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Sur cette carte de l'Afrique de l'ouest figure la zone d'influence du groupe Lakurawa, située entre le Nigeria, le Bénin et le Niger. Capture d'écran de la chaîne YouTube de BBC News Africa
L’Afrique de l’ouest fait face à une nouvelle menace sécuritaire: le groupe d'autodéfense Lakurawa établi dans le nord-ouest du Nigeria, qui prétend protéger des communautés transfrontalières du banditisme est en effet en passe de sombrer dans le djihadisme.
Le groupe Lakurawa est un groupe d’autodéfense autrefois établi entre l’État de Sokoto et l’État de Kebbi, tous deux situés au nord-ouest du Nigeria et reliés au Bénin par une ligne transfrontalière qui s'étend jusqu'au Niger. Ces trois pays partagent un même corridor connu sous le nom d'axe Kandi (Bénin)-Kebbi (Nigeria) -Niamey (Niger).
A la base, le groupe Lakurawa se donne pour mission « d’offrir et de fournir une protection à la population locale dans les zones situées à l’intérieur du bastion des zones sous son influence ou son contrôle ». Il lutte donc indirectement aux côtés des autorités contre les groupes djihadistes, mais un changement idéologique récent vient modifier la donne dans un contexte sécuritaire fluide dans cette partie de la région du Sahel.
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Le 9 novembre 2024, le groupe Lakurawa mène une attaque à Mera (village situé au nord-ouest du Nigeria dans une zone frontalière avec le Bénin) qui fait 15 morts. Cet événement amène les autorités nigérianes à alerter la région ouest-africaine sur le risque potentiel que représente désormais ce groupe. A cet effet, Shehu Sani, ex Sénateur de l’État de Kaduna (situé au centre du pays) déclare la nécessité d’une action multinationale incluant le Bénin, le Niger et le Nigeria pour contrer le groupe d’autodéfense qui semble se radicaliser, comme le rapporte le Daily Post.
Comme d'autres forces dites d'auto-défense, le groupe Lakurawa opère dans un espace fragilisé par une insécurité grandissante qui peut facilement basculer du banditisme au terrorisme, comme l'observe Sani Saidu Muhammad, journaliste nigérian spécialisé dans les économies illicites et les questions humanitaires. Interviewé par Global Voices, il estime que la réémergence de Lakurawa en tant que groupe terroriste islamiste est une conséquence de la mauvaise gouvernance et d'un faible contrôle par les gouvernements des groupes d'autodéfense.
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Arnauld Kassouin (AK) : Quelle appréciation faites-vous de la coopération entre le Bénin et le Nigeria dans la lutte contre l'extrémisme violent et le banditisme frontalier ?
Sani Saidu Muhammad (SSM): Le Bénin et le terrorisme Nigeria ont sans aucun doute pris des mesures pour lutter contre l’extrémisme violent et le banditisme aux frontières par le biais d’initiatives conjointes menées sous l’égide de la CEDEAO et de la Force multinationale mixte (FMM) composée des forces armées de cinq pays: Bénin, Niger, Nigeria, Cameroun et Tchad. Toutefois, l’efficacité de ces collaborations reste à prouver: elle est souvent insuffisante en raison d’une mise en œuvre incohérente et de ressources limitées. Par exemple, si les patrouilles conjointes et le partage de renseignements sont louables, rien ne prouve qu’ils aient permis de réduire de manière significative les incidents de violence transfrontalière ou de contrebande. Pour réaliser de véritables progrès, les deux pays devront donner la priorité à la construction d’infrastructures frontalières, harmoniser leurs cadres juridiques et instaurer la confiance, non seulement entre les gouvernements, mais aussi avec les communautés frontalières dont la coopération est essentielle à la sécurité à long terme.
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Image de Sani Saidu Muhammad, journaliste nigérian. Photo de Sani Saidu Muhammad, utilisée avec permission
AK : Si l'objectif des Lakurawa n'est pas la conquête immédiate d'un territoire, quel est leur véritable objectif ?
