Dans le rapport 2024 de Reporters sans frontières (RSF) sur la liberté d'expression, la Guinée Bissau se classe au 92è rang alors qu'elle occupait la 78è place en 2023. Une régression spectaculaire en un an qui illustre la détérioration de la situation dans le pays d’Umaro Sissoco Embalo, au pouvoir depuis 2020.
Dans ce pays d'Afrique de l'ouest de plus de 2,2 millions d'habitants, les professionnels de médias témoignent de pressions politiques et d'affaires de corruption, et d'une situation financière précaire.
Pressions politiques
Selon une analyse de RSF, les politiques contrôlent souvent les médias en Afrique. En Guinée-Bissau, les journalistes n'échappent pas à cet état de fait. Le rapport annuel de Freedom House intitulé “Freedom in the world 2024” (La liberté dans le monde en 2024) confirme ce constat:
(…)However, journalists regularly face harassment and intimidation, including pressure regarding their coverage from political figures and government officials. Journalists and media facilities have been the targets of violence.
In recent years, armed men—some dressed in military clothing—have repeatedly attacked the privately owned Radio Capital FM station, which is allied to the PAIGC, vandalizing its offices and destroying broadcasting equipment.
(…)Toutefois, les journalistes sont régulièrement victimes de harcèlement et d'intimidation, y compris de pressions concernant leur couverture par des personnalités politiques et des responsables gouvernementaux. Les journalistes et les médias ont été la cible de violences. Ces dernières années, des hommes armés, certains habillés de vêtements militaires, ont attaqué à plusieurs reprises la station privée de Radio Capital FM, qui est alliée au Parti africain pour l'indépendance de la Guinée et du Cap-Vert (PAIGC), vandalisant ses bureaux et détruisant du matériel de radiodiffusion.
Les médias ne sont pas les seuls visés: en témoigne l'attaque par des hommes armés dont a été victime, en février 2022, Rui Landim, analyste politique critique envers Umaro Sissoco Embalo à son domicile. Cité dans un article de Guinée Signal, Rui Landim déclare:
Je suis dans la maison juste avec les enfants. Ils sont dehors en train de tirer à la porte. Ils ont lâché des gaz lacrymogènes dans la chambre de ma petite-fille…Ils ont insisté mais n’ont pas pu en raison de l’intervention des voisins. Mais il y a des rapports selon lesquels ils sont dans les environs en attendant le retour du « silence de la nuit ». Les enfants paniquent et pleurent.
Pas plus tard que ce 20 novembre, les journalistes Carabulai Cassama de Capital FM et Turé da Silva ont été victimes de violences de la part de la police. L'information a été publiée sur X (ex-Twitter) par Jair dos Santos, un lanceur d'alerte bissau-guinéen.
Guinea-Bissau: Journalist Carabulai Cassamá of Capital FM Radio was brutally beaten today, 20 Nov, by police while covering a student vigil. Hospitalised under medical observation, his equipment, including two phones and a tripod, was confiscated. #PressFreedom #HumanRights
— 🇬🇼𝓙𝓪𝓲𝓻 𝓭𝓸𝓼 𝓢𝓪𝓷𝓽𝓸𝓼🇬🇼🇸🇳🇬🇲🇬🇳 (@Hypercutt) November 20, 2024
Guinée-Bissau : Le journaliste Carabulai Cassamá de Capital FM Radio a été brutalement battu aujourd'hui, 20 novembre, par la police alors qu'il couvrait une veillée étudiante. Hospitalisé et placé sous observation médicale, son matériel, dont deux téléphones et un trépied, a été confisqués. #Liberté de la presse Droits de l'homme
— 🇬🇼𝓙𝓪𝓲𝓻 𝓭𝓸𝓼 𝓢𝓪𝓷𝓽𝓸𝓼🇬🇼🇸🇳🇬🇲🇬🇳 (@Hypercutt) November 20, 2024
Les périodes électorales sont souvent les moments propices pour les acteurs politiques de mettre en œuvre, directement ou non, ce genre de pressions sur les professionnels de médias.
