Mexique : course contre la montre pour rendre justice aux victimes du drame emblématique d'Ayotzinapa

Illustration réalisée par Artefacto, et utilisée avec l'autorisation de l'auteur.

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Article rédigé par Roberto Diaz dans Artefacto, édité et republié sur Global Voices dans le cadre d'un accord de partage de contenu.

Le 26 septembre a marqué le dixième anniversaire de la disparition violente de 43 élèves de l'école normale rurale Raúl Isidro Burgos, rattachée à la municipalité d'Ayotzinapa, dans l'État de Guerrero, au sud du Mexique. L'enquête se poursuit, depuis une dizaine d'années, pour retrouver les dépouilles des 43 étudiants. Ils avaient été capturés par des membres de la police d'Iguala sous le commandement de l'ancien maire, José Luís Abarca, puis livrés au cartel des « Guerreros Unidos » qui, avec le soutien de l'armée mexicaine, les a enlevés et fait disparaître par la force.

Les parents des 43 élèves concernés ont lancé une action de mobilisation, dont l'ancien président Enrique Peña Nieto, notoirement connu pour son administration corrompue, fût informé. Ce dernier a alors chargé le procureur général de la République, Jesús Murillo Karam, qui avait été arrêté en 2022 pour avoir fabriqué un récit, connu sous le nom de « La Vérité Historique » (« La Verdad Histórica »), version « officielle » des événements d'Iguala. Cette version des faits excluait la participation de l'armée et cherchait à diffamer les étudiants. Le récit avait été élaboré à partir de faux aveux, obtenus sous la torture, par l'ancien chef de l'Agence d'investigation criminelle, Tomás Zerón, aujourd'hui, réfugié en Israël.

En 2018, Andrés Manuel López Obrador est élu président et s'engage à rendre justice pour ce crime, en créant la « Commission pour la Vérité et l'Accès à la Justice dans l'Affaire Ayotzinapa » (« Comisión para la Verdad y Acceso a la Justicia del Caso Ayotzinapa »), sous la direction du sous-secrétaire aux droits humains, Alejandro Encinas. Un premier rapport fut publié en 2022, confirmant la responsabilité de l'armée mexicaine dans la disparition des 43 étudiants et, plus choquant encore, il révélait qu’un soldat infiltré, figurant parmi le groupe d'étudiants, avait également été porté disparu cette nuit-là. L'armée était au courant et n'a pourtant rien fait pour le retrouver.

Des experts de la Commission Interaméricaine des Droits Humains (CIDH) ont suggéré que les étudiants avaient probablement été kidnappés en raison de la présence de stupéfiants dans l'un des bus à bord desquels ils voyageaient, et ce à leur insu. Les enquêtes ont également révélé des connexions à l'époque entre un cartel local et des fonctionnaires de l'État de Guerrero.

Une course contre la montre

Ce crime d'État s'exerce sur trois fronts : le judiciaire, le militaire et le criminel, ce dernier étant relié au cartel. Concernant le volet judiciaire, 132 personnes ont été interpellées : 71 policiers et 41 membres affiliés au cartel « Guerreros Unidos ». Cependant, la négligence et l'incompétence de la justice, en disculpant certaines des personnes mises en cause, empêchent de localiser les dépouilles des étudiants.

Le 6 septembre, le bureau du procureur mexicain a créé la surprise en interpellant Gildardo « El Gil » López, une témoin sous protection qui avait jusqu'alors coopéré à l'enquête.

Il convient également de noter que, selon le président Andrés Manuel López Obrador, si la présidence exigeait d'obtenir des informations, l'armée lui apporterait sa collaboration. En pratique, la situation s'est avérée plus complexe : l'armée a seulement consenti à divulguer des informations (800 dossiers sont toujours manquants) qui ne mettaient pas en cause des fonctionnaires de haut rang impliqués dans le crime d'État.

En septembre 2022, la journaliste Peniley Ramírez révélait, dans un article, des informations sensibles, compromettant les enquêtes en cours sur l'affaire. Elle rend notamment public une série de messages WhatsApp échangés entre des membres des « Guerreros Unidos », confirmant que les narcotrafiquants avaient assassiné et démembré les étudiants, puis avaient dispersé leurs restes avant de les enterrer.

Toutefois, six étudiants étaient encore en vie le 30 septembre 2014, retenus par l'armée mexicaine dans un entrepôt de l'État de Guerrero, où ils ont ensuite été exécutés par les militaires. Pour conforter la « Vérité Historique » (« La Verdad Histórica »), les corps des étudiants furent exhumés, leurs restes dispersés, puis déplacés vers la base militaire du 27e bataillon d'infanterie d'Iguala.

Si des progrès ont été réalisés dans cette affaire, ils sont restés insuffisants pour traduire en justice les juges, les officiers de police, les généraux et les secrétaires impliqués. Les parents des étudiants sont du même avis et ont pris leurs distances avec le président Andrés Manuel López Obrador. En mars 2024, un groupe d'étudiants a forcé la porte du Palais National (National Palace) pour obtenir une réunion avec le président. Ils ont été maîtrisés par les forces de police.

Dernier rebondissement en date, le gouvernement mexicain réclame l'extradition de José Ulises Bernabé, un juge qui était en poste au sein de la police municipale d'Iguala, dans l'État de Guerrero, et dont le témoignage pourrait permettre d'enquêter sur 15 officiers de l'armée. Il bénéficie actuellement du droit d'asile politique aux États-Unis.

Enfin, on ne saurait négliger la perspective que cette atrocité soit liée au crime organisé. L'espérance de vie moyenne d'un tueur à gages est courte, et de nombreuses personnes impliquées dans cette affaire périront dans des fusillades entre cartels, et l'armée mexicaine. Ainsi, l'affaire d'Ayotzinapa prend la forme d'une course contre la montre, et met en évidence la corruption à grande échelle qui sévit au Mexique.

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