SSM : Le groupe Lakurawa poursuit un objectif stratégique. En effet, il ambitionne de déstabiliser les structures étatiques pour créer des espaces sans gouvernance où ses activités, allant de l’endoctrinement aux entreprises criminelles, peuvent prospérer. Par ailleurs, il prospère en exploitant les griefs socio-économiques tels que la marginalisation, la pauvreté et la mauvaise gouvernance. En créant le chaos, il sape la confiance du public dans l’État, transformant la peur et la frustration en opportunités de recrutement et d’influence. Ses objectifs sont idéologiques, certes, mais aussi profondément pragmatiques : il cherche à contrôler les ressources, les lieux stratégiques et les populations vulnérables.
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AK: Pensez-vous que la réémergence des Lakurawa en tant que groupe terroriste islamiste dans le nord-ouest du Nigeria affaiblira davantage la sécurité transfrontalière des pays d'Afrique de l'Ouest ?
SSM: La réémergence du groupe Lakurawa représente une menace sérieuse pour la sécurité régionale. Leurs activités exacerbent les vulnérabilités dans la gestion des frontières, offrant un terrain fertile à la contrebande d’armes, à la propagation d’idéologies extrémistes et à la déstabilisation des États voisins. Les communautés des zones touchées font souvent état de craintes accrues de violences, de perturbations des économies locales et d’une confiance affaiblie dans les appareils de sécurité des États. À long terme, la présence des Lakurawas pourrait mettre à rude épreuve les alliances régionales comme la CEDEAO, car les pays donneraient la priorité aux crises nationales plutôt qu’aux efforts de sécurité concertés. Sans action décisive, ces menaces risquent de dégénérer en une instabilité régionale plus large.
AK : Avec la réapparition du groupe Lakurawa, faut-il craindre une djihadisation des groupes d'autodéfense dans l'ouest du Nigeria, à la frontière avec le Bénin ?
SSM: Des groupes d’autodéfense émergent comme des réponses populaires à cette insécurité. Mais leur manque de régulation les rend vulnérables à la cooptation par des éléments djihadistes: ils pourraient se radicaliser et évoluer vers des réseaux extrémistes sous couvert de protection communautaire. Des données issues de contextes similaires, comme dans certaines régions du Sahel, montrent comment ces groupes, lorsqu’ils ne sont pas contrôlés, peuvent brouiller les lignes entre les groupes d’autodéfense et les terroristes. Des mesures proactives, notamment des mécanismes de surveillance, une intégration formelle dans les cadres de police de proximité et des campagnes d’éducation ciblées, sont essentielles pour atténuer ce risque.
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AK: Quels sont les principaux défis à relever au niveau régional pour éviter la “djihadisation du banditisme” ou la “djihadisation des groupes d'autodéfense” ?
SSM: Pour prévenir la djihadisation du banditisme et des groupes d’autodéfense, plusieurs défis régionaux doivent être relevés comme le renforcement des contrôles au niveau des frontières. Ceci grâce à la technologie et à l’engagement communautaire. Aussi, les États doivent rétablir une proximité avec les gouvernés en améliorant leur gestion de la chose publique, en particulier dans les communautés marginalisées. De même, la Cedeao et ses États membres doivent harmoniser leurs efforts, en veillant à ce que les ressources et les renseignements soient mis en commun efficacement. De plus, les groupes d’autodéfense doivent être surveillés, formés et intégrés aux structures de sécurité officielles pour éviter toute dérive.
La réussite de cette lutte dépend d’une approche régionale fondée à la fois sur la volonté politique et sur l’inclusion communautaire. Les Lakurawas prospèrent là où les gens se sentent abandonnés ; veiller à ce qu’aucune communauté ne soit laissée pour compte est la meilleure défense contre leur propagation.
Avec la réémergence du groupe Lakurawa, le défi de la lutte contre les attaques terroristes devient de plus en plus grand pour l'Afrique de l'ouest.