
Illustration du candidat Donald Trump à gauche avec un tatouage du Président salvadorien Nayib Bukele, et « I love Milei » (« J'adore Milei ») en référence au Président argentin, et du candidat Jo Biden à droite avec un tatouage du logo de sa campagne « Latinos con Biden » (« Les latinos soutiennent Biden »). Image de CONNECTAS, utilisée avec permission.
Article écrit par Leonardo Oliva pour CONNECTAS. Édité et republié sur Global Voices suivant un accord de partage de contenu.
Selon Ecio Pozzi, un dentiste argentin âgé de 47 ans qui a émigré aux États-Unis en juillet 2001 : « Le mandat de Trump a été marqué par une politique internationale exceptionnelle, par l'absence de guerres, de chômage et d'inflation, et par une autosuffisance en pétrole. » Aujourd'hui résident du New Jersey et citoyen américain, il votera pour Donald Trump au mois de novembre. « Les Latinos comme moi, qui sont venus ici légalement et n'ont jamais vécu aux crochets de l'État, ne veulent pas que ce qui se passe dans nos pays se reproduise ici. Et c'est ce que nous redoutons avec Biden et les démocrates. »
Eric Pozzi a voté deux fois pour Barack Obama, puis a soutenu Trump en 2016. Comme les partisans les plus radicaux de Trump, il est convaincu que Joe Biden a remporté l'élection présidentielle de 2020 de manière illicite, bien qu'il n'existe aucune preuve pour étayer cette allégation. Il croit également à l'une des théories conspirationnistes colportées par les trumpistes, à savoir que le gouvernement actuel ouvre les frontières du pays aux immigrants afin d'obtenir leurs votes. « Ils paient leur séjour dans des hôtels de Manhattan, et ce mois-ci, ils ont commencé à leur distribuer des cartes de crédit prépayées de 1 000 dollars. »
Daniela Rey, une Colombienne âgée de 37 ans, vit en Californie depuis 15 ans. Elle travaille comme « herboriste et entrepreneuse » et, au mois de novembre, contrairement à Eric Pozzi, elle votera pour Biden : « Trump est fou. Son mandat de quatre ans était du grand n’importe quoi. Biden est très âgé et n'est peut-être pas le candidat idéal, mais c'est un homme sérieux qui a su comment gérer la crise financière de ces dernières années. »
Pour elle, l'économie est le plus bel exploit de l'actuel président. « Depuis trois ans, nous ne nous préoccupons pas des actions gouvernement parce que nous avons une personne fiable et sérieuse à la tête de l'État. Et puis Trump n’arrête pas de parler de la Russie…il est évident qu'ils sont de connivence », ajoute Daniela. Elle est l'une des nombreuses voix qui condamnent la manigance présumée entre Trump et Poutine, considéré comme le grand ennemi de Biden et des États-Unis.
Ecio Pozzi et Daniela Rey font partie des 36,2 millions de Latino-Américains ayant le droit de voter aux prochaines élections présidentielles américaines. Selon les données de Voto Latino, une organisation qui encourage la participation de la communauté hispanique à la vie civique aux États-Unis, le nombre d'électeurs originaires d’Amérique latine en 2024 aurait augmenté de 6,5 % par rapport à 2020, et le nombre d'électeurs ayant maintenant le droit de voter a augmenté de 20,5 % par rapport à 2016, lorsque Trump a remporté l'élection présidentielle. Lors des prochaines élections, prévues pour le 5 novembre, plus d'un électeur sur dix (14 %) sera latino-américain.
Outre la majorité blanche, les Latino-Américains constituent le deuxième bloc électoral des États-Unis, suivi par les Afro-Américains. Néanmoins, ils étaient moins nombreux à voter en 2020 : 51 % d'entre eux ont voté, contre 63 % pour les Noirs et 74 % pour les Blancs.
Dennis Gonzalez, vice-président des initiatives stratégiques à Voto Latino, a déclaré à CONNECTAS que 4,1 millions de nouveaux électeurs latinos auront la possibilité de voter lors de ces prochaines élections, notamment « des jeunes ou des personnes âgées qui vivent dans des États pivots », comme la Floride et l'Arizona.
Tout ce qui compte, c’est l’économie
Pour la première fois en près de 250 ans d'histoire, les immigrés hispaniques pourraient jouer un rôle décisif dans l'élection du nouveau président. Il n’est pas du tout certain qu'ils continueront à soutenir les candidats démocrates en 2024, comme c'était le cas par le passé. Selon un sondage d’opinion publique réalisé annuellement, de nombreux Hispaniques préfèrent ne pas être affiliés à un parti politique, ce qui pourrait être préjudiciable aux démocrates. De plus, le soutien pour Biden parmi les Latinos est passé de 67 % en 2020 à 53 % aujourd'hui, contre respectivement 29 % et 33 % pour Trump.
