La diversité linguistique de l’Europe se reflète de plus en plus dans les médias numériques, où les locuteurs de langues régionales et minoritaires et leurs communautés utilisent les outils et médias numériques comme levier pour la préservation, la promotion et la revitalisation de leur patrimoine linguistique. Dans cet esprit, la campagne en ligne de Rising Voices, @EuroDigitalLang, a créé un compte collaboratif sur X (anciennement Twitter). Les activistes et défenseurs des langues y relatent leurs histoires personnelles avec leurs propres mots, en échangeant avec les internautes et en partageant les défis permanents et les victoires.
Rising Voices s’est entretenu avec Alexandra Philbin, doctorante à l’université de Valence en Espagne, qui mène des recherches sur la langue irlandaise. Vous pouvez suivre Alexandra sur X à @Alexandra_Phil_, où elle gère le compte X durant la semaine du 29 avril au 5 mai 2024.
Rising Voices (R.V.) : Parlez-nous de vous et de votre travail linguistique.
Alexandra Philbin (AP): I am originally from a small town called Domhnach Beathach outside of Baile Átha Cliath (Dublin), but I have been living in Valencia for the past three years. I first learned Irish in school and in immersion summer camps in Baile Átha Cliath and Conamara, and I have been involved in promoting the language since I was a teenager.
Alexandra Philbin (A.P.) : Je suis originaire d’une petite ville appelée Domhnach Beathach, à côté de Baile Átha Cliath (Dublin), mais je vis à Valence depuis trois ans. J’ai d’abord appris l’irlandais à l’école et dans des camps d’été d’immersion linguistique à Baile Átha Cliath et dans le Connemara, et je m’investis dans la promotion de la langue depuis que je suis adolescente.
Currently, I teach Irish to adult learners and research the experiences of Irish speakers in Baile Átha Cliath. I’m carrying out this research as a PhD candidate at the University of Valencia and I also look at the experiences of Valencian speakers in Valencia. I started learning Valencian when I moved to the city in 2021 and am massively inspired by the speakers I have met here.
Actuellement, j’enseigne l’irlandais à des adultes et j’étudie les expériences des locuteurs irlandais de Baile Átha Cliath. Je mène cette étude dans le cadre de mon doctorat à l’Université de Valence et je me penche également sur les expériences des catalans de Valence. J’ai commencé à apprendre le catalan lorsque j’ai emménagé à Valence en 2021 et les locuteurs que je rencontre m’inspirent énormément.
I also work as a mentor with the Endangered Languages Project, an organization that aims to support minoritized-language communities around the world by providing resources, building connections and sharing ideas across borders. In this role, I get to meet speakers who are doing amazing work to promote their languages, and I feel extremely lucky.
Je suis également mentor au sein du projet Langues en danger (Endangered Languages Project), une organisation qui vise à soutenir les communautés de langues minorisées dans le monde entier en offrant des ressources, en établissant des liens et en partageant des idées au-delà des frontières. Dans ce rôle, j’ai l’occasion de rencontrer des conférenciers qui font un travail extraordinaire pour promouvoir leurs langues, et j’ai le sentiment d’être privilégiée.
R.V. : Actuellement, quelle est la situation de votre langue à la fois dans le monde numérique et dans le monde réel ?
AP: Irish is the first official language of the Republic of Ireland and over 1.8 million people there claim some competence in it, according to the latest census results. Adding this to the 228,600 people in the six counties of the North of Ireland that have some ability in the language means that over two million on the island of Ireland are somewhat competent in the language. There are also speakers living all over the world, particularly in areas where many Irish people have emigrated historically. There is a higher proportion of speakers in areas of Ireland known as the Gaeltacht.
A.P. : L’irlandais est la première langue officielle de la République d’Irlande et les derniers résultats du recensement révèlent que plus de 1,8 million de personnes déclarent maîtriser l’irlandais. Si l’on y ajoute les 228 600 habitants des six comtés de l’Irlande du Nord qui ont une connaissance de la langue, plus de deux millions de personnes en Irlande ont une certaine compétence linguistique. Il y a aussi des locuteurs partout dans le monde, en particulier dans les régions où de nombreux Irlandais ont émigré au cours de l'histoire. La proportion des personnes parlant irlandais est plus élevée dans les régions d’Irlande connues sous le nom de Gaeltacht.
There are many efforts happening to increase the number of Irish speakers. Schools are an important focus for these efforts and there is huge demand for Irish-medium education. There are classes outside the formal education system for adult learners, including a great offering of online classes. There have been some important gains in recent years in the media, as the Irish-language channel TG4 launched a brand-new children’s channel last year. There are also many digital projects that aim to support language learning and use, including online conversation groups, dictionaries and grammar tools, podcasts and Irish-language servers.
