En RDC, le gouvernement opte pour la peine de mort pour éradiquer le phénomène du banditisme

Des jeunes gangs prisonniers de la RDC en train d'être embarqués vers un camp de redressement ; capture d'écran de la chaîne YouTube de ARTE

En République démocratique du Congo (RDC), la prolifération de gangs juvéniles criminels atteint un niveau sans précédent. Le gouvernement base sa stratégie sur la peine de mort dans sa lutte contre cette violence urbaine.

Dans le pays, le phénomène de banditisme juvénile a un nom: les Kulunas. Il fait référence à des jeunes entre 15 et 30 ans qui s'organisent en bandes armées, menacent, extorquent, mutilent et parfois tuent des citoyens.

Qui sont les Kulunas ?

Le banditisme juvénile se répand en RDC dans les années 1990 durant la troisième décennie du règne de Mobuto Sese Seko, ancien président du pays (1965-1997). A l'origine, il s'agit de jeunes désœuvrés en quête d'un avenir mais qui se retrouvent sans emploi, et donc sans aucun revenu dans des zones urbaines.

À Kinshasa, capitale du pays qui compte aujourd'hui 16 millions d'habitants, ils sont présents dans la plupart des quartiers de cette ville à partir des années 2000, suite à la guerre civile qui débute après la mort de Mobuto Sese Seko. Un rapport d'étude ” Criminels ou justiciers ? Les Kuluna, gangs de République démocratique du Congo ” datant de 2021 de Global Initiative Against Transnational Organised Crime (Initiative mondiale contre la criminalité transnationale organisée)  (GI-TOC) témoigne de leur influence et de leur impact dans la société congolaise:

Des banlieues de Kinshasa où la police n’osait pas s’aventurer, les gangs ont progressivement investi les quartiers centraux ainsi que les camps militaires et policiers, recrutant même leurs membres parmi les enfants d’officiers… les enfants de la Police nationale congolaise sont tous des Kuluna.

(…)à l’exception de Gombe au centre-ville où se trouvent les ministères et les ambassades, les gangs Kuluna sont présents partout dans la capitale – en plus grand nombre cependant dans les secteurs pauvres/bidonvilles (Lingwala, Barumbu) et dans les quartiers centraux défavorisés.

La majorité de ces jeunes ont un parcours commun: ils sont souvent abandonnés par leurs familles, en situation de chômage, et de consommation de drogues. Habitués à un mode de vie violent lié à la criminalité, ils sont aussi utilisés par certains partis politiques. Les auteurs du rapport de GI-TOC indiquent que les Kulunas sont particulièrement instrumentalisés en période électorale.

Moyennant quelques rémunérations, ils sont impliqués dans des violences à plusieurs reprises:

Lors des élections de 2006, quand les forces soutenant Joseph Kabila et Jean-Pierre Bemba, adversaires politiques, se sont affrontées, les factions Bemba avaient engagé des Kuluna comme combattants, leur donnant accès à des armes à feu. (…)

Pendant les élections de 2011, les Kuluna ont été recrutés par le parti politique du président sortant, Joseph Kabila, pour semer la terreur parmi les Kinois et attaquer les rassemblements politiques de l’opposition. (…)

De même, entre 2016 et 2018, à l’occasion d’une campagne politique de l’opposition visant à forcer le président Kabila à organiser des élections, les gangs ont été mobilisés par le parti au pouvoir et par la police anti-émeute, qui les ont utilisés comme auxiliaires.

Face au danger public qu'ils représentent, plusieurs opérations ont été menées par les politiques pour les réduire ou les mettre hors d'état de nuire. Mais toutes ont échoué, car force est de constater que la police nationale est souvent complice de ces groupes.

La peine de mort est-elle une solution?

Depuis l'époque coloniale, la peine de mort a été adopté et appliqué en RDC. Les articles 5 et 6 du code pénal le mentionnent:

Art 5: Les peines applicables aux infractions sont : la mort ; les travaux forcés; la servitude pénale; (…)

Art 6 : Le condamné à mort est exécuté suivant le mode déterminé par le Président de la République.

Mais en 2003, cette peine fait objet d'un moratoire dans le pays: la peine est prononcée mais n'est plus exécutée. En mars 2024, Rose Mutombo, ministre de la Justice de l'époque annonce dans une note la levée du moratoire afin de:

(…) débarrasser l’armée congolaise d’une part des traîtres et d'endiguer la recrudescence d’actes de terrorisme et de banditisme urbain entraînant mort d’hommes d’autres part.

Constant Mutamba, nommé à la tête du département ministériel en charge de la justice depuis mai 2024, demeure intransigeant vis-à-vis du sort réservé aux gangs. Dans un message en date du 3 décembre 2024 repris sur le site de Radio Okapi, il déclare:

Nous allons exécuter [appliquer]  la peine de mort contre les Kulunas (gangsters urbains). La commission va lancer l’organisation des procès en flagrance contre tous les Kulunas. Tous ceux qui seront attrapés, jugés et condamnés. Ils seront tous condamnés pour terrorisme, parce les actes qu’ils posent relèvent tout simplement du terrorisme, et seront punis de la peine de mort.

Depuis janvier 2025, près de 300 Kulunas ont été jugés et 127 d'entre eux auraient été condamnés à mort. Devant la presse, le ministre se défend. Dans ses propos repris dans un article de BBC Afrique, il dit:

La plupart de ces jeunes sont des récidivistes qui ont déjà fait à plusieurs reprises la prison. Mais dès qu'ils sortent, ils recommencent les actes de grand banditisme en s'attaquant aux honnêtes citoyens. C'est lorsque dépassées par la situation que les autorités congolaises ont lancé l'opération « Ndobo » (l'hameçon). C'est une opération destinée à juguler le grand banditisme urbain à Kinshasa et dans les autres grandes villes du pays.

Si selon le ministre, la décision actant la condamnation de ces jeunes a été prise, une sortie de Félix Tshisekedi, président de la RDC, le 18 janvier le contredit entièrement. Le message du Président, relayé sur X par un compte dénommé Intelligency, déclare: 

De vives réactions sur la toile

Des réactions allant dans les deux sens inondent la toile congolaise. Des parents proches de certaines victimes des atrocités des Kulunas estiment que l’exécution de ces jeunes gangs est justifiée. C'est l'exemple de cette jeune femme au nom d’Altesse Mulamba. qui écrit sur son compte X:

Mais certains s'interrogent sur la finalité de cette décision, comme ce compte au nom d’Africa Fact Viral:

Les commentaires sous ce post démontrent la forte colère noire que nourrit une partie de la population vis-à-vis des Kulunas.

Au micro de BBC Afrique, Me Peter Ngomo Milambo, avocat au barreau près de la Cour d'Appel de Kinshasa déclare:

(…)ces jeunes seront exécutés. Sinon ce sera une grave atteinte aux droits de l'homme. (…)c'est une manière pour les autorités du pays de leur faire peur, vu les crimes et autres atrocités que commettent ces jeunes dans les grandes villes du pays.

Des ONG de défense des droits de l'homme montent au créneau. Amnesty International interpelle les autorités à cesser le transfert des détenus vers les zones de d'exécution. Sarah Jackson, Directrice régionale adjointe pour l'Afrique de l'Est et l'Afrique australe indique sur BBC Afrique:

L'annonce de ces transferts est absolument consternante. Nous craignons des exécutions imminentes, dans un contexte de manque d'informations fiables sur le statut des condamnés.

En octobre 2024, l'organisation a appelé à une annulation de la peine de mort dans le pays.

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