En septembre 2023, les fonctionnaires de la Commission européenne ont interdit aux citoyens russes d'apporter des véhicules ayant des plaques d'immatriculation russes à l'intérieur des pays de l'UE et des rumeurs ont circulé selon lesquelles « les effets personnels seraient également interdits ». Par la suite, Gera Ugryumova, une utilisatrice autrefois inconnue du réseau social X (anciennement appelé Twitter), a décidé de donner un sens à cette affaire. Elle a donc fait appel à un attaché de presse, qui a publié son appel sur X ce qui l'a instantanément rendue célèbre .
Ugryumova est une réfugiée politique russe, vivant actuellement en Italie . Elle est arrivée à Rome en mai 2022 et a fait l'expérience directe des problèmes qu'un passeport russe entraîne dans les pays de l'Union européenne depuis le début de la grande invasion russe en Ukraine en février 2022. Aujourd'hui, elle aide les Russes vivant à l'étranger. Cet entretien a été réalisé à l'aide d'un téléphone portable en février 2024, mais la situation reste inchangée. Global Voices a publié une version éditée et traduite de cette interview avec l’autorisation de Gera Ugryumova.
Global Voices (GV): Que faisiez-vous en septembre 2023 avant de décider soudainement de vous occuper de l’innovation de la Commission Européenne ?
Gera Ugryumova (GU): A cette période, mon amie Polina et moi vivions dans un refuge de la Croix Rouge pour sans-abris (mon chien avait été placé dans une famille d’accueil, car les animaux étaient interdits au refuge). Nous essayions de trouver un emploi, de remplir les formalités administratives : banque, permis de séjour… car tous ces éléments étaient nécessaires pour trouver un emploi. C’est alors qu’un travail dans mon domaine s’est présenté tout seul. Et ayant toujours été intéressée par ce genre de choses, je suis allée voir ce qui se passait ».
GV: pouvez-vous nous dire comment vous avez fait pour vous retrouver en Italie ?
GU: en Russie, j’ai fait des études de journalisme à l’université, que j’ai dû abandonner à cause de mon départ. Avec une dizaine d’étudiants, nous avions une petite publication. Ensuite il y avait ces types qui me harcelaient tout le temps, cela a commencé par des persécutions à l’université et ensuite sur la base de données Yandex. Food a fuité, ils ont trouvé mon adresse et ont commencé à venir chez moi. Je ne peux pas donner tous les détails ici. La police n’a trouvé aucune trace de violation en trois rapports, c’est alors que nous avons décidé de partir. Et c’est grâce à un visa touriste que nous sommes entrés en Italie.
GV: Quel statut avez-vous en Italie aujourd’hui ?
GU: J’ai été acceptée dans un centre politique, je peux désormais vivre ici, travailler et même recevoir des soins médicaux. Après presque deux ans de vie ici je peux dire qu’aujourd’hui les choses se sont nettement améliorées.
GV: Pouvez-vous nous dire comment les Italiens traitent leurs réfugiés, jouissent-ils de tous les droits ?
GU: Tout d'abord, je vous dirais tout de suite de ne pas vous renseigner sur le refuge à Rome, car vous y serez accueillis par des officiers peu amicaux. Il s’agira d’un commissariat local abritant 600 à 800 personnes. Et la procédure à Rome est beaucoup plus longue. Mais comme nous avons pris l’avion pour Rome, nous n'avons écouté personne (il y avait très peu d’informations de toute façon), et nous sommes allés au commissariat de Rome. On nous a donné un certificat indiquant que nous avions demandé l’asile et que nous devions revenir dans un mois. Aujourd’hui, cela n’arrive plus : une invitation pour la première visite à l’autorité chargée de l’immigration à Rome est émise 1,5 à 2 ans à l’avance.
GV: Et que faire pendant tout ce temps ? Où vivre ?
GU: Les personnes originaires du Pakistan ou d’Afrique peuvent trouver un logement d’une manière ou d’une autre, mais l’Italie est extrêmement surchargée. Il n’y a pas de logement fourni directement par l’État. Ils seraient ravis d’aider, mais n'en ont pas physiquement les moyens. Ils négocient actuellement avec l’Albanie pour créer des centres là-bas et des camps normaux ici .
GV: Vous allez donc directement dans la rue ?
