Pour la première fois, ce 20 novembre a été déclaré fête nationale au Brésil pour commémorer la journée de la conscience noire. Cette date a été ajoutée aux calendriers scolaires en 2003 et officiellement reconnue par la Présidente de l'époque, Dilma Rousseff, en 2011. Cependant, elle n'était jusqu'à présent célébrée que dans certaines villes et certains États.
Celle-ci commémore le décès de Zumbi dos Palmares, le mémorable chef de guerre de la communauté Quilombo dos Palmares, qui a eu lieu en 1965. Les Quilombos étaient des communautés composées de personnes d'ascendance africaine qui ont échappé à l'esclavage au Brazil pendant la période coloniale. Aujourd'hui, ce terme désigne les colonies contemporaines situées à l'intérieur du pays et formées par des individus d'ascendance africaine ayant des liens culturels ou historiques avec ce territoire dans les zones tant urbaines que rurales.
Le sénateur Paulo Paim (Parti de Travailleurs — PT), l'un des quatre parlementaires noirs qui ont travaillé sur la discussion et élaboration de la Constitution de 1988 (un document qui a fait progresser le débat sur les enjeux raciaux au Brazil et qui a pénalisé le racisme) a commenté ce qui suit concernant l'importance de cette date :
Vai além de poder ser um feriado; é um momento de consciência, de debate, de diálogo sobre todas as formas de preconceito, discriminação e racismo que atinge toda a sociedade.
Cela va au-delà d'être une simple festivité ; c'est un moment pour favoriser la prise de conscience, le débat et le dialogue par rapport à toutes les formes de préjudice, discrimination et racisme qui touchent toute notre société.
Le dernier recensement national, réalisé en 2022 a enregistré pour la première fois que la majorité de la population brésilienne s'identifiait comme d'ethnie mixte (pardos). Selon l’ IBGE (Institut brésilien de géographie et de statistique), 45,3 % des Brésiliens s'identifiaient en tant que tel, tandis que 10,2 % s'identifiaient en tant que noir. L'ensemble de ces deux groupes forme la totalité de la population d'ascendance africaine parmi la population estimée à 203 millions d'habitants dans ce pays.
Malgré les avances au sujet des politiques de discrimination positive, cette population souffre toujours les effets du racisme structurel au sein de la société brésilienne ; ce qui a des répercussions dévastatrices : comme le fait d'être la cible principale de la violence policière — presque 90 % des personnes tuées par de forces de police en 2023 étaient noires.
Qui était Zumbi ?
Il existe de nombreuses versions de la vie de Zumbi dos Palmares, l'homme qui dirigeait autrefois le plus grand quilombo du Brésil. On pense qu'il est né vers 1655 dans la région connue sous le nom de Serra da Barriga, où se trouvait Palmares, entre le nord de l'État d'Alagoas et le sud de Pernambuco, et qu'il a été capturé par des colons (bandeirantes). Plus tard, vers l'âge de 23 ans, Zumbi s'est échappé et est devenu le chef de Palmares.
L'historien Jean Marcel Carvalho França, coauteur d'un livre intitulé « Três vezes Zumbi : A construção de um herói brasileiro » (Trois fois Zumbi : la construction d'un héros brésilien), a souligné dans le magazine Superinteressante que la documentation historique par rapport à Zumbi n'est pas seulement très rare, mais qu'elle est aussi écrite souvent par des sources européennes :
É difícil saber, porque você não tem descrições diretas do Zumbi. Você tem descrições das batalhas. Você tem descrições das organizações do Quilombo. Agora sobre o Zumbi especificamente você não tem quase dado nenhum.
Il est difficile de connaître plus sur Zumbi, car il n'y a pas de descriptions directes à son sujet. Il y a des descriptions des batailles et des organisations au sein du quilombo ; mais concernant Zumbi en particulier, il n'y a presque aucune information.
Autour des années 1680, la ville de Palmares a connu un déclin et, une décennie plus tard, une expédition d'envahisseurs a été envoyée pour l'anéantir. Le colonisateur qui menait cette mission avait reçu la promesse d'obtenir des terres dans cette région et un accord qui lui permettait de faire d'une partie de cette population ses esclaves. D'après l'histoire, Zumbi s'est échappé pendant plus d'un an.
