Selon la journaliste ougandaise Nila Yasmin, les femmes africaines détiennent le pouvoir de transformer le commerce intra-africain

Capture d'écran composite de femmes entrepreneures africaines tirées de la vidéo YouTube « Women Beyond Borders Docu-series » de Zuba Network.. Utilisée avec permission.

L'Afrique est réputée pour ses femmes très entreprenantes, en ayant la plus forte proportion de femmes entrepreneures au monde. Selon l'Organisation de coopération et de développement économiques, plus d'un quart de toutes les entreprises du continent sont créées ou dirigées par des femmes.

Dans un documentaire sur YouTube intitulé « Women Beyond Borders Docu-series », la journaliste ougandaise Nila Yasmin Faisal (qui se fait appeler Nila Yasmin) a interviewé plusieurs femmes entrepreneures africaines à travers le continent. Le documentaire présente cinq entrepreneures ougandaises et une Ethiopienne.

Dans une interview avec Global Voices, Yasmin partage sa motivation pour interviewer ces femmes remarquables et explique pourquoi elle pense que les femmes entrepreneures africaines ont le pouvoir de stimuler le commerce intra-africain et de débloquer des opportunités économiques.

Nila Yasmin Faisal. Photo provided by Nila Yasmin Faisal, used with permission.

Zita Zage (ZZ) : Parlez-nous de vous et de ce que vous faites ?

Nila Yasmin (NY) : Je suis une entrepreneuse ougandaise travaillant dans le secteur des médias. Je suis également journaliste, productrice de documentaires et ancienne présentatrice du journal radiophonique. En tant que productrice, j'ai travaillé sur plusieurs projets pour des marques médiatiques mondiales telles que CNN et Euronews. J'ai notamment eu l'honneur de produire plus de 90 documentaires pour CNN en Ouganda, à l'île Maurice, au Kenya, au Rwanda et en Tanzanie, mettant en valeur les innovations, l'entrepreneuriat, la culture et les sports du continent. En 2019, j'ai reçu le prix APO Group African Women in Media Award et j'ai été nominée pour le Digital Equality Award 2021.

ZZ : Qu'est-ce qui vous a amené à réaliser ce documentaire sur les femmes entrepreneures africaines ?

NY : Mon inspiration pour la création de cette série documentaire vient de mon travail sur des productions liées au commerce intra-africain, en particulier autour de la Zone de libre-échange continentale africaine (ZLECA). En produisant ces documentaires, j’ai remarqué que la plupart des personnes avec qui nous parlions étaient issues de grandes entreprises, car ce sont elles qui participaient activement aux exportations. Je me suis demandé si cette énorme opportunité ne profitait qu’aux grandes entreprises. Et quand on regarde ces entreprises, elles sont majoritairement détenues par des hommes.

En revanche, quand on considère les statistiques sur l’esprit d’entreprise des femmes africaines, un écart devient évident. L’Afrique a été classée comme la région comptant le plus grand nombre de femmes entrepreneures au monde. Pourtant, beaucoup d’entre elles manquent de soutien adéquat pour développer leurs entreprises.

Grâce à mes interactions avec des femmes entrepreneures, j’ai fondé Zuba Network, qui amplifie les voix et les initiatives des femmes à travers l’Afrique. J’ai réalisé que souvent, lorsque nous parlons à ces femmes, elles savent à peine ce qu’est la ZLECA, en quoi elle leur profite et ce qu’elles doivent faire pour faire le commerce dans le cadre de cette zone.

ZZ : Quels sont les défis auxquels sont confrontées les femmes entrepreneures que vous avez interrogées ?

NY: Les femmes ont souligné un certain nombre de défis qui entravent leur participation au commerce transfrontalier. Parmi ces défis est l’accès limité au financement, qui limite leur croissance et leur durabilité. Elles sont également confrontées à un accès limité aux informations sur le marché, à des compétences inadéquates, à des coûts élevés d’Internet et de numérisation et à une sensibilisation insuffisante aux exigences de la ZLECA. Les problèmes d’infrastructure, tels que le coût élevé du transport, le coût élevé des entrepôts et la forte concurrence des produits importés, en particulier de pays comme la Chine, ont un impact négatif supplémentaire sur leur compétitivité. Mais vous remarquez que la plupart de ces problèmes sont les défis habituels auxquels les femmes entrepreneures sont confrontées au quotidien. La question est donc de savoir comment nous assurer qu’ils ne continuent pas à limiter la participation des femmes à la ZLECA.

Je comprends que plusieurs stratégies, protocoles et initiatives ont été élaborés. Par exemple, le Protocole sur les femmes et les jeunes dans le commerce, le Protocole sur le commerce des biens et services et la Stratégie africaine des produits de base pour soutenir les femmes dans la création de valeur et la fabrication, mais une mise en œuvre rapide de ces derniers est essentielle pour permettre aux femmes entrepreneures de participer et de prospérer de manière équitable dans le cadre de ce marché unique.

ZZ : Votre plateforme, Zuba Network, a-t-elle été efficace pour les aider à trouver des solutions à ces défis ? Avez-vous une histoire de réussite à partager ?

