Le Népal compte-t-il véritablement beaucoup de tigres ?

Bengal Tiger, Nepal. Image via Flickr by Mathew Knott. CC BY-NC-SA 2.0.

Tigre du Bengale, Népal. Photographie de Mathew Knott sur Flickr. CC BY-NC-SA 2.0.

Cet article rédigé par Sudiksha Tuladhar a été initialement publié dans le Nepali Times, et une version abrégée et éditée a été republiée sur Global Voices dans le cadre d'un accord de partage de contenu.

[Sauf mention contraire, tous les liens renvoient vers des pages Web en anglais.]

En 2010, lors du sommet mondial du tigre à Saint-Pétersbourg, une douzaine de pays abritant des tigres se sont engagés à doubler la population de leurs grands félins sur une période de 12 ans.

Le Népal est le premier pays à avoir non seulement atteint son objectif, mais aussi quasiment triplé le nombre de tigres, passant de 121 en 2010 à 355 en 2022. Cependant, certaines personnes au Népal, notamment le Premier ministre KP Oli, estiment aujourd'hui que le Népal a connu une trop grande réussite et estime que le nombre de tigres sauvages doit être revu à la baisse.

Ce même premier ministre qui, l'année dernière, avait exhorté la population à œuvrer à la protection des tigres, les qualifiant de « fierté du Népal », a déclaré le mois dernier, dans un langage lapidaire, que le nombre de tigres était désormais aussi important que celui des chiens et que leur reproduction ne pouvait se faire au détriment de vies humaines.

« La population des tigres devrait être en adéquation avec la superficie de nos forêts. Et pourquoi pas offrir les tigres en surplus à d'autres pays au titre de la diplomatie économique ? », a ajouté le Premier ministre KP Oli, lors d'un compte rendu de la COP-29, le mois dernier.

Les conflits entre humains et animaux sauvages ont effectivement fait des victimes lorsque les tigres se hasardent hors des parcs surpeuplés à la recherche d'une proie. La proposition du Premier ministre de promouvoir la diplomatie de la faune sauvage pourrait donc ne pas être une si mauvaise idée, dans la mesure où elle permettrait de renforcer le rayonnement international du Népal et de mettre en lumière les succès du pays en matière de protection de la nature.

« Les tigres pourraient être transférés vers d'autres pays dans le cadre de la diplomatie, sous réserve que les pays d'accueil disposent des capacités et de l'environnement nécessaires », explique Ghana Gurung, membre du Fonds mondial pour la nature (WWF Népal), précisant que les tigres, qui seront confiés à d'autres pays, devront être soigneusement choisis.

« Le Premier ministre s'est exprimé avec beaucoup d'émotion, probablement après s'être entretenu avec les groupes concernés », a ajouté Ghana Gurung. « Nous avons triplé la population de tigres, mais si les mesures appropriées de gestion et de coopération ne sont pas appliquées, nous pouvons les perdre tout aussi facilement ».

Cependant, les pays membres de la Convention sur le commerce international des espèces de faune et de flore sauvages menacées d'extinction (CITES) devront respecter des protocoles et des formalités administratives stricts pour transporter les tigres. Le Népal a une certaine expérience en la matière, puisqu'il a déjà acheminé des rhinocéros vers la Chine en deux fois, réussissant à s'affranchir des procédures compliquées.

Sushila Mahatara, naturaliste au parc national de Bardia, ne partage pas l'avis selon lequel le Népal abrite trop de tigres. Elle nous confie : « Le nombre de tigres n'est pas excessif par rapport aux zones qui leur sont allouées. S'il y a trop de tigres, ils se bagarrent et s'entretuent afin de réguler leur nombre ».

Tiger running in River. Image via Wikimedia Commons by Gurung pratap. CC BY-SA 4.0.

Un tigre court dans une rivière. Photographie de Gurung pratap via Wikimedia Commons. CC BY-SA 4.0.

Le parc national de Bardia héberge 125 tigres adultes et le parc national de Chitwan en compte 128. On dénombre environ 12 victimes en lien avec des attaques de tigres, survenues au cours de l'année écoulée, et certains des tigres à crinière sont neutralisés et mis en cage. Cependant, beaucoup d'entre eux succombent rapidement dans cet espace confiné.

Dhan Bahadur Tamang, spécialiste de la conservation des tigres et fort de plus de 50 ans d'expérience, explique exactement pourquoi les tigres s'aventurent ainsi : « Les tigres entrant dans les zones d'habitation sont habituellement de jeunes tigres séparés de leur mère. Certains sont blessés et ne peuvent plus s'attaquer à leurs proies traditionnelles ».

Parmi les autres raisons, on peut citer l'empiètement des zones d'habitation et des projets d'infrastructure à proximité immédiate ou à l'intérieur des zones protégées, dépourvus d’aspects favorables à la vie sauvage, tels que les viaducs. La pénurie d'eau, aggravée par la crise climatique, vient s'ajouter au défi.

Alors qu'au Népal, 3 000 personnes en moyenne sont tuées chaque année par des serpents venimeux, les victimes des tigres retiennent beaucoup plus l'attention des médias. De ce fait, les tigres sont davantage perçus comme une menace plutôt que comme une espèce de premier plan au sein d'un écosystème.

La commercialisation est l'autre menace qui pèse sur les tigres. En 2023, le ministre des forêts et de l'environnement de l'époque, Birendra Mahato, du Janata Samajwadi Party (JSP), a suggéré de vendre des tigres aux enchères à des chasseurs de trophées au motif que le Népal comptait « trop de tigres ». Il a estimé que le pays pourrait engranger 25 millions de dollars américains grâce aux licences de chasse au tigre, somme qui permettrait de couvrir le coût de l'entretien des parcs nationaux.

Sa déclaration a suscité l'indignation générale et les moqueries des défenseurs de l'environnement et des écologistes, tout comme celle du Premier ministre KP Oli le mois dernier.

Les tigres constituent également une source importante de revenus pour les parcs nationaux et une attraction pour les touristes. « La présence des tigres dans la jungle témoigne de la présence d'un environnement équilibré », explique Mahatara à Bardia. « Toute perte de biodiversité dans les parcs pourrait entraîner une diminution de l'afflux de touristes ».

L'éco-tourisme et les safaris de tigres sont une source importante de revenus pour les familles d'accueil et les communautés locales de Chitwan et de Bardia dont la survie dépend des touristes de la faune et de la flore.

Ghana Gurung, du WWF, explique : « Les touristes visitent les parcs nationaux dans l'espoir d'observer des tigres. Actuellement, leur nombre est de 355, et si les touristes ne peuvent apercevoir un seul tigre au cours de leur safari, comment pourront-ils en observer un si le nombre de ces animaux se réduit ? ».

Les écologistes soutiennent qu'une meilleure gestion de la faune sauvage est essentielle et implique une combinaison d'approches, y compris celle de la diplomatie envers les tigres. Toutefois, la plupart des conflits entre les humains et la faune sauvage survient quand les populations locales se rendent dans la forêt pour collecter du bois de chauffage ou du fourrage ; elles devraient donc être conscientes des mesures de sécurité à prendre.

« Nous avons constamment travaillé par le biais de campagnes de développement des compétences et de changement de comportement visant à aider les populations locales à vivre et à maintenir leurs moyens de subsistance dans la zone tampon et les zones protégées », ajoute M. Gurung. « C’est l'un de nos principaux objectifs : améliorer le niveau de vie des habitants afin qu'ils puissent coexister avec la faune et la flore de la région ».

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