GU: En effet. Nous vivons dans un hôtel dans l’espoir de nous payer un logement plus tard. Nous sommes venus en Italie avec 4000 euros en poche, mais en moins d’un mois nous étions déjà à court d’argent. le gouvernement a mis en place des programmes privés pour venir en aide à ceux qui n’ont pas de logement et également pour les aider à s’intégrer. Sur les trois programmes que nous avons visités, un seul a bien voulu nous aider. En ce qui concerne les deux autres programmes, ils ne nous ont pas aidés et nous les avons abandonnés.
GV: Et que pouvez-vous nous dire sur les avantages et les soins médicaux ?
GU: Il n’y a aucun avantage. En ce qui concerne les soins médicaux, les réfugiés sont soignés gratuitement, presque tout est couvert par l’assurance, mais pour bénéficier de ces soins vous devez en avoir une.
GV: Nous allons rentrer un peu en arrière plus précisément en septembre 2023. Selon vos observations quels pays sont les plus problématiques pour les Russes ?
GU: Pour être sincère, je pensais que le pays le plus problématique était l’Italie. En raison des problèmes avec la banque du fait que les réfugiés ne peuvent pas ouvrir un compte sans justification et sans compter les sanctions. Situation que j’ai moi-même vécue. Mais aujourd’hui je pense que le pays le plus problématique c’est Chypre. Les officiers américains ont récemment fait une descente dans le pays et depuis lors les banques locales se sont mises à fermer les comptes en banques des Russes. Et certaines personnes ont encore besoin de rallonger leur permis de séjour et pour mener à bien cette opération, cela nécessite un compte en banque. D'où la panique de certains Russes .
GV: Outre la fermeture des comptes bancaires russes ou le refus d'en ouvrir, que font-ils d’autre ?
GU: Très souvent les Russes ne sont pas autorisés a monter à bord d'un vol entre l'espace Schengen et les Balkans, même s’il n’existe aucune restriction officielle qui le leur interdit. Certains ne sont pas employés, d’autres sont licenciés, d’autres ne peuvent pas louer un appartement. Les autorités à la base se rassurent personnellement de ne pas le faire juste à cause des sanctions.
GV: : Vous avez dit une fois qu’une femme ukrainienne avait rencontré les mêmes problèmes avec son compte en banque ?
GU: En effet. C’est un problème courant en Italie, car le code fiscal [analogue locale du numéro du contribuable] en Italie comprend les données sur le pays de naissance. Elle est effectivement une citoyenne ukrainienne, mais elle est née dans la ville de Moscou après la dissolution de l’Union soviétique. Par conséquent, son code fiscal est 154 (indique le lieu de naissance en Russie). Raison pour laquelle le système automatique ne lui a donné aucun accès.
GV: C’est ce genre de situation que la propagande russe qualifierait de russophobie. Pensez-vous que cela est un acte de russophobie ?
GU: Non je ne qualifierais pas cela de russophobie mais comme un acte d’ignorance des employés d’une compagnie. Nous écrivons donc à la direction d’une entreprise et ces employés se font « taper sur les doigts ». Bien que nous nous « battons » avec certaines entreprises pendant assez longtemps.
GV: Est-ce le cas des employés inutilement vigilants ?
GU: Oui, il s'agit effectivement des employés excessivement prudents .
GV: Vous avez mis en place le projet Iskra, qui est un programme qui consiste à aider les Russes à faire face à ce genre de problème à l’étranger. Comment les aidez-vous exactement ? Y a-t-il des cas de réussite ?
GU: Oui bien sûre il y en a. En Italie par exemple nous avons aidé trois personnes à résoudre les problèmes avec la banque le mois passé. Certaines d’entre elles ont reçu de l’assistance en ligne, d'autres se sont directement rendues à la banque, ont appelé le service anti discrimination, et après une petite dispute tout est revenu dans l'ordre. En cas de problème avec la banque, nous essayons de le résoudre pacifiquement en rappelant la loi. Si cela ne marche pas nous envoyons un appel officiel, signalant que l'agence n’as pas ouvert de compte pour une personne mais que selon la loi ils le devraient, soit nous réglons ce problème pacifiquement soit nous faisons appel à la justice. Si malgré cela le problème n’est toujours pas résolu, nous faisons appel à un avocat local spécialiste des questions russophones pour faciliter la tâche aux personnes concernées. Tout cela est entièrement financé par l’argent d’Iskra qui provient des dons.
GV: Si dans les années à venir la situation venait à changer en Russie pensez-vous que vous y retournerez ??
GU: J’espère, au moins, ne pas retourner en Russie, mais poursuivre mon travail pour les citoyens russes ici.