De nombreux efforts sont déployés pour augmenter la proportion de personnes parlant irlandais. Les écoles font partie intégrante de ces efforts et la demande d'enseignement en langue irlandaise est très forte. Il existe des cours en dehors du système d’éducation formel pour les apprenants adultes, y compris une grande offre de cours en ligne. Depuis ces dernières années, les médias sont devenus un atout, la chaîne irlandaise TG4 ayant lancé l’année dernière une toute nouvelle chaîne pour les enfants. De nombreux projets numériques visent à soutenir l’apprentissage et l’utilisation des langues, tels que des groupes de conversation en ligne, des dictionnaires et des outils de grammaire, des podcasts et des serveurs en langue irlandaise.
It is important to note that speakers face many challenges when trying to live their lives in Irish. This is reflected by the fact that while 1.8 million people claim some competence in the language, only 71,968 people in the Republic of Ireland use the language on a daily basis outside of the education system, according to census figures. There are many dedicated activists working against this situation and drawing attention to the struggles of Gaeltacht communities and speakers across the country and fighting against the dominance of English.
Il est important de mentionner que les irlandophones sont confrontés à de nombreux défis lorsqu'ils essaient d'utiliser la langue irlandaise dans leur vie quotidienne. Les chiffres du recensement le démontrent : si 1,8 million de personnes déclarent maîtriser l’irlandais, seules 71 968 personnes en Irlande l’utilisent quotidiennement en dehors du système éducatif. De nombreux activistes engagés se battent pour renverser cette situation, attirent l’attention sur les combats des communautés et locuteurs du Gaeltacht à travers le pays, et luttent contre la suprématie de la langue anglaise.
R.V. : Qu’est-ce qui vous motive à donner de la visibilité à votre langue dans les médias numériques ?
AP: I started thinking more about using Irish in digital spaces in 2020, when COVID-19 came to Ireland. Up until that point, I had mainly used the language in person — in my schooling and professional life, and socially.
A.P. : J’ai commencé à réfléchir davantage à l’utilisation de l’irlandais dans les médias numériques en 2020, lorsque la COVID-19 est arrivée en Irlande. Jusque-là, j’avais principalement utilisé la langue dans le cadre de ma scolarité, ma vie professionnelle, et mes relations sociales.
When the pandemic started, I was living with my parents and only speaking English in person, so all of my communication in Irish was suddenly brought online. From my bedroom, I was catching up with how friends were doing in lockdown in Irish, attending work meetings in Irish, studying to be an Irish-language teacher for adults, going to a weekly Zoom gathering for Irish speakers. Having access to those digital spaces allowed me to continue to use Irish at a time when I had been cut off physically from other speakers — something that provided a lot of relief during a very difficult period.
Au début de la pandémie, je vivais avec mes parents et je ne parlais qu’en anglais. Mes communications en irlandais sont devenues soudainement exclusivement limitées aux espaces numériques. Depuis ma chambre, j’interrogeais mes amis, en irlandais, sur la façon dont ils vivaient le confinement, je participais à des réunions de travail en irlandais, j'étudiais pour devenir professeure d’irlandais pour adultes, j’assistais à des webinaires hebdomadaires pour les locuteurs irlandais. L’accès à ces espaces numériques m’a permis de continuer à utiliser l’irlandais à un moment où j’étais coupée physiquement des autres, ce qui m’a beaucoup aidée pendant cette période très difficile.
Moving to Valencia soon afterwards meant that I was still separated physically from a lot of my Irish-speaking friends in Ireland and the events that I would have attended were I living there. I still use the language on a daily basis thanks to the digital forms of communication that I started using in 2020. This means the world to me, and I know it does for other Irish speakers scattered across the globe.
Mon installation à Valence peu après m’a à nouveau séparée physiquement de beaucoup de mes amis irlandais et des événements auxquels j’avais l’habitude d’assister. J’utilise toujours la langue au quotidien grâce aux formes de communication numériques que j’ai commencé à utiliser en 2020. Ça signifie beaucoup pour moi, et je sais que c’est le cas pour d’autres irlandophones dispersés à travers le monde.
R.V. : Pouvez-vous décrire certains des défis qui empêchent votre langue d’être pleinement utilisée en ligne ?
AP: Before I moved to Valencia, I saw myself as being very dedicated to Irish-language promotion. Yet, when I came to Valencia, learned Valencian and started meeting language activists through the University of Valencia, I was really struck by how my language practices in Irish didn’t reflect those of the people I was meeting, who strive to use Valencian in every interaction. My use of Irish was mainly limited to people who I knew spoke Irish, rather than with strangers in spaces not associated with the language, and if I was posting publicly online, I’d do bilingual posts in Irish and English. In my daily interactions, I was constantly giving in to the dominance of English in public life, both online and offline, without really thinking about it too much.
