Secteur très innovant et créant de nouveaux emplois, l’économie créative intègre aujourd'hui plusieurs domaines, comme la musique, l’art, le cinéma ou encore le jeu vidéo. Ce dernier brasse des milliards de dollars américains sur le marché africain.
Selon le rapport « Africa Gaming Market Size (2024 – 2029) » (La taille du marché du jeu en Afrique 2024-2029) de Mordor Intelligence, un cabinet de conseil et d’étude de marché, on estime à plus de 2,14 milliards de dollars américains la taille du jeu vidéo en Afrique en 2024. Ce domaine pourrait atteindre 3,72 milliards de dollars américains d'ici 2029.
Le jeu vidéo est très connu au sein de la jeunesse africaine – plus de 400 millions de jeunes ont entre 15 et 35 ans -, sur le 1,6 milliard de personnes qui vivent sur le continent. Le jeu vidéo n'est pas seulement une forme de loisir. Il peut aussi être une véritable profession connue sous le nom de e-sport qui comporte ses règles, des tournois, des prix et des compétitions internationales comme par exemple, les Jeux Olympiques d'E-sports prévus en 2025 en Arabie Saoudite. Pour comprendre les enjeux de cette industrie, Global Voices a interviewé l'expert Kofi Sika Latzoo, Togolais résidant au Sénégal.
Kofi est titulaire d'une certification en entrepreneuriat d’industries créative du British Council, en Gamification à Impact social et détient un prix en expertise éducative et innovante de Microsoft. Il est l’un des pionniers des industries créatives et de la numérisation de l'art en Afrique. En 2012, il fonde Gamecampcities Agency, une agence de promotion de jeu vidéo et l’e-sport. Il enseigne l'e-sport management depuis sept ans à Kedge Business School, sur les campus de Bordeaux et Paris et à Bem Africa à Dakar et à Abidjan.
Jean Sovon (JS): Quels sont les pays africains en avance sur la valeur ajoutée du jeu vidéo?
Kofi Sika Latzoo (KSL): En premier lieu, l'Afrique du Sud, qui est l'un des premiers pays africains à ériger des studios de développement de jeux vidéo: Free Live, l'un des plus anciens studios de développement de jeux vidéo sur le continent. C'est aussi l'un des rares pays à développer une fédération e-sport et le premier à faire partie des grandes instances de gouvernance de l'e-sport mondial. D’autres pays comme la Tunisie, l'Égypte, le Maroc, le Zimbabwe, le Ghana, et le Sénégal, qui est l'un des rares marchés francophones sont très dynamiques. Le Sénégal est aussi l'un des rares pays à avoir un cadre légal depuis 2020 pour la structuration de l'e-sport: le jeu vidéo compétitif et le développement de jeu vidéo. Le Togo aussi est en train de se structurer avec une fédération fraîchement naissante. De nombreux pays africains vont participer aux Jeux Olympiques e-sport en Arabie Saoudite: le Sénégal, le Maroc, le Togo, l'Égypte, la Tunisie, l'Afrique du Sud, la Zambie, le Zimbabwe, la Côte d'Ivoire, le Cap Vert, l’île Maurice, le Kenya, la Zambie.
JS: Les joueurs profitent-ils réellement des retombées financières ou sont-ils juste des consommateurs ?
KSL : Il y a trois niveaux: amateurs, semi-professionnels et les professionnels et il faut être au second niveau pour bénéficier des retombées financières. Les amateurs se font connaître des différents tournois dans leurs pays. Ils passent ensuite à la seconde étape et deviennent des joueurs semi-professionnels. Ils commencent par avoir des jeux de prédilection. Il faut savoir qu'il y a 15 disciplines d'e-sport. A partir de ce moment-là, ils cherchent une marque qui va les sponsoriser et leur permettre de grandir. De là, ils peuvent voyager pour aller à des compétitions régionales ou à l'international.
