El impacto de la Inteligencia Artificial (IA) en la humanidad es incuestionable. Desde la automatización de tareas repetitivas hasta el desarrollo de vehículos autónomos, la IA ha demostrado su capacidad para transformar la forma en que trabajamos y vivimos. Al mismo tiempo, ha planteado serias preguntas sobre su efecto en el futuro de los empleos, la privacidad y la ética.
L'impact de l'intelligence artificielle (IA) sur l'humanité est indéniable. De l'automatisation des tâches répétitives au développement des véhicules autonomes, l'IA a démontré sa capacité à transformer notre façon de travailler et de vivre. Dans le même temps, elle soulève des questions cruciales concernant l'avenir des emplois, la protection de la vie privée et les enjeux éthiques.
Le texte que vous venez de lire a été écrit par Chat GPT, un modèle de langage développé par l'entreprise américaine OpenAI, capable de générer des réponses cohérentes en quelques secondes. Mais qu'est-ce qui rend cet outil apparemment magique possible ?
Les IA sont alimentées par des données : plus elles en disposent, plus leurs résultats sont précis. Et on ne parle pas de n'importe quelle quantité, mais de milliards de données ! Rien que pour rédiger le premier paragraphe de ce texte, Chat GPT a dû se référer à 175 milliards de variables. Le dilemme réside dans la provenance de ces données et les conditions dans lesquelles elles sont collectées.
« Emplois fantômes »
Álvaro Montes, directeur de contenus de Inteligencia Artificial Colombia chez Grupo Prisa, explique que pour que les IA fonctionnent telles que nous les connaissons, il faut des humains pour les entraîner. Ce travail, appelé étiquetage des données, consiste à analyser et à classer les informations afin que les algorithmes d'IA puissent en tirer des enseignements. Les tâches les plus courantes incluent la reconnaissance vocale et d'images, la transcription de textes et la dictée de mots.
« Les intelligences artificielles ne pensent pas comme les humains, mais effectuent un “raisonnement” mathématique. Elles comparent les pixels, les bords, la forme des yeux… », explique Álvaro Montes. Pour qu'elles puissent faire la différence entre un chien et un chat, par exemple, elles doivent d'abord avoir vu des millions de photos de ces animaux.
Le Vénézuélien Allan González est l'une des (nombreuses) personnes qui ont contribué à cet océan d'informations rendant les IA intelligentes. Il a travaillé pendant un an et demi (depuis 2019) avec la société Spare5, analysant notamment des images de rues, d'avenues, de panneaux de signalisation et de piétons, afin de contribuer à l'entraînement des voitures autonomes.
« Ça ressemblait un peu à de l'esclavage », se souvient-il.
Allan passait sa journée assis devant son écran d'ordinateur à analyser des images. Le temps imparti pour chaque activité variait entre cinq et vingt minutes. En cas de dépassement, il n'était pas rémunéré. C'est pourquoi il décrit son travail comme « la main-d'œuvre bon marché qui alimente les IA ».
Álvaro Montes partage son avis :
Estos trabajos se hacen en Venezuela, Colombia o países de África y Asia porque, como son labores no calificadas que no requieren ningún tipo de estudio, pueden pagar barato.
Ces tâches sont souvent effectuées au Venezuela, en Colombie ou dans des pays d'Afrique et d'Asie, car elles ne nécessitent pas de qualifications particulières et peuvent donc être rémunérées à bas coût.
« Dans le capitalisme, tout est sous-traité », ajoute Álvaro Montes. Ce n'est pas une exception. Dans de nombreux cas, l'étiquetage des données est effectué par des sous-traitants de la Silicon Valley, qui à leur tour sous-traitent ces tâches à d'autres entreprises. Cette externalisation rend plus difficiles la syndicalisation et la contestation des pratiques contraires à l'éthique, ainsi que la revendication de meilleures conditions de travail.
