Le travail dans les mines est associé à un métier particulièrement genré et réservé aux hommes. Mais en Afrique, de nombreuses femmes travaillent dans ce secteur.
Le continent détient en effet la majorité des richesses minières mondiales: plus de 50% de minerais au niveau mondial se trouvent dans les sous-sols africains. Ces ressources attirent la convoitise des géants miniers internationaux qui cherchent à s'implanter dans certains pays où l'exploitation minière devient une part principale de leur économie.
Aïssatou Fofana, journaliste environnementale ivoirienne raconte l'historie des femmes travaillant dans ce secteur dans son premier film documentaire qui retrace ce qui se déroule en Côte d'Ivoire et au Togo. Loin d'être victimes des clichés et d'idées préconçues dans un domaine d'activité souvent perçu comme exclusivement masculin, les femmes interviewées et filmées par Aïssatou Fofana racontent leur propre histoire.
Interviewée par Global Voices, via Whatsapp, la réalisatrice du film documentaire raconte son expérience et les raisons qui l'ont poussée à faire entendre ces voix de femmes.
Jean Sovon (JS): Qu’est-ce qui vous a amené à réaliser un film documentaire sur les femmes dans le secteur minier en Afrique? Comment avez-vous pris connaissance de cette situation?
Aïssatou Fofana (AF) : Ce film a été réalisé dans le cadre du projet final du programme de Bourse consacrée aux médias et aux créateurs de contenu de l'Union africaine. On devait faire un choix entre diverses thématiques proposées dans le cadre de la bourse et réaliser un projet. Cela pouvait être un film documentaire, un article de presse (dossier), des émissions radio, des podcast….
Mon choix s’est porté sur les femmes de ce secteur. J'avais remarqué qu'on entendait pas beaucoup parler d'elles dans les médias, alors qu'elles participent à leur niveau, au développement de socio-économie de leur pays. C'est en cela que mon choix s'est porté sur la Côte d'Ivoire et le Togo. Voilà un peu comment se situe le contexte du choix de ce sujet là.
En vidéo, la première partie du film documentaire. Ici, la réalisatrice met un cap sur ces femmes du secteur miner de la Côte d'Ivoire qui racontent leur quotidien :
JS: Quels sont les défis propres aux femmes dans cette profession? Comment sont-elles perçues par leurs collègues masculins ? Par la population en général?
AF: Le premier défi qui me vient à l’esprit, c'est le fait d'évoluer dans un secteur qui est à majorité dominé par les hommes. Vous pouvez comprendre que c'est pas vraiment évident d'évoluer dans un tel domaine, surtout si la plupart d’entre eux ont une vision “traditionnelle” ou “patriarcale” de la femme dans la société : celle dont la place est d’emblée à la cuisine ou encore à la maison à s’occuper de son époux et de ses enfants. Cela occasionne des frictions pour celles qui s’y aventurent.
Le second challenge est au niveau de la famille. Si elle est mariée et a des enfants, c'est sûr qu'il va falloir faire la part des choses et vraiment s'organiser pour pouvoir travailler convenablement pour que son travail n'empiète pas sur sa famille. C’est dans ce type de contexte qu’avoir un partenaire de vie compréhensif et ouvert tient tout son sens ! Car sinon, ce serait un problème de plus auquel il faudra faire face au quotidien.
En général, les informations sont limitées sur ce milieu, en particulier celles sur les femmes qui y travaillent; d'où mon intérêt sur cette question. L’idée était de réaliser un documentaire afin de lever un coin de voile sur ce qu'elles font, les réalités qu'elles traversent, comment elles font face à ces défis et comment elles arrivent aussi à faire carrière dans ce secteur dit d’hommes.
JS: Quels métiers exercent les femmes exactement: sont-elles ingénieures? minières dans la mine?