Zuba Network soutient les femmes entrepreneures en leur offrant une plateforme pour faire entendre leur voix et présenter leurs initiatives. Ce faisant, nous les aidons à se rapprocher des opportunités de croissance, notamment l’expansion du marché, le développement de l’autorité de la marque et les partenariats stratégiques. Certaines femmes ont utilisé avec succès ce contenu médiatique dans des demandes de subventions ou d’investissements. En amplifiant la voix des femmes entrepreneures, nous espérons influencer positivement les politiques, en faisant pression pour des politiques de soutien qui autonomisent les femmes socialement et économiquement. Cela, à son tour, leur permet de contribuer de manière significative au développement plus large de l’Afrique.

ZZ : Dans la vidéo, Shamirah Kimbugwe a mentionné que la ZLECA a certains des meilleurs objectifs observés dans tout accord régional sur le continent. Êtes-vous d'accord ? Quels sont ces objectifs ?

NY : Je suis tout à fait d'accord. Lorsque vous comparez la ZLECA à d'autres accords régionaux comme le Marché commun de l'Afrique orientale et australe (COMESA) ou l'Accord de partenariat économique de la Communauté de développement de l'Afrique australe (SADC), il est clair que ces accords sont souvent fragmentés et limités à des régions spécifiques. La ZLECA, cependant, offre un accord unifié, réunissant les peuples de tout le continent. Nous parlons d'un potentiel de marché de plus de 1,4 milliard de personnes, de libre circulation des biens, des services, des investissements, etc. Cette union a certainement la capacité de catapulter la croissance sociale et économique du continent dans son ensemble. En outre, différents protocoles, tels que les règles d'origine, ont été mis en place pour faciliter le commerce sans heurts. Par exemple, si un produit satisfait aux règles d'origine au Kenya, il est automatiquement valable pour tous les pays africains. La rationalisation de ces processus permet aux gens de s'engager plus facilement dans le commerce transfrontalier. Je suis d’accord avec Shamirah, mais nous devons encore voir comment tout cela se traduira par des mesures concrètes qui favoriseront le succès de l’accord.

 ZZ : Quels avantages la ZLECA offre-t-elle aux entrepreneurs africains, en particulier aux femmes entrepreneures ?

NY : Le premier est l’accès à un marché de plus de 1,4 milliard de personnes. Cela signifie qu’un entrepreneur ougandais qui vend du beurre de karité peut atteindre des clients dans les 54 pays africains qui ont ratifié l’accord, et qu’une exposition accrue au marché entraîne davantage de revenus. Je pense que l’accord encouragera également probablement l’innovation grâce à une concurrence positive, car vous ne rivalisez plus seulement avec quelques entreprises dans votre petit coin ; cela poussera certainement les entrepreneurs à sortir de leur zone de confort pour créer des produits qui peuvent être compétitifs sur divers marchés.

En outre, la ZLECA créera davantage de liens dans la chaîne de valeur de l’approvisionnement, ce qui donnera aux femmes accès à des choses comme les matières premières sur tout le continent. Par exemple, un entrepreneur ougandais pourra s’approvisionner en beurre de karité brut en Afrique du Sud, fabriquer ses produits en Ouganda et les vendre dans toute l’Afrique.

Pourquoi pensez-vous que les femmes entrepreneures africaines ont le pouvoir de stimuler le commerce intra-africain et de débloquer des opportunités économiques ?

NY : Les femmes dominent le commerce transfrontalier informel, elles représentent 70 % du commerce transfrontalier informel. Ce commerce informel s’accompagne de ses propres défis, tels que la perte de revenus, la corruption et le harcèlement sexuel aux frontières. Malgré ces problèmes, ces femmes persistent. Les femmes présentées dans Women Beyond Borders illustrent la force des femmes entrepreneures africaines : elles sont fortes, résilientes, innovantes et ambitieuses. Elles ne reculent pas face aux défis ; elles vont de l’avant. Ce qu’il faut maintenant, c’est les rejoindre à mi-chemin en améliorant les politiques, en particulier leur mise en œuvre, et en leur fournissant un soutien financier abordable, un soutien technologique et numérique, un accès au marché et des informations. La ZLECA offre des solutions à certains des défis auxquels ces femmes sont confrontées.

Une étude de la Banque mondiale de 2013 a révélé que les femmes n’ont souvent pas accès aux réseaux commerciaux essentiels et aux informations essentielles, et qu’elles sont également confrontées à d’importants problèmes de transport. Comme l’a mentionné Nila, si l’AfTCA s’attaque efficacement à ces obstacles, des femmes comme Juliet Susime, Immy Julie Musoke Nakyeyune, Shamirah Kimbugwe, Aluma Betti, Lydia Nakayenze-Schubert et Jennet Lemma pourraient réaliser leur plein potentiel économique.

Commentez

Merci de... S'identifier »

Règles de modération des commentaires

  • Tous les commentaires sont modérés. N'envoyez pas plus d'une fois votre commentaire. Il pourrait être pris pour un spam par notre anti-virus.
  • Traitez les autres avec respect. Les commentaires contenant des incitations à la haine, des obscénités et des attaques nominatives contre des personnes ne seront pas approuvés.