Une étude du MIT Technology Review indique qu'à la mi-2018 « environ 200 000 Vénézuéliens s'étaient inscrits sur des plateformes telles que Spare5 et Hive Micro, représentant 75 % de leur main-d'œuvre respective ».
Les employés de ces entreprises sont pour la plupart originaires de pays du Sud global. En effet, sur le site web de Remotasks, tous les témoignages proviennent de personnes originaires du Kenya, du Vietnam, des Philippines et du Venezuela.
Outre le Venezuela, les principaux pays d'Amérique latine fournissant de la main-d'œuvre à ces entreprises sont la Colombie, l'Argentine, le Panama et le Chili, selon DignifAi, une entreprise américaine basée en Colombie spécialisée dans les services d'étiquetage des données.
Ces entreprises prétendent créer des emplois et améliorer les conditions de vie de leurs travailleurs. Cependant, l'étude du MIT révèle que les étiqueteurs perçoivent de faibles salaires (environ 2 dollars de l'heure), ne bénéficient d'aucun avantage social et travaillent dans des conditions précaires, sans garanties d'emploi.
D'autres spécialistes, tels que l'anthropologue Mary L. Gray et le sociologue Siddharth Suri, ont également rapporté que la santé mentale des étiqueteurs de données est affectée par des journées de travail épuisantes, des emplois de courte durée et une rotation élevée.
Allan n'a pas été exposé à des images traumatisantes, mais il a dû accomplir d'autres tâches très éprouvantes, tant mentalement que physiquement.
Yo decía: ‘me estoy embruteciendo aquí dándole clic a la computadora’. Es un trabajo completamente repetitivo y sin ningún tipo de crecimiento.
Je me disais : « Je suis en train de m'abrutir ici en cliquant sur l'ordinateur ». C'est un travail complètement répétitif, sans aucune perspective d'évolution.
Il a décidé de se lancer dans l'étiquetage de données parce que la rémunération était en dollars et que « la situation au Venezuela était alors assez compliquée ». À l'époque, il était payé entre 50 cents et un dollar par tâche, selon la difficulté. Malgré tout, il gagnait plus que le salaire moyen dans son pays. Il explique :
El sueldo mensual en Venezuela era de 30 dólares, así que en un día podía hacer lo que otros hacían en un mes.
Le salaire mensuel au Venezuela était de 30 dollars, je pouvais donc faire en un jour ce que d'autres faisaient en un mois.
Pour toutes ces raisons, l'étude du MIT conclut que l'étiquetage des données, loin d'être une source d'emploi digne de ce nom, est devenu une nouvelle forme d'exploitation de la main-d'œuvre. En effet, les chercheurs affirment que « l'IA est en train de créer un nouvel ordre mondial colonial ».
Que faire pour améliorer les conditions de travail des étiqueteurs de données ?
Certaines entreprises affirment offrir des conditions de travail différentes, comme DignifAI, qui embauche principalement des migrants vénézuéliens et des Colombiens ayant vécu au Venezuela.
Selon María Garcés, responsable des opérations chez DignifAI au moment de l'entretien, l'une des garanties offertes aux collaborateurs est « un salaire décent ».
‘Si te vas a las estadísticas de la industria del etiquetado, hablamos de unos salarios incluso por debajo del dólar la hora. Nosotros nos hemos querido caracterizar por ser diferentes a eso y, dependiendo de la tarea, el pago está entre 2 y 20 dólares la hora. Siempre pagamos, al menos, un 30 por ciento por encima del salario mínimo mensual en países de Latinoamérica,’ explica. DignifAI no paga prestaciones sociales a sus etiquetadores.
« Si vous consultez les statistiques du secteur de l'étiquetage, vous constaterez que les salaires sont inférieurs à un dollar de l'heure. Nous nous distinguons de ces salaires et, en fonction de la tâche à accomplir, la rémunération se situe entre 2 et 20 dollars de l'heure. Nous payons toujours au moins 30 % de plus que le salaire mensuel minimum dans les pays d'Amérique latine », explique-t-elle. Toutefois, DignifAI ne verse pas de prestations sociales à ses étiqueteurs.