A.P. : Avant de déménager à Valence, j’avais le sentiment d'être dévouée à la promotion de la langue irlandaise. Pourtant, lorsque je suis arrivée à Valence, que j’ai appris le catalan et commencé à rencontrer des activistes linguistiques à l’université, j’ai été vraiment frappée par le fait que mes pratiques linguistiques en irlandais ne reflétaient pas celles des gens que je rencontrais et qui s’efforçaient d’utiliser le catalan dans toutes leurs interactions. Mon utilisation de l'irlandais se limitait principalement aux personnes que je connaissais et qui parlaient irlandais, plutôt qu’à des étrangers dans des espaces non associés à la langue, et si je publiais des messages en ligne, je les rédigeais en irlandais et en anglais. Dans mes interactions quotidiennes, je cédais constamment à la domination de l’anglais dans la vie publique, en ligne ou pas, sans trop y penser.
Ideologies, then, around where and with whom Irish should be used, and also around what counts as language activism in a given context, were really affecting my use of the language online and are a major challenge preventing the language being fully utilized. Helping speakers to identify these ideologies, recognize the inequality that has led to our public interactions being so often in English and reflect on how our daily interactions can challenge or sustain this inequality is really important.
Les idéologies basées sur les lieux où utiliser l’irlandais, et avec qui, ainsi que la remise en question de l'activisme linguistique dans un contexte donné, m’empêchaient d’utiliser la langue en ligne. C’est un défi majeur qui entrave l’utilisation de la langue dans toutes les situations. Il est crucial d'aider les locuteurs à identifier ces idéologies, à reconnaître l’inégalité qui a conduit à ce que nos interactions publiques soient si souvent en anglais et à réfléchir à la façon dont nos interactions quotidiennes peuvent remettre en question ou soutenir cette inégalité.
R.V. : Selon vous, quelles mesures concrètes peuvent être prises pour encourager les jeunes à commencer à apprendre leur langue ou à continuer à l’utiliser ?
AP: In order to help the younger generation recognize those ideologies that I mentioned, it is important that we openly discuss issues of power, justice and equality when we are teaching and using our languages. I studied Irish to degree level and there was little to no focus during my formal education on language activism. While I appreciated a lot of the literature that I studied, I think there is a major need to include sociolinguistics in the curriculum for students of Irish at all levels. I think we should encourage discussions around these ideas at community gatherings and events and work out ways together to challenge ideologies that limit us linguistically.
A.P. : Afin d’aider la jeune génération à reconnaître ces idéologies, nous devons aborder ouvertement les questions de pouvoir, de justice et d’égalité lorsque nous enseignons et utilisons nos langues. J’ai étudié l’irlandais jusqu’à la licence et l'activisme linguistique était peu ou pas abordé. Une grande partie de l’enseignement de la littérature irlandaise m’a plu, mais je pense qu’il est primordial d’inclure la sociolinguistique dans le programme des étudiants en irlandais à tous les niveaux. Nous devrions profiter de rencontres et d'événements communautaires pour encourager les discussions autour de ces idées et trouver ensemble des moyens de remettre en question les idéologies qui nous limitent sur le plan linguistique.
As I described, moving to Valencia and meeting language activists here was pivotal for me in thinking through my own use of Irish and I think that speaks to something important: how much we have to learn from connecting with each other.
Comme je l’ai décrit, m’installer à Valence et rencontrer des activistes linguistiques a été essentiel pour moi dans ma réflexion à travers ma propre utilisation de l’irlandais et c’est la preuve qu'il nous reste encore beaucoup à apprendre en nous connectant les uns avec les autres.
Bringing young people together from different minoritized-language communities means they can share experiences and ideas, and also see that they are not alone and are part of a global fight for a more just world. Initiatives like the @EuroDigitalLang project provide a great space for such connections. These connections are also central to our work at the Endangered Languages Project so I’m really excited to be taking over the rotating account for the week.
Rassembler des jeunes issus de différentes communautés linguistiques minorisées encourage le partage d’idées et d’expériences, mais ces jeunes réalisent également qu’ils ne sont pas seuls et qu’ils font partie d’un combat mondial pour un monde plus juste. Des initiatives comme le projet @EuroDigitalLang offrent un espace formidable pour de telles connexions. Ces liens sont également au cœur de notre travail au sein du projet Langues en danger et j'ai hâte de gérer le compte collaboratif pendant ma semaine.