Au Burkina-Faso un festival investit la rue pour témoigner des crises et exprimer la résilience

 

Une installation scénographique lors du festival dans la Rue Les Recreâtrales, site du festival à Ouagadougou ; Photo de Joel Hevi

Depuis 2015, le Burkina-Faso fait face à une crise sécuritaire, due principalement aux  attaques djihadistes de groupes armés qui mettent en danger les populations civiles. Dans ce contexte d'insécurité permanente, l’art devient un outil d’expression et de résilience.

Le festival Les Récréâtrales est une des principales manifestations artistiques du pays. Cette année, il a eu lieu du 24 octobre au 2 novembre à Ouagadougou, capitale politique du Burkina Faso, pour rendre hommage aux arts vivants à l'occasion de sa 13e édition. L'évènement culturel incarne un acte de résistance et symbolise l'espoir de nombreux Burkinabés.

S’opposer à la violence et l'instabilité

Le festival s’est déroulé sous le thème de “Tourner la face au soleil,” une métaphore de la lumière et de la paix, en opposition à l’obscurité de la violence et de l’instabilité. Ce thème résonne particulièrement fort dans un pays où la guerre et les attaques terroristes ont bouleversé les vies de millions de personnes. Aristide Tarnagda, directeur artistique des Récréâtrales et membre du comité d’organisation explique à Global Voices l'importance du festival:

C’est nous inviter à aller vers la meilleure part de nous-mêmes, à sortir de l’ombre mais surtout à ce que le pays se mette ensemble, s’unisse, ensemencer la joie pour le retour de la fraternité, de l’amitié, de l’intégrité. Et que ce pays se relève.

Le festival s'est déroulé dans une rue surnommée “Rue des Récréâtrales“, sise dans la commune portant le même nom que Ouagadougou la capitale dans la province de Kadiogo dans la région du Centre. Le parcours du festival est parsemé d’œuvres monumentales réalisées à partir de matériaux recyclés, représentant des formes humaines, des chromosomes et des étoiles, créant une ambiance surréaliste et immersive.

L’architecture de la rue elle-même se transforme en une scène vivante, où l’art devient à la fois un espace de réflexion et un refuge, permettant aux spectateurs de déambuler d’une cour à l’autre tout en restant immergés dans l’univers des Récréâtrales. Cette scénographie vivante est animée par des stands de gastronomie et de créations artistiques.

Une illustration scénographique au rond-point des Récréâtrales, ancienne Rue 9.32, à Gounghin, dans le quartier bougsemtenga ; Photo de Joel Hevi

Depuis sa création en 2002, “Les Récréâtrales” a pour ambition de rassembler les artistes africains autour de la scène contemporaine. L'édition 2024 a tenu cette promesse. La programmation, qui mêle art visuel, danse, musique et théâtre, a offert un espace pour des performances marquées par la puissance des récits humains et des témoignages de vie. Chaque spectacle crée une plateforme de dialogue sur les défis sociaux et politiques qui traversent le continent africain. Les Récréâtrales continuent ainsi de faire résonner les voix de ceux qui, à travers l’art, cherchent à toucher, guérir et transformer leur société.

Pièce théâtrale pour partager des expériences de vie

C’est d’ailleurs cette dimension profondément humaine que le festival a voulu mettre en avant, avec des créations comme la pièce Tu dis PDI qui a réuni des personnes déplacées internes (PDI) venues de Kaya (ville située dans le département Kaya dans la région Centre-Nord) et de Tenkodogo (située dans la commune urbaine de Tenkodogo, dans la région du Centre-Est) ainsi que des jeunes du quartier Bougsemtenga. Dans cette œuvre, la voix des victimes de l’insécurité est portée sur scène. Les acteurs, tous non professionnels, ont l’occasion de partager leurs expériences de vie et de revendiquer leur place dans la société. À travers ce projet, les Récréâtrales démontrent que l’art n’est pas qu’un moyen d’évasion, mais un véritable outil de résistance et de guérison. Vincent Kaboré, comédien et metteur en scène, explique l’importance de ce projet :

“Nous, artistes au Burkina, nous sommes dits à un moment donné qu’il fallait intervenir dans la lutte contre la radicalisation, l'extrémisme violent. Nous nous sommes dit que nous pouvions nous adresser à nos frères et sœurs qui ont subi des traumatismes par l'art. L'armée fait ce qu'il faut sur le terrain et nous devons aussi apporter notre part pour soigner les âmes. Parce que c’est sûr qu’avec les armes, on peut arriver à reconquérir le territoire, mais c’est par l'art qu’on pourra reconquérir les âmes. Nous avons utilisé ce long processus d’accompagnement artistique pour aboutir à ce spectacle, Tu dis PDI. C’est à travers des ateliers en danse, en théâtre, en peinture et en musique que nous avons pu créer ce moment de réflexion et de guérison collective.”

Tu dis PDI  rappelle aux spectateurs que l’être humain demeure maître de son histoire, de ses luttes et de ses rêves. Ce type de spectacle prend une résonance particulière dans le contexte burkinabé actuel, où la guerre force plus de 2 millions de personnes à fuir leurs foyers. Comme le souligne Kaboré:

L’objectif de la création est de questionner la manière d’aborder et de prendre soin de ceux qui vivent cette souffrance. Dans mon pays, logiquement, je suis chez moi partout où je mets le pied. Donc être déplacé, interne, encore dans mon pays, c’est assez lourd à porter.

Par ce spectacle, les artistes espèrent apporter une réponse artistique à la douleur des déplacés et offrir une forme de visibilité pour ceux qui ont perdu tout ce qu’ils avaient. Les Récréâtrales réaffirment le rôle de la culture burkinabè autour de valeurs communes : la solidarité, l’espoir et la dignité humaine.

La poésie dans la rue

La scène des Récréâtrales est aussi marquée par des moments de poésie visuelle et musicale, avec des installations artistiques et des performances qui invitent à la contemplation. La rue Bougsemtenga permet aux habitants et visiteurs de participer activement à la création. Dans un contexte mondial marqué par la montée des tensions et des conflits, les Récréâtrales démontrent que la culture peut être un vecteur de paix et d’unité.

Dans ce élément vidéo de la Radiodiffusion Télévision du Burkina (RTB), participants et acteurs se prononcent:

 

Lancé lors de cette 13è édition, le prix des Récréâtrales est décerné à l’écrivain congolais Israël Nzila pour sa pièce Silence. Cette récompense est attribuée pour souligner l’importance de la création théâtrale contemporaine en Afrique, un continent où l’écriture et la scène sont des moyens puissants de dénoncer les injustices et de revendiquer la parole. Le festival permet ainsi de valoriser des talents émergents.

La 13e édition des Récréâtrales montre que l'art est une façon de sublimer les blessures du pays et de resserrer les liens sociaux en temps de crise sécuritaire.

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