Le 20 novembre 1695, après qu'un de ses camarades ait dévoilé sa cachette, Zumbi dos Palmares a été pris en embuscade et tué. Sa tête a été coupée et exposée dans une place publique à Recife, la capitale de l'État de Pernambuco.
De nos jours, le terme « Quilombo » est utilisé pour définir les colonies situées à l'intérieur du Brésil et les « Quilombolas », à savoir les personnes qui y habitaient. Selon le recensement réalisé en 2022, le pays compte actuellement 1,3 million de quilombolas vivant dans 7666 communautés et dans 8441 endroits. La région du nord-est concentre 68,1 % de cette population. La Fondation culturelle Palmares, chargée de reconnaître officiellement les territoires, a déjà délivré 3 103 certificats.
Un groupe à retenir
La date marquant la mort de Zumbi a été suggérée pour la première fois dans les années 1970 comme un jour de commémoration de la part du Groupe Palmares, une association activiste culturelle et politique située à Porto Alegre —la capitale de l'État le plus au sud du Brésil.
Les membres de Palmares voulaient une journée qui célébrerait et serait centrée sur le peuple afro-brésilien, s'opposant ainsi au 13 mai, la journée commémorative de l'abolition de l'esclavage qui rappelait le rôle de la princesse Isabel plus que celui de toute autre personnalité noire. Elle a signé la loi d'or en 1888, cédant au mouvement abolitionniste grandissant, après son approbation par le Congrès, alors que son père, l'empereur Pierre II, était à l'étranger.
Le Brésil, l'un des marchés principaux du commerce d'esclaves dans l'océan Atlantique, a été le dernier pays de l'hémisphère occidental à abolir l'esclavage. On estime que ce pays a reçu la plupart des 12 millions d'Africains enlevés par des trafiquants et amenés de force sur le continent américain.
Le 20 novembre 1971, les membres du groupe Palmares ont organisé une manifestation pour célébrer cette date pour la première fois, ce qui a ensuite inspiré des mouvements dans d'autres régions. À l'époque, le Brésil vivait sous une dictature militaire depuis près de dix ans déjà, et le groupe était surveillé par le régime, comme le raconte un article publié par le média local Matinal en 2021.
Le média Matinal fait allusion à des documents disponibles dans les Archives Nationales du Brésil, notamment un dossier sur le poète Oliveira Silveira, l'un des leaders du Groupe Palmares et l'un des responsables de l'idée de la Journée de la conscience noire. L'un des documents explique ce qui suit : « L'insistance de “réveiller une conscience noire” parmi les Brésiliens d'ascendance africaine suscite des inquiétudes. »
La surveillance du groupe n'a pas fait exception. Comme elle l'a fait pour d'autres mouvements sociaux, la dictature militaire qui a duré 21 ans au Brésil s'est également intéressée aux mouvements noirs, surveillant, persécutant et faisant de leurs militants les victimes d'actions visant à stopper l'avancée des discussions raciales, comme le rappelle le site gouvernemental Mémoires révélées (« Memórias Reveladas »).
Naiara Silveira, la fille d'Oliveira, a raconté au Matinal que le groupe a dû demander d'autorisation pour organiser davantage la manifestation planifiée pour 1971. À présent, plus de 50 ans plus tard, elle a célébré cette journée en commémorant tant l'héritage de son père que l'héritage sudiste gaucho des Brésiliens noirs
Le 21 novembre, le gouvernement fédéral, agissant au nom de l'État brésilien, a présenté ses excuses pour avoir esclavagisé des personnes et pour les conséquences ultérieures de l'esclavage. Comme indiqué par l'agence d'informations Agência Brasil, Macaé Evaristo, le ministre des Droits de l'Homme, a déclaré ceci :
A gente sabe que essa memória está na construção da sociedade brasileira de mais de 300 anos de escravatura, ela não acaba no 13 de maio. Porque o 14 de maio começa com o total abandono da população negra no país. Ele começa com a total ausência de políticas públicas. Ele começa com a negação da nossa humanidade.
Nous savons que cette mémoire est ancrée dans la société brésilienne en raison de plus de 300 ans d'esclavage, ce qui ne s'arrête pas seulement avec la journée du 13 mai (date de la signature de l'abolition de l'esclavage au Brésil), car le 14 mai commence avec l'abandon total de la population d'ascendance africaine. Cela commence avec l'absence totale de politiques publiques. Cela commence avec le rejet de notre humanité.