
Capture d'écran de quelques manifestants lors des manifestations contre le projet de loi sur les finances, tirée de la vidéo YouTube « Kenyans fought a deadly fight against their government. Here's how they won | About That » (Les Kenyans ont mené un combat mortel contre leur gouvernement. Voici comment ils ont gagné) de CBS News. Utilisée avec permission.
[Sauf indication contraire tous les liens renvoient vers des sites en anglais]
En juin dernier, les jeunes kenyans sont descendus dans la rue et sur les espaces numériques pour protester contre le projet de loi de finances 2024 , qui a introduit de nouvelles taxes sur les biens essentiels comme les données Internet, l'huile de cuisson et le carburant. Ce projet de loi visait à faire face à la dette croissante du Kenya, mais il a suscité une opposition généralisée en raison de son impact sur le coût de la vie.
Avec près de 80 % de la population kényane ayant moins de 35 ans, il n’est pas surprenant que les jeunes aient dominé les manifestations. Les plateformes de réseaux sociaux telles que TikTok , X (anciennement Twitter) et Instagram sont devenues des outils essentiels pour organiser, mobiliser et documenter l’opposition au projet de loi. Les manifestants ont utilisé ces plateformes pour atteindre un public plus large, des centres urbains aux zones rurales.
En plus du contenu vidéo, les X Spaces (des débats audio en direct) ont attiré des centaines d’auditeurs, avec une session rassemblant plus de 100 000 participants . La visibilité croissante des manifestations en ligne a finalement poussé le président William Ruto [fr] à organiser son propre X Space , en dialogue direct avec les manifestants. Le président a dû répondre à des questions difficiles et a cherché à calmer l’opinion publique tout en justifiant le projet de loi de finances. Cette interaction a souligné un changement dans le discours politique du Kenya, où les jeunes, mobilisés en ligne, ont pu défier et confronter leurs dirigeants.
Les outils basés sur l’intelligence artificielle ont joué un rôle essentiel dans le mouvement. Le chatbot Corrupt Politicians GPT a révélé des cas de corruption impliquant des politiciens kenyans, fournissant des informations en temps réel sur les personnes au pouvoir. Un autre outil essentiel était le GPT Finance Bill GPT , qui a analysé les dispositions complexes du projet de loi, expliquant son impact sur les prix et la vie quotidienne des Kenyans. En outre, les militants ont même divulgué les numéros de téléphone des députés , que les manifestants ont utilisés pour les spammer de messages, les poussant à retirer leur soutien au projet de loi.
Les militants ont fait pression en créant un site Internet présentant un « mur de la honte » où sont cités publiquement les noms des hommes politiques qui ont soutenu le projet de loi. Cette stratégie de responsabilisation publique a galvanisé une nouvelle fois l’opposition, certains électeurs menaçant même de révoquer leurs députés .
Mobilisation numérique : hashtags et vidéos virales
L’engagement en ligne via les hashtags a joué un rôle majeur dans les manifestations. Selon la société d’analyse numérique Nendo , TikTok a généré à lui seul près d’un milliard de vues de vidéos liées aux manifestations, tandis que des hashtags comme #RejectFinanceBill2024, #OccupyParliament et #RutoMustGo ont dominé le discours numérique. X a enregistré plus de 24 millions de mentions des manifestations, devenant ainsi la plaque tournante des débats politiques et des appels à l’action. TikTok a joué un rôle essentiel dans le partage de vidéos créatives de protestation, et les groupes WhatsApp ont permis une coordination en temps réel, aidant les jeunes militants à suivre les mouvements de la police et à partager les mises à jour.
Les hashtags #RejectFinanceBill2024 et #OccupyParliament ont été largement utilisés, le premier ayant gagné en popularité le 12 juin 2024. Les manifestants ont collaboré sur des vidéos TikTok expliquant le projet de loi, garantissant une plus grande portée et une meilleure compréhension, en particulier dans les zones rurales. Le 25 juin, les manifestations ont atteint leur paroxysme lorsque les manifestants ont fait irruption au Parlement , ce qui a encore accru l'engagement en ligne. Des vidéos montrant des manifestants prenant d'assaut des bâtiments gouvernementaux et des manifestations dans de grandes villes comme Nairobi [fr], Kisumu [fr] et Mombasa sont devenues virales, attirant l'attention du monde entier.
Bien que les politiciens aient minimisé l’importance des manifestations, qualifiant les participants de « Kenyans qui prennent Uber, mangent du KFC et boivent de l’eau en bouteille », la participation massive a surpris plus d’un. Un jeune manifestant a exprimé l’état d’esprit des manifestants en déclarant :
— Africa Uncensored (@AfUncensored) July 16, 2024 « Nous mourons déjà chez nous, donc en descendant au moins dans la rue, nous avons une chance de vivre une vie digne », a déclaré Kinuthia, un manifestant, à @tom_mukhwana lors des manifestations d'aujourd'hui. pic.twitter.com/FlxFJV0nay
Désinformation et mal-information
Cependant, la montée de l’activisme en ligne s’accompagne de difficultés : de désinformation et de mal-information. Les organisateurs des manifestations ont fait état de fausses rumeurs répandues sur des plateformes comme WhatsApp et X.