En Afrique, plus de 90% des joueurs sont semi-pro. C'est très rare de voir un joueur pro, car cela veut dire que déjà vous n'avez pas un seul sponsor, mais plusieurs sponsors et vous êtes sous contrat. Tout autour de vous est contrôlé et vous faites des rapports réguliers à vos sponsors. Il n’existe que moins de 20 équipes professionnelles dans le monde, et 80% d'entre-elles qui arrivent à atteindre des évaluations de 10 à 30 millions de dollars [américains] , sont aux États-Unis. Il y en a une seule en Espagne, en France, en Angleterre et quelques-unes au Brésil.
Sur le continent, la majorité des équipes professionnelles et semi-professionnelles se trouve en Afrique du Sud avec des équipes comme Goliath Gaming. Il y en a aussi au Maroc, en Tunisie. On commence à avoir des équipes en Zambie avec la Team Gematrix qui arrive à avoir des tournois même jusqu'à Las Vegas. Il y a également une très bonne équipe au Sénégal, XamXamLions que j'ai créée moi-même en 2016 qui a déjà à son actif deux qualifications olympiques avec des joueurs sur contrat.
JS : Quelle est la contribution de l’économie générée par le jeu vidéo dans le développement du continent africain ?
KSL : Le jeu vidéo est un marché de 800 milliards de francs CFA (plus de 1,3 milliards de dollars américains) d'offres en Afrique. Mais pour avoir une vision globale de l'approche, le jeu vidéo, en termes d'industrie mondiale, c'est 300 milliards de dollars américains annuels de marché. Et l'e-sport, c'est un milliard dollars américains de marché.
L'engouement pour la discipline est en train de se généraliser au niveau global et l'Afrique ne doit pas être en reste pour la simple raison que l'Afrique détient la plus jeune population. C'est le continent qui a la capacité de tout consommer et de tout créer. Les pays en tête sont l'Afrique du Sud et le Maroc. Au Maroc, l'opérateur Télécom Inwi crée depuis 2012 des hackathons pour détecter des talents de développeurs de jeux ; embauche ces talents pour créer des jeux vidéo mobiles qui vont être lancés pendant la période du Ramadan. Invi détient déjà trois ligues e-sport au Maroc: une ligue professionnelle, une ligue universitaire et une ligue pour enfants. Il y a là une stratégie qui a été pensée et des investissements.
JS: Quel rapport existe entre le sport et l'e-sport? Où se positionne le Togo votre patrie dans cette discipline ?
KSL : Pas mal de figures sportives ont un intérêt pour la discipline et s'impliquent. Un très bon exemple est le cas de David Beckham, qui est propriétaire d'un club e-sport qui s'appelle Guild, alors qu'il détient aussi un club de football à Miami, où joue Lionel Messi.
Je pense qu'il y a une forte relation entre le sport et l’e-sport. On a même tendance à voir les deux fusionner, comme l'événement qu'on appelle les Jeux du Futur ou Games of Futures, qui est l'événement phygital qui implique des disciplines digitales comme des disciplines sportives et physiques. Le Bénin était présent à ces jeux du futur avec son équipe de basketball, et celle d’e-basketball ( le basketball en mode jeu vidéo).
Parlant du Togo, c’est une nation qui a un potentiel avéré, disposant plus de 32 salles de jeu dans la capitale Lomé, et une première participation à des championnats du monde organisés par Alibaba en 2016 sur les disciplines Hearthstone ( jeu de cartes en ligne). Le pays a aussi obtenu la médaille d'or aux derniers Jeux africains qui ont inclus de l'e-sport au Ghana. De plus, le président de l'association e-sport France est un franco-togolais. Je suis moi-même, Togolais basé au Sénégal, professeur d'e-sport certifié avec plus de 100 événements produits dans le domaine du jeu vidéo et du jeu vidéo compétitif en Afrique. Le président de la fédération du Togo est un ancien formé par l'agence Gamecampcities. Nous avons donc tous les ingrédients possibles pour avoir une nation e-sport forte. Le Togo est aussi membre de la confédération africaine d’e-sport (CASE) dont le siège est basé au Sénégal. La CASE compte aujourd’hui 30 pays et a comme partenaire le géant informatique HP.