Trois façons d’aborder les droits numériques en Afrique

Capture d'écran d'un groupe manifestant à Erisco Foods, extrait de la vidéo YouTube « Tomato Paste Saga : Groups Protest At Erisco Foods, Demand End To Chioma Okoli » (Saga du concentré de tomates : des groupes manifestent à Erisco Foods, exigent la fin de Chioma Okoli) par News Central TV. Utilisée avec permission.En septembre 2023, une Nigériane enceinte, Chioma Okoli, a été mise aux arrêts à la suite d'un commentaire négatif sur un plat qu'elle avait publié sur Facebook. Son délit : avoir importuné un milliardaire – un crime passible d'une peine de trois ans ou d'une amende de sept millions de nairas (environ 3 000 USD) en vertu de la loi nigériane de 2015 sur la cybercriminalité.

Depuis 2015, cette loi a été utilisée pour arrêter des dizaines de journalistes, blogueurs et citoyens à la demande des autorités du pays. Des lois comme celle-ci existent sous différentes formes à travers le continent, où les acteurs étatiques ont continué à saper les libertés numériques. Global Voices a interrogé par courriel Shirley Ewang, spécialiste senior du plaidoyer et de la gouvernance chez Gatefield, pour comprendre l'état des droits numériques en Afrique.

Zita Zage (ZZ) : Parlez-nous de vous et de ce que vous faites 

Shirley Ewang (SE) : Je suis une spécialiste chevronnée du plaidoyer et de la gouvernance. Actuellement, j'ai le privilège de diriger la pratique de la politique, de la gouvernance et du plaidoyer à Gatefield, un cabinet de politique publique et de plaidoyer de premier plan en Afrique. Forte d'une solide expérience en matière de plaidoyer politique, je suis spécialisée dans la conception et l'exécution de campagnes à fort impact qui entraînent des changements significatifs. Tout au long de ma carrière, j'ai mené des initiatives qui ont façonné des politiques et influencé la prise de décision aux niveaux local, national et international. Passionnée par les changements sociétaux positifs, je reste déterminée à tirer parti de mon expertise pour aborder les questions sociales urgentes et plaider en faveur de solutions équitables.

ZZ : Pouvez-vous décrire l'état des droits numériques en Afrique ? 

SE : Selon le rapport 2023 Freedom on the Net de Freedom House, la liberté d'Internet dans le monde est en recul pour la treizième année consécutive, 29 pays connaissant une détérioration des droits de l'homme en ligne. 

La situation des droits numériques en Afrique est alarmante, marquée par une tendance inquiétante à l'érosion sur tout le continent. Des cas tels que l'interdiction de Twitter par le Nigeria ou les restrictions d'accès à l'Internet par le Sénégal montrent à quel point les gouvernements portent atteinte aux libertés en ligne des citoyens.

Alors que l'Internet fait de plus en plus partie intégrante de la vie quotidienne, englobant des activités allant des transactions commerciales aux efforts de sensibilisation, la lutte pour l'accès et la liberté de l'internet s'intensifie.  

Toutefois, cette quête est contrée par les gouvernements qui cherchent à exercer un contrôle sur le cyberespace, souvent en promulguant des lois sur la cybercriminalité. Bien que ces lois soient essentielles pour lutter contre les cybermenaces telles que la fraude et le piratage, de nombreux pays africains ont mis en œuvre une législation trop large et manquant de spécificité.

Dans leurs efforts pour réglementer le comportement en ligne, ces lois ne définissent souvent pas clairement ce qui constitue un comportement criminel, ce qui conduit à une application arbitraire et à la suppression des droits fondamentaux. Par exemple, dans des pays comme la Zambie et la Tanzanie, les lois sur la cybercriminalité ont été utilisées pour faire taire les dissidents et criminaliser le journalisme d'investigation. La loi nigériane de 2015 sur la cybercriminalité est un autre exemple poignant, ayant été utilisée à plusieurs reprises pour cibler des journalistes, des blogueurs et des citoyens ordinaires exerçant leur droit à la liberté d'expression. Cette confluence de législations restrictives et de mesures d'application autoritaires constitue une menace importante pour les droits numériques en Afrique.

 

ZZ : Que peut-on et doit-on faire (et par qui) pour lutter efficacement contre les violations des droits numériques ?

 SE : Pour lutter efficacement contre les violations des droits numériques, trois mesures essentielles peuvent être prises :

Tout d'abord, l'engagement avec des acteurs clés tels que les journalistes, les entreprises technologiques, la société civile et les défenseurs des droits de l'homme devrait être prioritaire afin de former une coalition solide. Une voix collective peut faire pression sur les gouvernements pour qu'ils modifient des lois oppressives.

Deuxièmement, la narration devrait être utilisée comme un outil puissant pour illustrer l'impact humain des violations des droits numériques et mobiliser le public pour qu'il prenne des mesures.

En outre, les décisions de justice devraient être utilisées comme une base solide pour les efforts de sensibilisation. Les défenseurs peuvent s'appuyer sur les décisions de justice pour faire valoir leurs arguments contre les violations des droits numériques.

Ces efforts doivent être collectifs, les gouvernements, la société civile, les entreprises technologiques et le public jouant tous un rôle essentiel dans la lutte contre les violations des droits numériques. Si les gouvernements ont la responsabilité de faire respecter les droits de l'homme fondamentaux, un plaidoyer efficace nécessite une collaboration et une coordination entre plusieurs secteurs. Les défenseurs doivent agir collectivement, et le public peut faire entendre sa voix pour exiger la sauvegarde des droits numériques, faisant ainsi pression sur les gouvernements pour qu'ils agissent. En travaillant ensemble, nous pouvons mieux protéger les droits numériques et garantir un environnement en ligne libre et ouvert pour tous.

ZZ : Quelles sont les actions de plaidoyer qui ont eu le plus d'impact et pourquoi ?

SE : Les efforts déployés au Nigeria et en Ouganda constituent deux exemples notables de défense des droits numériques en Afrique. Au Nigeria, les organisations de la société civile ont plaidé avec succès pour la modification de l'article 24 de la loi nigériane sur la cybercriminalité, une disposition répressive qui menaçait les droits numériques. En plaidant pour cet amendement, ces organisations ont contribué à sauvegarder la liberté d'expression en ligne et à limiter les risques d'abus de la loi.

De même, en Ouganda, les défenseurs ont eu recours à des litiges stratégiques pour contester une section controversée d'une loi, ce qui a abouti à un arrêt historique de la Cour suprême du pays. Cet arrêt a déclaré la disposition inconstitutionnelle, marquant une victoire importante pour les droits numériques en Ouganda.

Ces efforts de plaidoyer démontrent le pouvoir de la mobilisation populaire, des litiges stratégiques et de la création de coalitions pour faire progresser les droits numériques sur le continent africain. En remettant en cause des lois oppressives et en demandant des comptes aux gouvernements, les défenseurs ont fait des progrès tangibles dans la promotion de la liberté en ligne et la protection des droits des utilisateurs d'Internet.

Commentez

Merci de... S'identifier »

Règles de modération des commentaires

  • Tous les commentaires sont modérés. N'envoyez pas plus d'une fois votre commentaire. Il pourrait être pris pour un spam par notre anti-virus.
  • Traitez les autres avec respect. Les commentaires contenant des incitations à la haine, des obscénités et des attaques nominatives contre des personnes ne seront pas approuvés.