Un exemple frappant de désinformation est une publication virale faussement attribuée au journaliste de CNN Larry Madowo , qui déclarait : « Autant nous tenons à féliciter mes frères et sœurs de l’industrie créative et les jeunes créateurs de contenu qui se sont manifestés en grand nombre pour s’opposer au projet de loi de finances, autant je tiens à leur dire que rien de bon ne vient de la résolution violente des problèmes. » Madowo a par la suite démystifié le graphique, soulignant qu’il était complètement fabriqué.
Même les élus se sont retrouvés empêtrés dans des controverses liées à la mal-information. John Kiarie , un député de Nairobi, a été contraint de s’excuser après avoir accusé des militants d’avoir manipulé des images de manifestations pour les faire paraître plus grandes.
La mal-information est néfaste car elle sape la confiance, sème la confusion et peut rapidement faire monter les tensions dans des situations sensibles. Lors des manifestations contre le projet de loi de finances, la diffusion de fausses informations a déformé le message du mouvement et semé la division parmi les participants et le public.
Le président William Ruto a directement attribué le déclin des manifestations au rôle de la mal-information. Dans une interview accordée à la radio Deutsche Welle (DW), il a déclaré : « Lorsque les gens ont réalisé que la négativité entourant le projet de loi de finances était basée sur de fausses nouvelles, ils ont arrêté. Les manifestations ont été alimentées par la désinformation, les fausses nouvelles et la désinformation. » Les remarques du Président soulignent comment la mal-information peut dissiper l’énergie d’un activisme légitime en jetant le doute sur son authenticité, en détournant l’attention des véritables problèmes en jeu et en semant la confusion dans l’opinion publique quant à la véritable nature des manifestations.
La mal-information se répandant sans contrôle, les manifestants ont plus de mal à maintenir un front uni et le soutien du public peut s'affaiblir lorsque les gens se demandent si les raisons de la manifestation sont valables ou exagérées. Cette dynamique s'est manifestée lors des manifestations contre le projet de loi de finances, où le flot de fausses rumeurs et de contenus falsifiés a déplacé l'attention des griefs soulevés par les jeunes vers des débats sur ce qui était réel et ce qui ne l'était pas.
Succès des manifestations et avenir de l’activisme en ligne
Malgré la désinformation, les manifestations ont remporté des succès significatifs. Fin juin 2024, le président Ruto a annoncé le retrait de plusieurs clauses controversées du projet de loi, une victoire que le mouvement mené par les jeunes a célébrée. Cependant, l'élan ne s'est pas arrêté là, car le débat s'est déplacé vers une réforme politique plus large. Le hashtag #RutoMustGo a commencé à faire son chemin, avec des appels à une refonte du gouvernement.
Des personnalités internationales et locales ont soutenu les manifestations, notamment le chef de l'opposition ougandaise Bobi Wine [fr], qui a exprimé son soutien sur X, déclarant :
Power to you the young people of Kenya. You are speaking up and your voices are being heard far beyond the Kenyan borders. We hope your leaders too are listening! We continue to stand in solidarity with you. Viva ✊🏿 pic.twitter.com/mbcjRtz9wq
— BOBI WINE (@HEBobiwine) June 23, 2024
Le pouvoir est à vous, jeunes du Kenya. Vous vous exprimez et vos voix sont entendues bien au-delà des frontières du Kenya. Nous espérons que vos dirigeants vous écoutent également ! Nous restons solidaires avec vous. Allez! pic.twitter.com/mbcjRtz9wq
— BOBI WINE (@HEBobiwine) 23 juin 2024
Des personnalités de renommée internationale comme l'artiste jamaïcain Konshens fr] ont également amplifié la cause lors de sa performance au Summer Jam Festival 2024 en Allemagne.
Football Twitter, une sous-culture du football sur X, s'est également joint aux manifestations, ralliant un soutien mondial et amplifiant le hashtag #RejectFinanceBill2024. Des groupes comme Anonymous, un groupe international décentralisé de hackers, ont menacé de cyberattaques le gouvernement du Pésident Ruto en solidarité avec le mouvement.
Les manifestations contre le projet de loi sur les finances au Kenya ont mis en évidence le pouvoir de la technologie pour renforcer et remettre en cause les mouvements modernes. Les plateformes numériques ont donné aux jeunes kenyans une voix forte, mais les ont également exposés aux risques de désinformation. Alors que le discours des manifestations évolue vers des revendications de réformes politiques, la capacité à naviguer de manière responsable dans le paysage numérique sera cruciale pour maintenir l’élan. Les leçons tirées de ces manifestations façonneront sans aucun doute les mouvements futurs au Kenya et au-delà.