Précarité financière
Dans le pays, les médias ne disposent pas de ressources financières suffisantes pour travailler en toute indépendance. Le revenu moyen dans le pays est de 68 dollars américains, et le salaire moyen mensuel des journalistes bissau-guinéens est 53 dollars américains.
VOA Afrique indique dans un article sur l'environnement médiatique bissau-guinéens que les médias se tournent souvent vers les organisations internationales pour compléter leurs budgets:
Media organizations are preparing coverage proposals to present to international partners, particularly the United Nations Development Program (UNDP). These proposals often include requests for per diems to pay for transportation, food, lodging and communication for journalists.
Les médias préparent des propositions de couverture à présenter aux partenaires internationaux, en particulier le Programme des Nations Unies pour le développement (PNUD). Ces propositions incluent souvent des demandes d'indemnité journalière de subsistance pour les frais de transport, de nourriture, de logement et de communication destinées aux journalistes.
Toujours dans le même article, VOA Afrique soutient que dans de telles conditions de travail, les journalistes se tournent aussi vers les acteurs politiques pour bénéficier de certains privilèges:
As a result, many will either accept or turn to political candidates or parties for travel support, creating a relationship that compromises journalistic independence.
En conséquence, beaucoup accepteront ou se tourneront vers des candidats politiques ou des partis pour obtenir un soutien aux frais de voyage, créant une relation qui compromet l'indépendance des journalistes.
Déjà frappés par des difficultés économiques, les médias font face à une nouvelle loi sur l'exploitation des médias depuis décembre 2022, qui les pénalise dans l'obtention et le renouvèlement annuel des licences.
Le gouvernement annonce que les télévisions devront débourser 500 millions de francs CFA (plus de 8 millions de dollars américains) au lieu de 7 millions de francs CFA (plus de 11 000 dollars américains) pour obtenir la licence d'exploitation. De plus, le renouvellement de la licence passe de 1 million (1 622 dollars américains) à 125 millions de francs CFA (plus de 200 000 dollars américains). Les radios nationales, devront payer 10 millions (16 220 dollars américains) au lieu de 1,5 million de francs CFA (2 433 dollars américains) pour leur licence.
L'impossibilité de payer de telles sommes peut entraîner la fermeture des chaînes radio et télévisions, mais aussi l'emprisonnement des responsables des médias. Dans son rapport “Freedom in the world 2024” cité plus haut, l'organisation précise :
(…)nonpayment of fees can incur harsh criminal penalties, including up to three years’ imprisonment for the station’s owner. In April 2022, the government ordered the closure of 79 radio stations for nonpayment of broadcast licensing fees. All but two of the stations resumed broadcasting later that month after civil society organizations helped them negotiate staggered payments to the government.
(…)le non-paiement des redevances peut entraîner des sanctions pénales sévères, y compris jusqu'à trois ans d'emprisonnement pour le propriétaire de la station. En avril 2022, le gouvernement ordonne la fermeture de 79 stations de radio pour non-paiement des droits de licence. Toutes les stations, sauf deux, ont repris la radiodiffusion plus tard dans le mois après que les organisations de la société civile les ont aidés à négocier des paiements échelonnés au gouvernement.
Sur l'index de perception de la corruption de Transparency International en 2023, la Guinée Bissau se positionne à la 158è place sur 180 pays. Ce classement montre le dégré de corruption dans le pays. Freedom House dans son rapport “Freedom in the world 2024” ajoute:
Corruption is pervasive, including among senior government figures. Both military and civilian officials have been accused of involvement in the illegal drug trade.
La corruption est omniprésente, y compris parmi les hauts fonctionnaires. Des responsables militaires et civils ont été accusés d'être impliqués dans le commerce illicite de la drogue.
Autant de maux qui touchent la Guinée Bissau alors que le pays qui avait prévu des élections législatives anticipées le 24 novembre 2024, les reporte pour des raisons politiques et institutionnelles, selon un article de Radio France Internationale (RFI).