AF: Dans le film documentaire, les femmes interviewées exercent à différents niveaux, et selon leur domaine d’expertise au sein de leurs sociétés de mines. Dans la société de mine d’Ity en Côte d’Ivoire, Laetitia Gadegbeku Ouattara est la directrice Pays d'Endeavour Mining ; Carine Kouko est géologue de production sénior ; Kadidiatou Diarra, est géologue d’exploration junior ; et Marthe Bertine Yavo est superviseur camp et voyage.
Quant aux femmes du Togo, Rosine Atafeinam Abalo est Dr en géologie et géotechnique et chargée d'investissement à Togo Invest. Dotse Akouavi Jeannette et Aladouadjo Belam, sont toutes deux sont des conductrices d’engins lourds appelés dumper.
Dans cette seconde partie du film documentaire, les femmes togolaises interviewées racontent leurs parcours et les obstacles qu'elles ont du surmonter pour arriver à ce stade de leur carrière dans les mines:
JS: Pourquoi font-elles ce travail? Est-ce parce que c'est mieux payé que d’autres métiers?
AF: Au cours de mes entretiens, jamais ces femmes n'ont parlé du fait que c'était un métier mieux payé que d'autres métiers ou un métier qu’elles voulaient pour pouvoir être riche, avoir beaucoup d'argent. C'est un secteur qui les a attirées et elles voulaient faire carrière là-bas. C'est cette motivation et cette passion qui a déterminé leur choix et elles ont tout fait pour intégrer ce secteur et y évoluer. Donc ce n'est pas pour des raisons financières.
Est-ce que ce secteur est mieux payé que d'autres, je ne saurais le dire parce que je n'ai pas focaliser mon travail sous cet angle et je n'ai même pas eu à poser cette question. Ce qui m'intéresse, c'est le parcours, les challenges qu'elles ont traversés, comment elles ont pu relever ces défis et comment elles continuent d'évoluer dans ce secteur là malgré tous ces problèmes auxquels elles ont fait face.
Elles n’ont également pas fait mention de ce que c’était un métier mal payé. Ce que je peux vous assurer, c’est qu’elles sont épanouies et heureuses de leur choix de carrière.
JS: Les mines où travaillent ces femmes sont-elles plutôt nationales? Étrangères? Illégales? Les femmes ont-elles leurs propres syndicats?
AF: Les sites miniers que j’ai visités sont légalement constitués. Le Société des Mines d'Ity est en activité depuis 1991. L’État ivoirien y est actionnaire à 10% et la Société des Mines, à 5%, et les 85% sont détenus par Endeavour Mining. Les femmes ont également leurs associations. En Côte d’Ivoire, au niveau national, il y a le Réseau des Femmes du Secteur Minier de Côte d’Ivoire (FEMICI), et He For She Mines Côte d’Ivoire. Au niveau de la Société des mines d'Ity, il y a l’Association des Femmes des Mines de Ity(AFEMI). Au Togo, l’Association des Femmes du Secteur Minier ou en Entreprise du Togo (AFEMET) existe au niveau national. Mme Rosine Atafeinam Abalo, l’une des femmes que j’ai interviewée, en est la présidente.
Au niveau africain, l’AWIMA (Association of Women in Mining in Africa) le réseau d’organisations et d’associations nationales de femmes africaines dans les secteurs de l’exploitation minière, du pétrole et du gaz.
Au niveau international, les prix WIN100 récompensent les 100 femmes qui sont pionnières, qui apportent des changements positifs et significatifs pour que le secteur minier puisse fonctionner de manière responsable, durable et inclusive.
JS: Quelle est la politique environnementale de ces entreprises?
AF: Les sites miniers que j'ai visité en Côte d'Ivoire au Togo sont légalement constitués, avec le respect des consignes de sécurité pour entrer sur les sites. La société des Mines d'Ity par exemple, à un axe environnement et développement durable dans sa politique de gestion. Nous avons également pris part à un planting d’arbres lors du tournage du film.
Dans un secteur en pleine mutation et de plus en plus internationalisé, les femmes africaines occupent la place qu'elles méritent pour affirmer leur égalité avec les hommes.