C'est pourquoi la campagne républicaine tente de cibler les électeurs noirs et hispaniques. Steve Bannon, le gourou du trumpisme, l'a admis lui-même dans son discours à la conférence annuelle du Parti républicain (Conservative Political Action Conference (CPAC)) qui se tient à Washington, et au cours de laquelle Trump a partagé la vedette avec deux « stars » latino-américaines : les présidents du Salvador, Nayib Bukele, et de l'Argentine, Javier Milei.
« Les sondages montrent que les Latinos ne sont pas satisfaits de la politique de Biden, et nous avons ici une occasion en or de gagner leur confiance », a déclaré Mercedes Schlapps, organisatrice de la conférence, pour justifier l'invitation des deux chefs d'État hispaniques à un événement électoral aux États-Unis, une situation sans précédent.
Une semaine plus tard, Donald Trump, qui avait ouvertement serré le président argentin dans ses bras lors de la conférence du Parti républicain, lui a de nouveau publiquement rendu hommage : « Je l'adore parce qu'il adore Trump », a-t-il déclaré. Et il a ajouté, à propos de son slogan « Make America Great Again » (littéralement « Rendre sa grandeur à l’Amérique ») : « C'est le plus grand mouvement de l'histoire de notre pays, peut-être de l'histoire de n'importe autre quel pays, même en Argentine, ils ont adopté ce slogan. »
Donald Trump volvió a elogiar a Javier Milei: “Él me ama y yo lo amo”https://t.co/EJXEJBEm83
— elDiarioAR (@elDiarioAR) March 3, 2024
Donald Trump rend de nouveau hommage à Javier Milei. « Il m'adore et je l'adore. » https://t.co/EJXEJBEm83
— elDiarioAR (@elDiarioAR) 3 mars 2024
Michael Shifter, ancien président du forum politique Inter-American Dialogue, relativise l'influence que Milei pourrait avoir sur la campagne républicaine. « La population argentine basée aux États-Unis n'a aucun poids électoral ou politique », a-t-il déclaré à CONNECTAS. Quant à Bukele, son point de vue est similaire : « La population salvadorienne est importante, mais elle est concentrée dans trois régions : Washington, Los Angeles et New York. Et comme ces États sont démocrates, Biden y a déjà une avance confortable. Il est presque impossible pour Trump de renverser la tendance. »
Aujourd'hui, les Américains sont plus préoccupés par l'immigration irrégulière que par toute autre question, comme l'a révélé un récent sondage de Gallup. Néanmoins, selon un autre sondage, les Latinos sont quant à eux plus préoccupés par l'économie laquelle, paradoxalement, s’est redressée sous l'administration de Biden. Mais les immigrés appartenant aux classes sociales les plus pauvres qui sont sous-payés, n'ont pas accès au logement et sont majoritairement touchés par la hausse du coût de la vie, ne semblent pas avoir bénéficié des retombées de l’économie.
Selon Robert Valencia, journaliste d'origine colombienne à CONNECTASHub, spécialiste en affaires internationales et basé aux États-Unis : « Même si l'inflation a baissé, le prix du panier des consommateurs est toujours en hausse, une situation que les Américains vivent au quotidien. » Pour expliquer le changement de tendance du vote des latinos contre Biden, il ajoute : “Malgré une meilleure performance de la macroéconomie, l’ensemble de la population n'a pas l'impression d'en profiter en raison de la hausse constante des prix des produits de base, une réalité qui affecte sans doute Biden de manière plus défavorable tout en avantageant Donald Trump. »
En fin de compte, comme l’explique Robert Valencia, « l'économie a toujours été le principal moteur d'une élection présidentielle. Ce fut précisément le cas pour Trump en 2020, lorsque la pandémie a déstabilisé l'économie et que Biden a remporté l’élection présidentielle ».
Le 2 mars dernier, un sondage a confirmé que Trump était le favori pour retourner à la Maison Blanche. Le républicain obtiendrait 48 % des voix, contre 43 % pour Biden (et 10 % d'indécis). Une explication probable d’une défaite de Biden est que la plupart des personnes interrogées considèrent que l'économie va mal.
Un électorat hétérogène
Shifter et Valencia reconnaissent tous les deux que le vote des Latinos (qui englobe les immigrés et les enfants des première et deuxième générations) aux États-Unis joue un rôle de plus en plus important en raison de leur croissance démographique. Selon une estimation du Bureau du Recensement des États-Unis, un Américain sur quatre sera d'origine hispanique d'ici 2060.
Mais les Latinos ne peuvent être considérés comme groupe homogène. Comme pour tout autre segment de la population, il existe des différences idéologiques notables entre eux. Ecio Pozzi et Daniela Rey en sont la preuve.
Selon Robert Valencia : « Si un électeur cubain, nicaraguayen ou vénézuélien vote républicain dans le sud de la Floride, des électeurs d'autres régions des États-Unis (mexicains, portoricains, dominicains à New York, dans l'Illinois) voteront eux démocrate. Et il conclut par un cas concret : « Dans le sud du Texas, il existe une région appelée Rio Grande Valley dont la population, majoritairement mexicaine et démocrate, a choisi de voter pour Donald Trump en 2020. Cela montre que les Hispaniques ne sont pas nécessairement fidèles à un parti. »