Parmi les projets proposés, certains concernent la modération de contenu, l'analyse des sentiments ou le langage toxique, que María définit comme « des tâches très courantes dans le domaine de l'intelligence artificielle, où il faut souvent voir des images choquantes ou lire des textes racistes ou homophobes ».
Afin de réduire l'impact négatif sur la santé mentale, dit-elle, un soutien psychologique est proposé aux employés, qui ont aussi des travailleurs sociaux à leur disposition. Elle assure également qu'ils reçoivent une formation sur d'autres sujets, tels que le marketing numérique, l'entrepreneuriat, le community management, ainsi que les finances professionnelles et personnelles.
Ingrid Hernández est l'une des employées de cette entreprise. Elle l'a rejointe fin 2022 en tant qu'étiqueteuse de données et, en février 2023, elle a été promue superviseuse d'un projet d'analyse textuelle des sentiments. Avant de travailler dans ce domaine, elle était professeure de langue et littérature dans son pays natal, le Venezuela, mais la situation dans son pays l'a poussée à émigrer en Colombie à la recherche de meilleures opportunités.
Bien qu'elle n'ait pas pu exercer directement sa profession, elle affirme que chez DignifAI, elle a pu mettre en pratique certaines de ses connaissances en analysant des textes, et qu'elle est donc satisfaite de ses conditions de travail.
Solo se trabaja cuatro horas al día y, por lo menos en el caso de los anotadores, se gana más de lo que se estaría ganando en cualquier otro lugar por medio tiempo.
On ne travaille que quatre heures par jour et, du moins dans le cas des étiqueteurs, on gagne plus que ce qu'on gagnerait ailleurs à mi-temps.
Pour María, toutes les sociétés d'étiquetage doivent améliorer les conditions économiques de leurs étiqueteurs.
La industria está despertando hacia la ética de la inteligencia artificial, porque están en el ojo del huracán. Estamos en un buen momento para seguir haciendo ruido y dar a conocer la vida de estas personas que están al final de la escalera, para que se den esos cambios que se necesitan.
Le secteur s'éveille à l'éthique de l'intelligence artificielle, car il se trouve dans l'œil du cyclone. C'est le bon moment pour continuer à faire du bruit et à rendre visible la vie de ces personnes au bas de l'échelle, afin que les changements nécessaires soient apportés.
Álvaro Montes est d'accord. Cependant, il pense que le véritable problème est que l'Amérique latine est une région de spectateurs passifs de la quatrième révolution industrielle. Il ajoute :
El problema no es solo resolver la situación laboral de estos migrantes venezolanos que etiquetan fotos. Claro, eso es lo justo, pero tenemos que salir del rol de consumidores para convertirnos en el Thor de la tecnología.
Le problème n'est pas seulement de résoudre la situation de l'emploi de ces migrants vénézuéliens qui étiquettent des photos. Bien sûr, c'est juste, mais nous devons sortir du rôle de consommateurs pour devenir les Thor de la technologie.
Il estime que l'on résoudrait ainsi le problème de fond, en créant des emplois qualifiés qui contribueraient à la croissance de la région.
¿Queremos ser un continente que desarrolle tecnología y que tenga muchos ingenieros, técnicos, tecnólogos, matemáticos y científicos?, ¿o queremos repartidores de pizza y etiquetadores de datos bien pagados?
Voulons-nous être un continent qui développe la technologie et qui compte de nombreux ingénieurs, techniciens, technologues, mathématiciens et scientifiques, ou voulons-nous des livreurs de pizza et des étiqueteurs de données bien payés ?
Pour lui, la réponse réside dans le renforcement de l'innovation afin de garantir la souveraineté technologique et de cesser d'être ceux qui importent la technologie pour devenir ceux qui la produisent.