howala : un système de transfert d'argent utilisé historiquement par les marchands d'Asie du Sud qui évite les transferts bancaires directs. « Par exemple, un Russe veut transférer 1 000 euros à quelqu’un en Europe. Ils trouvent une personne possédant des comptes bancaires à la fois en Russie et en Europe et mettent 1 000 euros en roubles sur son compte bancaire russe. Ce dernier envoie 1 000 euros depuis son compte européen au bénéficiaire en Europe », rapporte Slate.
En Géorgie, un autre pays qui a connu un afflux important de Russes depuis l'invasion en février et une fois encore après l'appel de la mobilisation partielle, les services bancaires et de transfert d'argent ont suffi. Selon le reportage de Voice of America, « entre avril et septembre, les Russes ont transféré près d'un milliard d'euros en Géorgie par le biais de banques ou de services de transfert d'argent.
Même quand l'argent est acquis légalement, qu'il est nécessaire à des fins légitimes en UE et transféré par les bons canaux, les gens se heurtent souvent aux murs des sanctions bancaires.
« Ça a été un vrai cauchemar », témoigne Olga [nom modifié], une doctorante dans un des pays européens et mère célibataire. Au printemps 2022, Olga a réussi à vendre son petit appartement à Moscou, à mettre fin à son prêt immobilier et avec le peu d'argent qu’il lui restait voulait déposer un acompte pour l'appartement où son fils et elle pourraient vivre dans un pays de l'UE. Olga étudie en UE depuis six années et a acheté son appartement très tôt avec son salaire d'employée de bureau moscovite portant la responsabilité du prêt immobilier pour des années.
Durant son séjour en Union européenne, elle a dû se tourner vers des emplois de nettoyage pour pouvoir subvenir à ses besoins et à ceux de son fils et à rembourser le prêt immobilier. Cependant, lorsqu'elle a tenté de transférer l'argent de l'appartement qu'elle venait de vendre, la banque de l'UE a bloqué la transaction, malgré les documents prouvant que l'argent provenait de la vente de son appartement à Moscou.
« Ils ont remarqué que les personnes qui ont acheté mon appartement ont fait un emprunt chez Sberbank. L'argent a ensuite été transféré vers une autre banque, mais pour les employés de la banque en UE, cela n'importait pas. Ils ont dit que j'ai eu recours à la banque sous sanctions Sberbank, et par conséquent, je ne peux pas apporter l'argent en UE.
Sberbank figurait sur la liste des banques russes qui étaient soumises à des sanctions de l'UE en juin 2022.
Olga a dû recourir à divers moyens pour sortir son argent pays : en espèces avec l'aide d'amis qui voyagent rarement maintenant, par de petites transactions à des membres de sa famille (la plupart ont aussi été bloqués) et même en utilisant cette méthode par l'intermédiaire de contacts de confiance trouvés en ligne. Et pourtant, elle ne peut toujours pas utiliser l'argent de la vente de son seul bien pour améliorer ses conditions de vie et celles de son fils en Europe. Tout cela parce que les banques, tout comme les compagnies aériennes pour les visas, sont celles à qui incombe la tâche de mettre en œuvre les sanctions, et qu'elles prennent des décisions conservatrices pour se protéger. Bien souvent, ces décisions n'ont rien à voir avec les intentions réelles ou le but des sanctions.
Il y a des dizaines de canaux sur le Telegram russe qui conseillent les gens sur les solutions pour transférer leur argent vers l'étranger lorsque les banques européennes refusent de les accepter. Jusqu'en ce qu'en début novembre 2022, ils ont convenu que le moyen le plus sûr de faire cela est d'acheter de la cryptomonnaie. Cependant, après l'annonce de FTX (place d'échange de cryptomonnaie) |devenu insolvable|, les posts sont devenus moins optimistes.
Certains canaux Telegram offrent des moyens d'obtenir une carte de crédit au Kazakhstan et au Kirghizistan, qui sont aussi deux pays populaires pour les gens fuyant la mobilisation militaire. Les informations sont souvent du niveau des rumeurs et sont incomplètes.
Par exemple, certains canaux affirment qu'il est encore possible d'ouvrir un compte dans trois banques turques privées sans permis de résidence permanente, alors que d'autres disent que ce n'est pas possible.
Les informations sur les banques géorgiennes diffèrent également.
Pour de nombreuses personnes, ouvrir un compte à l'étranger devient une nécessité même s'ils restent en Russie : Il n'est désormais plus possible d'utiliser les services d'|Apple| ou de Google app sans une carte provenant de l'étranger. Quelques canaux affirment qu'il y a des boutiques en ligne américaines où même une carte de Biélorussie fera l'affaire. Il y a aussi des canaux spéciaux dans lesquels les gens discutent de la manière dont ils ont perdu leur argent, qui dans certains cas a « disparu » dans les banques correspondantes pendant plusieurs mois d'affilée à cause des problèmes liés aux transactions Swift. Larissa [nom modifié] affirme : « Mon mari est un marin et ses employeurs lui ont envoyé son salaire le premier novembre et elle n'est toujours pas arrivée… La banque bénéficiaire dit qu'elle ne l'a pas et la banque émettrice dit que la transaction a bien été effectuée… »
Le 16 novembre, le système de paiement Payoneer a annoncé qu'il ne travaillerait plus avec les Russes. Le système était utilisé par de nombreux activistes, artistes et créateurs de contenu sur les réseaux sociaux pour transférer de l'argent depuis Patreon vers les banques russes non soumises à des sanctions, où les dons pouvaient être récoltés de l'étranger. Patreon a été bloqué par la Russie en août 2022 pour avoir hébergé une affiche avec une citation du groupe Résistance féministe anti-guerre, mais a continué à travailler avec les Russies à ce jour.
Il y a de moins en moins de façons de continuer d'utiliser les services financiers mondiaux pour les Russes, que ce soit chez soi ou à l'étranger. Bien que cela crée certaines difficultés pour le gouvernement russe et les oligarques, ce sont les citoyens ordinaires qui sont le plus durement touchés.